Le grand public connaît Courtney Love pour son groupe Hole, mais plus encore pour son défunt mari, Kurt Cobain. Les tabloïds ont régulièrement répertorié ses frasques, faisant d’elle une icône trash, et mettant de côté son influence sur le mouvement féministe riot grrrl. Alors, qui est-elle vraiment ?

 

Née le 9 juillet 1964 à San Francisco, en Californie, la petite Love Michelle Harrison (ainsi qu’il est indiqué dans son extrait de naissance*) est élevée dans différentes communautés hippies. Sa mère, Linda, jeune fille de bonne famille, deviendra plus tard psychologue, tandis que son père, Hank, qui se décrivait comme un intellectuel, était le manager (et dealer) du groupe Grateful Dead.

Grateful Dead, Aoxomoxoa (1969).

Dès son plus jeune âge, Courtney est colérique, instable. Elle voit son premier psychiatre à 2 ans. Sa mère dira plus tard au magazine Vanity Fair : « Je crois que Courtney est venue au monde avec un terrible sentiment de souffrance.* » Il paraît en outre que son père lui aurait fait prendre du LSD à l’âge de 4 ans, pour « encourager sa créativité »…

Forte de cette éducation libertaire, la petite fille se sent très vite à part, à l’école notamment. Plus grande et plus forte que les autres − probablement plus sensible aussi −, mal peignée, voire sale, n’ayant pas le droit de porter des vêtements genrés, elle essuie de nombreuses brimades de la part de ses camarades de classe.

Courtney Love, enfant. © DR

Après le divorce de ses parents, la petite fille est rebaptisée Courtney par sa mère et son beau-père, Franck. Linda a en effet refait sa vie − elle aura d’ailleurs deux autres filles −, et Hank voyage.

Malgré une recomposition familiale qui paraît à première vue plus stable, elle reste une enfant triste et colérique, isolée, différente, sensible et très intelligente. Encouragée par un psychiatre, sa mère l’inscrit chez les Jeannettes (équivalent féminin des scouts), sans que cela n’ait l’effet escompté. On la rejette, puisqu’elle n’a pas réussi à se fondre dans la masse, ni à être ce que l’on attendait d’elle.

Le basculement vers l’adolescence n’arrangeant rien, elle se fait balader de foyer en foyer : dans la famille, chez des ami-e-s de la famille, chez son psy, dans une maison de redressement, ou encore dans une pension. Rien n’y fait. Courtney semble promise à un sombre avenir, empli d’obstacles.

 

When she was a teenage whore

À l’adolescence, les professeur-e-s la dépeignent comme rebelle et manipulatrice, voire une « drama queen ». Bizarre et solitaire, elle commence à boire de l’alcool assez tôt et pratique l’automutilation, dans l’optique d’apaiser ses angoisses existentielles.

Obsédée par son physique qu’elle juge ingrat, elle voit alors ses premiers complexes apparaître. Le rapport au corps sera d’ailleurs un thème récurrent dans ses chansons. Les textes de Pretty on the Inside, le premier album du groupe Hole, pourraient bien être une compilation de ses souffrances d’enfant et d’adolescente : « J’ai vraiment détesté la puberté, elle m’a volé ma beauté.** »

 

La jeune adolescente trouve une forme de réconfort dans les chansons des Runaways, de Patty Smith ou de l’icône androgyne de l’époque : David Bowie. Cependant, son attitude rebelle ne fait que s’amplifier. Piquant des crises de rage terribles, Courtney finit par se faire renvoyer de son établissement scolaire et être envoyée en maison de correction. À 16 ans, officiellement émancipée, elle s’enfuit avec une amie, dort dans la rue et les squats, se bat, consomme de l’alcool et du cannabis, ainsi que d’autres stupéfiants.

Avec son look dark, accro au punk et à la new wave, elle se rend à ses premiers concerts. Elle déplore alors l’attitude des groupies qui s’adonnent au sexe oral auprès de roadies dans l’optique d’entrer en backstage. Ce jugement peut être interprété comme celui d’une jeune fille qui refuse de jouer le jeu de l’asservissement des femmes par les hommes. Dans ce milieu particulièrement sexiste  – et encore plus à cette époque aux États-Unis –, cela correspond à l’une de ses premières prises de position féministe. Elle a du bagout, qu’elle a hérité de son père, et trouve plus valorisant de se servir de sa capacité à baratiner pour obtenir ce qu’elle souhaite.

Déjà, à cette période, elle ne veut pas vivre dans l’ombre des hommes, et veut la lumière. Sur elle, en tant qu’artiste. Mais pour l’instant, la jeune fille n’a pas vraiment les moyens de ses ambitions : elle n’a pas encore appris à chanter, ni à jouer, ni à composer. C’est son objectif, mais en attendant, il lui faut gagner de l’argent.

