Au festival de Cannes, on a parlé des meilleurs films de cette 69e édition, des stars les plus en vue, de la montée des marches sur le tapis rouge et… d’écologie ! Un navire de l’organisation Sea Shepherd a jeté l’ancre sur les côtes cannoises, profitant des caméras tournées vers la Croisette pour sensibiliser le public à la cause des animaux marins, leur captivité et à la préservation des océans.

 

On le sait, le festival de Cannes est un événement médiatique majeur pour l’industrie du cinéma. Alors pourquoi ne pas s’en servir pour promouvoir une cause chère aux écologistes ? C’est ce qu’ont fait les membres de Sea Shepherd au cours de la dernière édition. Au milieu des yachts luxueux de la baie de Cannes, le navire au look punk Sam Simon n’a pas manqué de se faire remarquer par des badauds plus habitués aux bateaux glamours et opulents. L’ONG, qui défend la préservation de la faune marine et combat la maltraitance et le confinement des animaux marins, est connue pour pratiquer l’action directe aux quatre coins du monde et faire appel à des célébrités pour l’appuyer. Cette fois-ci, elle a réussi à donner un grand coup de pied dans la fourmilière pailletée du septième art en prenant comme porte-voix Pamela Anderson, qui a expliqué lors de nombreuses interviews son opposition au foie gras et au gavage des oies.

Impossible donc de ne pas aller à la rencontre de cette organisation. Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, a accepté de répondre aux questions de Deuxième Page.

 

Vous avez reçu une plainte pour l’amarrage du navire Sam Simon dans la baie de Cannes cette année. Pouvez-vous nous parler de cet incident ?

La police a débarqué sur le Sam Simon pour nous informer que certains hôtels de la Croisette étaient dérangés par le look « trop agressif » du bateau. Heureusement, tous les établissements n’étaient pas derrière cette plainte ; le Grand Hôtel, lui, soutient notre cause. L’histoire est restée assez anecdotique car les policiers étaient eux-mêmes assez embarrassés de devoir nous informer de cette situation. Ils sont d’ailleurs repartis avec des drapeaux Sea Shepherd !

Sea ShepherdLe Sam Simon lors de son arrêt à la croisette © Sea Shepherd

Le Sam Simon dans la baie de Cannes. © Sea Shepherd

 

Comment Sea Shepherd a participé au festival ? Avez-vous des films en préparation ?

Oui ! Nous en avons un qui portera sur l’histoire de Paul Watson (le fondateur de Sea Shepherd, ndlr) et qui relatera le récit du naufrage du baleinier Sierra. Le festival a été l’occasion pour Paul de rencontrer les producteurs du film. À côté de cela, nous avons également deux documentaires en cours de tournage, qui sortiront en 2016 et 2017 : l’un aura pour sujet les tortues marines en Amérique du Sud (Why Just One ?), et l’autre les campagnes en mer (c’est-à-dire l’envoi de navires pour des interventions militantes spécifiques, ndlr) que nous menons en Antarctique (Defend, Conserve, Protect).

 

Quel message vouliez-vous faire passer via votre présence à Cannes ?

Nous avons organisé un événement, le Tilikum Tank (en hommage à Tilikum, une orque qui, rendue folle par la captivité, a tué 3 personnes, ndlr) le 14 mai à Bijou Plage – dont les propriétaires sont des sympathisants qui ont gratuitement accueilli le camion dédié à cette action.

Le Tilikum Tank est une pièce tapissée de miroirs, qui permet à la personne qui y pénètre de se mettre dans la peau d’un animal marin vivant en captivité. Il faut savoir qu’un dauphin appréhende son environnement grâce à son sonar, lequel envoie des ondes dans l’eau pour identifier les objets et obstacles autour de lui – tout comme la vue nous permet de reconnaître les éléments qui nous entourent. Le recours aux miroirs donne la possibilité de mieux comprendre ce qu’ils ressentent ainsi que leur perception. Lorsqu’un dauphin est confiné, les ondes qu’il propage se réverbèrent sur les parois de la piscine, et la seule chose qu’il entend est donc l’écho de son cri. C’est comme cela jusqu’à la fin de sa vie. Le but était d’attirer l’attention des médias sur cette problématique. Pamela Anderson était là pour faire venir les micros et les caméras jusqu’à nous. Impliquée dans la cause animale depuis plus de vingt ans, elle est totalement consciente de son effet « aimant médiatique » et en joue pour attirer l’attention sur des luttes essentielles.

