L’on tombe en amour puis l’on tombe de haut, cœur égratigné et espoir en lambeaux, avant de se rendre compte que, finalement, l’on est retombé-e sur nos deux pieds, fort-e et prêt-e à fouler l’avenir. C’est cette histoire, tellement commune et puissante, que te conte aujourd’hui Éléa.

 

Ça arrive comme ça. Ça nous tombe dessus sans autre forme de procès. On ne s’y attendait pas, on ne l’avait pas vu venir, peut-être aussi qu’on avait trop tendance à fermer les yeux.

L’incompréhension, le vide. Comme une chute vertigineuse qu’on tente en vain de ralentir en s’agrippant à des parois désespérément lisses.

On voudrait disparaître. On se dit que plus rien ne vaut la peine : à quoi bon faire, dire, penser, créer quoi que ce soit sans son approbation ? À quoi bon avancer sans sa main dans la nôtre ?

J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres.

On veut comprendre, on cherche une explication rationnelle là où il n’y en a pas.

On rêvait d’être la courageuse Mulan, mais on a toujours été plus proche de Cendrillon. Le rêve de notre vie, c’est cette saleté d’amour qu’on nous fait ingurgiter par litres de paillettes rose bonbon depuis des années. On le sait, qu’on n’a pas besoin d’un homme. Je n’ai pas besoin d’un homme, n’importe quoi. J’ai juste besoin de lui en particulier, tu comprends ? C’est complètement différent. Rien à voir. Rien du tout.

On a envie de scander à tue-tête, une bouteille de vin en guise de micro, les paroles de Joe Dassin, de Gloria Gaynor, de Lizzo.

Et si tu n’existais pas, j’aurais quand même bien moins souffert. I will survive, enfin j’espère.

On se dit qu’il y a bien pire que soi, que nous sommes des centaines, des milliers à vivre ça, tous les jours, tout le temps. Toutes les chansons du monde, tous les films jamais réalisés, tous les poèmes jamais écrits s’adressent à nous à l’unisson, comme si l’espace d’un instant nous n’étions tou-te-s qu’une seule et même personne vivant la même vie, la même souffrance en décalé.

Et puis un jour, un jour qui semblait être comme n’importe quel autre dans cet entrelacs de pensées étouffantes et angoissées, on finit par ressentir quelque chose de plus. Une sorte d’excitation à l’idée de finalement découvrir ce qui nous attend après. On n’est plus terrifiée de devoir vivre sans lui. On est pressée de savoir de quoi on aura l’air, à quoi ressemblera notre reflet quand on l’apercevra ailleurs que dans ses yeux.

Ce jour-là, on apprendra sûrement à mieux se connaître, on saura ce qu’on veut, ce qu’on ne veut plus. On en aura assez de s’apitoyer sur son sort et on essaiera de s’apprivoiser. On s’autorisera à avoir mal, et puis à guérir. On en aimera d’autres. Il en aimera d’autres, et le monde ne s’arrêtera pas de tourner pour autant. Les puissantes mâchoires d’acier qui nous dévoraient le cœur relâcheront un peu leur prise, l’étau se desserrera autour de notre corps en feu. Portrait d’une jeune fille comme les autres, qui se douterait en la voyant dans la rue, au marché, sur son siège de métro, qu’elle pensait mourir de douleur quelques mois plus tôt ?

On accueillera à bras ouverts celle qu’on était avant lui, celle qu’on avait oubliée et qui nous revient morceau par morceau. On soignera nos blessures et on se créera de nouveaux souvenirs. On s’aimera, peut-être. Sûrement. On réapprendra ce qu’on vaut. On saura qu’on se trompait en pensant que c’était lui et lui seul qui nous donnait la force d’avancer. Elle était là depuis toujours, cette force. C’était la nôtre. C’est la nôtre. On saura alors que jamais rien ni personne ne pourra nous l’enlever.

Un jour. Bientôt. C’est promis.

 

Œuvres et lieux cités :

  • « Ma morte vivante », Paul Éluard, 1947.
  • Mulan, Tony Bancroft et Barry Cook, 1998.
  • Cendrillon, Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske, 1950.
  • « Et si tu n’existais pas », Joe Dassin, 1975.
  • « I Will Survive », Gloria Gaynor, 1978.
  • Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma, 2019.

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