À la fin des années 1970, elle décide de se déshabiller sous le regard concupiscent d’hommes, dans les quartiers mal famés de Portland, puis au Japon. Imaginant que personne ne la regardait vraiment à cause de son physique qu’elle jugeait peu avantageux**, elle dira plus tard que ce n’était pas si terrible que cela. En 1981, elle fonde son premier groupe, Sugar Babylon, avec Robin Barbur et Ursula Wehr, mais celui-ci consistait, d’après cette dernière, à « se réunir pour boire du pinard* ».

Sugar Babylon. © DR

Peu après, son père l’invite à venir le voir alors qu’il vit à ce moment-là en Irlande. Attirée par la Grande-Bretagne où la scène musicale est en pleine effervescence, elle profite de cette occasion rêvée pour la découvrir de l’intérieur. De Dublin à Manchester, en passant par Liverpool, elle fréquente les musicien-ne-s punk et new wave, et connaît ses premiers émois amoureux.

De retour aux États-Unis, elle rencontre les membres du groupe Faith No More, dont elle sera brièvement la chanteuse. Mais c’est finalement son amitié fusionnelle avec Kat Bjelland, de Babes in Toyland, qui sera déterminante lors de ses débuts dans la musique. Toutes deux vont en effet former avec Jennifer Finch, de L7, le groupe riot grrrl Sugar Babydoll, lequel définira le look kinderwhore : maquillage outrancier, babies vernies, collants troués et robes de poupées…

Straight to Hell, réalisé par Alex Cox, 1987.

Quelques années plus tard, elle fait ses débuts au cinéma, en jouant tout d’abord dans Sid et Nancy en 1986, puis dans Straight to Hell en 1987, deux films indépendants réalisés par Alex Cox, qui reconnaît instantanément son talent d’actrice.

Elle forme ensuite le groupe Hole, qui marque un véritable tournant dans sa carrière. Son premier album, Pretty on the Inside, sort en 1991, mais remporte surtout un succès critique.

 

Des riot grrrl au star-system

Le parcours de Courtney Love dans la musique underground l’amène à faire la connaissance de Billy Corgan, des Smashing Pumpkins, avec lequel elle a une relation tumultueuse. Mais c’est finalement son histoire d’amour avec Cobain qui la fait connaître du grand public. La légende veut qu’à leur première rencontre, Kurt et Courtney étaient tellement ivres et attiré-e-s l’un par l’autre, qu’il et elle se sont battu-e-s par terre.

Courtney Love et Kurt Cobain, 1992. © Dora Handel

Une relation amoureuse qui fait immédiatement d’elle la « femme de », alors qu’elle souhaitait être au premier plan − encourageant « toutes les filles à prendre une guitare et se mettre à crier ». Devenu l’idole d’une génération, Kurt Cobain est l’objet de toutes les attentions. Quant à elle, elle est rapidement comparée à Yoko Ono, à cause notamment de son caractère fort et de son côté despote. Le rôle est tout trouvé, les torchons américains et européens s’en délectent.

Courtney aurait-elle en effet mené Kurt à sa perte ? Rien n’est moins sûr. Deux âmes paumées, rejetées durant leur adolescence, se sont attirées l’une vers l’autre dans une relation fusionnelle et destructrice. De cet amour passionné est née leur fille, Frances Bean Cobain en 1992. Au cours de sa grossesse, un article de Vanity Fair, intitulé « Strange Love: The Story of Kurt Cobain et Courtney Love », fait alors grand bruit : il affirme que la future mère fume des cigarettes et qu’elle consomme de l’héroïne. Cet article a alors des conséquences immédiates, puisqu’il vaudra à la famille un suivi social ainsi que le retrait temporaire de la garde de Frances :

Je ne crois pas que Courtney et moi, on soit si foireux que ça. On a manqué d’amour pendant toute notre vie, et on en a tellement besoin que si nous devions n’avoir qu’un but, ce serait de donner à Frances autant d’amour que nous le pouvons, autant d’aide que possible**, explique Kurt Cobain.

Photographie de Michel Comte.

Kurt Cobain, dépressif et accro à l’héroïne, se suicide en 1994. Pourtant, rapidement, des rumeurs de meurtre commencent à voir le jour. Le père de Courtney dira d’ailleurs que sa fille est liée au décès de Cobain : « Je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle ait pu le faire. Je ne peux pas prouver qu’elle a appuyé sur la détente du pistolet, mais je peux prouver son implication dans l’histoire, avec un haut degré de certitude. » Ironie de l’histoire, Tom Grant, le détective privé que Courtney avait engagé pour tenter de retrouver Kurt lorsqu’il avait fugué de son centre de désintox, tente lui aussi de prouver que sa cliente l’a fait tuer. Toute cette polémique et ces théories sont relatées dans le documentaire Kurt & Courtney, réalisé par Nick Broomfield en 1998.