Pamela Anderson lors de l'inauguration du Tilikum Tank. a expliqué que « le Tilikum Tank est une torture. Il montre l'horreur de cet environnement (le confinement dans une piscine des animaux marins, ndlr). » © Sea Shepherd

Lors de l’inauguration, Pamela Anderson a expliqué que « le Tilikum Tank est une torture. Il montre l’horreur de cet environnement (le confinement des animaux marins dans une piscine, ndlr) ». © Sea Shepherd

Nous vivons dans une culture médiatique où le people est roi. Dès que vous avez un message à faire passer, la présence d’une star fait toute la différence. Si l’on avait organisé le même événement à un autre moment et sans Pamela Anderson, tout porte à croire que notre message aurait eu un moindre écho.

 

Lorsque cette actrice a soutenu la loi EELV contre le gavage des palmipèdes, les médias et les élu-e-s ont fini par ne parler que d’elle en faisant, au passage, des remarques très sexistes. Est-ce que vous ne pensez pas que l’image de cette star peut éclipser votre cause ?

Non, je ne pense pas. Le Tilikum Tank a eu un accueil très différent de celui qui a été réservé à la loi anti-gavage, également soutenue par Pamela Anderson. Le problème avec cette loi, c’est qu’elle s’attaque à un élément de la culture française auquel les gens tiennent. Beaucoup de personnes se sont concentrées sur le fait qu’une Américaine venait critiquer une tradition culinaire franco-française. Ce tohu-bohu médiatique a effectivement entraîné des commentaires sexistes de bas étage, et ils ont sûrement un peu parasité la cause première de ses interventions. Mais cela n’a pas pour autant totalement occulté le débat sur le gavage des oies, car mine de rien, on en a beaucoup parlé et pas simplement de manière superficielle ! Cette polémique est déjà le début de quelque chose, alors que d’habitude, le foie gras reste une pratique culturelle intouchable.

De gauche à droite : Alex Cornelissen (Directeur de Sea Shepherd), Pamela Anderson, Paul Watson (fondateur de Sea Shepherd) et Lamya Essemlali présentent le Tilikum Tank à Cannes pendant le festival.

Alex Cornelissen (directeur de Sea Shepherd), Pamela Anderson, Paul Watson (fondateur de Sea Shepherd) et Lamya Essemlali présentent le Tilikum Tank à Cannes pendant le festival. © Sea Shepherd

 

Sea Shepherd combat l’utilisation des animaux marins dans les parcs aquatiques. Pensez-vous que nous sommes prêts, en France, à fermer des delphinariums pour des raisons éthiques ?

Je pense que beaucoup de personnes ont eu un déclic grâce au film Blackfish, qui a popularisé la cause des animaux marins en captivité, en retraçant justement l’histoire de Tilikum. Cette orque, capturée à l’âge de 2 ans seulement, est devenue folle à cause de l’enfermement. Elle a fini par tuer des humains, dont ses entraîneurs. Elle est devenue un symbole de la lutte contre la captivité animale et les conséquences que cette dernière peut avoir sur des animaux aussi intelligents que les orques. Tilikum est toujours captive au SeaWorld Orlando, aux États-Unis.

Les personnes qui gèrent les delphinariums sentent bien que la popularité de leurs établissements bat de l’aile : ils sont davantage critiqués, et leurs chiffres de fréquentation sont à la baisse. Bien que plusieurs millions de personnes visitent encore ces endroits, elles ne sont souvent pas au courant des conditions de captivité des créatures marines.