La désormais veuve fait son deuil comme elle le peut. Découvrant Internet et, au passage, les nombreuses rumeurs complotistes sur la mort de son défunt mari, Courtney Love répond à ses détracteurs. Souvent ivre, parfois sous héroïne, son comportement autodestructeur ne fait qu’amplifier les rumeurs quant à sa santé mentale*. Mais le cinéma va la sauver. En 1997 sort en effet le film Larry Flynt, dans lequel elle joue le rôle d’Althea, la compagne de l’éditeur du magazine Hustler et magnat de la presse porno. Les critiques sont dithyrambiques.

À l’occasion du film, elle dira dans une interview donnée aux Inrockuptibles :

[Avec le cinéma], j’apprends surtout à oublier toutes ces conneries qui me polluent l’esprit lorsque j’appartiens exclusivement au petit monde du rock. […] Si je suis avec les gens de Hole, je redeviens vite comme ça : agressive, intolérante. Je pique des colères terribles après Alanis Morissette, je me mets à haïr le monde entier. Par contre, dès que je me sens actrice, dès que j’échappe au monde du rock, je suis plus cool, plus tranquille. 

Hole. © DR

C’est au cours du tournage de Larry Flynt que Courtney rencontre Edward Norton – leur relation durera trois ans. Côté musique, l’album de Hole Celebrity Skin sort en 1998. Avec un son plus pop et plus californien que les précédents, il rencontre un succès important.

Néanmoins, Hollywood a son revers de la médaille : Courtney Love est (encore aujourd’hui) critiquée pour son recours à la chirurgie esthétique. Son visage singulier se transforme, elle rejoint le rang de toutes ces célébrités dont le visage reste figé malgré les années. Dans le système hollywoodien, les acteurs et les actrices subissent en effet des pressions importantes sur leur plastique.

D’autres faits peuvent néanmoins expliquer ce changement d’apparence : les années de prise de drogues, le temps qui passe tout simplement, le maquillage… Peut-être n’a-t-elle pas subi autant d’opérations que lui prêtent les tabloïds ? Peu importe, au fond. Courtney Love possède une sorte d’aura trash. Elle reste maîtresse de sa vie, de ses choix, et rebondit comme toujours, en devenant l’égérie de Saint Laurent Paris, puis de Marc Jacobs.

 

Love bashing

Entre rumeurs complotistes et polémiques à cause de sa personnalité insaisissable, Courtney Love reste malgré tout une personne que les gens aiment détester. Que ce soit avec des photos ou des articles relatant ses déboires, les magazines people la dépeignent souvent sous un jour peu flatteur. L’artiste a typiquement le genre de personnalité qu’il est plus facile d’attaquer et de décrédibiliser que d’essayer de comprendre :

Je crois que personne ne peut véritablement saisir qui est Courtney Love, y compris elle-même. Elle se définit comme bipolaire et sujette à des troubles de l’humeur. Je pense qu’elle a fini par savoir identifier ses lignes de faille, ce qui déclenche ses crises. Faire de la musique est pour elle une thérapie. Un moyen de rester du côté « équilibré » de sa personnalité autant qu’elle le peut, indique Will Yapp, producteur et réalisateur du documentaire The Return of Courtney Love (2006).

© DR

Aujourd’hui, Courtney Love continue sa carrière, moins soumise au voyeurisme incessant. Ces dernières années, elle a joué dans diverses productions télévisées (Sons of Anarchy, Empire, Menendez: Blood Brothers…), fait une tournée avec la chanteuse Lana Del Rey en 2015, et participé au Fleetwood Mac Fest en 2016.

Courtney Love est une véritable force de la nature. Féministe et artiste engagée, refusant d’être considérée comme une victime en dépit d’un parcours traumatique, elle est devenue une inspiration et une influence pour de nombreuses femmes. Si pour certain-e-s, elle semble inadaptée à notre monde, son histoire laisse néanmoins transparaître en réalité une femme résiliante face à l’adversité. Rebelle, tenace et complexe. Et rien que pour ça, elle est admirable.

 


Biographies :

* Courtney Love: The Real Story, Poppy Z. Brite, éditions Simon & Schuster, 1997

** Courtney Love : De l’enfer punk à la rédemption glam, Violaine Schütz, éditions Camion Blanc, 2017

Le roman de Boddah, Héloïse Guay de Bellissen, Fayard, 2014


Documentaires :

  • Kurt et Courtney, Nick Broomfield, 1998
  • The Return of Courtney Love, Will Yapp, 2006
  • Kurt Cobain: Montage of Heck, Brett Morgen, 2015

Discographie sélective :

  • Pretty on the Inside, Hole, 1991
  • Live Through This, Hole, 1994
  • Celebrity Skin, Hole, 1998

Filmographie sélective :

  • Sid et Nancy, Alex Cox, 1986
  • Straight to Hell, Alex Cox, 1987
  • Larry Flynt, Miloš Forman, 1996
  • Man on the Moon, Miloš Forman, 1999