Le combat pour mettre fin à l’enfermement animal est donc aussi celui de l’information. Il faut contrer la propagande des delphinariums qui veulent nous faire croire que les animaux sont heureux et à leur place dans des piscines en béton. Ces établissements laissent également entendre qu’ils préservent la faune marine, or le choix des espèces confinées ne se fait pas selon leur statut (c’est-à-dire si elles sont en danger ou non) mais selon leur capacité à survivre enfermées et à être entraînées.

 

Qu’en est-il du procès de Sea Shepherd contre le Marineland d’Antibes ? Avez-vous une chance de gagner ?

Nous avons des preuves de pollution et d’actes de maltraitance animale au sein de ce Marineland. Nous l’avons donc attaqué au niveau français, mais aussi européen. Aucun delphinarium en France ne respecte les normes de l’Europe. Même si nous pouvons faire évoluer les lois par le biais de procès, le cœur de la bataille est vraiment du côté de l’opinion publique.

 

En quoi consistent généralement vos actions en France ?

Notre premier objectif est de collecter des fonds pour financer nos campagnes internationales et communiquer sur nos enjeux au niveau global. Dans un deuxième temps, et selon le développement de chaque antenne, nous intervenons également sur place. Par exemple, nous avons 14 groupes locaux et des campagnes en Bretagne, dans le sud de la France et en Alsace, ce qui permet à nos bénévoles de s’investir près de chez eux.

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Les antennes locales sont actives sur le terrain, comme en témoigne l’opération Gwelan Rescue de Sea Shepherd Lorient, en partenariat avec le centre de soins Volée de Piafs et lancée le 27 mai 2016, pour porter secours aux goélands.

 

Le sujet de la maltraitance des animaux terrestres a suscité le débat cette année avec plusieurs vidéos de l’association L214. Elle a par exemple fait connaître au grand public les conditions désastreuses d’élevage des poules pondeuses de la marque Matines. Quel est votre point de vue là-dessus ?

Commençons par un rappel : 40 % des poissons pêchés servent à nourrir des animaux d’élevage. Cela vous donne une idée de l’impact écologique de la consommation de produits carnés. La viande est l’une des principales causes de pollution des nappes phréatiques et de l’eau potable, des déforestations, de l’augmentation des gaz à effet de serre… c’est une catastrophe écologique ! Que ces vidéos soit rendues publiques et qu’elles fassent réfléchir l’opinion est une bonne chose. Il est vrai qu’il y a un problème moral avec l’industrie de l’élevage, puisque des êtres vivants sont considérés comme des unités de production. Cela est assez symptomatique de notre rapport à la nature et, plus généralement, de notre rapport aux plus faibles.

Je pense que l’on peut difficilement être écologiste aujourd’hui et ne pas remettre en question nos modes alimentaires. Nous allons vers une tendance végétarienne, voire végétalienne car, on le sait, la planète ne peut subvenir aux besoins de 7 milliards d’omnivores, c’est impossible. Une bonne illustration de cela est ce fait : un végétarien qui roule en 4×4 pollue moins qu’un omnivore qui utilise son vélo. Si vous ne l’avez pas vu, Cowspiracy: The Sustainability Secret est un très bon documentaire sur le sujet.

Mais les enjeux pour Sea Shepherd ne sont pas les mêmes car la maltraitance des animaux terrestres et celle de la faune marine sont perçues différemment. C’est difficile de créer de l’empathie pour les animaux marins, et en particulier les poissons. Ils ne sont même pas considérés comme des animaux : lorsqu’on demande un plat végétarien, on nous propose souvent une salade niçoise ! C’est un travail de longue haleine de faire comprendre aux gens que ce sont des êtres sensibles – alors que toutes les études scientifiques le prouvent. En fin de compte, il ne faut pas oublier que ces deux types de maltraitance sont toujours le résultat d’une surexploitation, de la cupidité et de la recherche du profit à court terme.

 


Image de une : Stand up 250 © Steffen Kraft