En parcourant les rayons d’une librairie, Sophie est tombé sur le dernier ouvrage de Chloé Delaume, Les Sorcières de la République (Seuil). Véritable dystopie, il raconte avec beaucoup d’humour une révolution féministe manquée, fomentée par des déesses, mais surtout les chemins qui les ont poussées à agir avec extrémisme. Elle nous livre ses impressions. 

 
 

En 2017, le Parti du cercle, un parti féministe, gagne les élections présidentielles. Trois ans plus tard, une amnésie collective, le Grand Blanc, est voté par référendum : ainsi, personne ne se souvient de ce qu’il s’est passé pendant ces trois années, ni de la raison de ce vote. Personne, sauf la sibylle. Prophétesse et conseillère attitrée des déesses de l’Olympe, elle est arrêtée, emprisonnée, examinée, décortiquée, jusqu’à son procès en 2062, au Stade de France. Devant le pays entier, elle témoigne de l’arrivée du Parti du cercle au pouvoir. Mais pour cela, elle doit remonter jusqu’au tout début : on ne peut expliquer en effet le succès de ce parti et les faits qui ont suivi qu’en exposant la domination que subissent les femmes depuis la nuit des temps.

On choisit souvent un livre en ayant une idée de ce qu’il va être. Ou une attente, du moins. Les Sorcières de la République n’était pas du tout ce à quoi je m’attendais. J’avais peur en ouvrant le livre de trouver une dénonciation sans concession du féminisme − ce qui, de ce que je connaissais de Chloé Delaume, me semblait à la fois improbable et aberrant.

J’y ai découvert à la place une critique mordante et drôle de l’extrémisme, mais surtout du patriarcat. En 2062, la France entend le récit de trois ans d’histoire perdue. Si l’apocalypse maya de 2012 n’a pas eu lieu, c’est parce que les déesses, contre l’avis de la sibylle, s’y sont opposées. Puis, au détour d’une phrase malencontreuse de cette dernière, qui parle de la « fin des hommes », une déesse avance : la fin des hommes d’accord, mais ne serait-pas le début des femmes ? Tout commence comme cela. Les déesses, cloitrées sur le mont Olympe et coupées du monde des humains depuis qu’elles ne sont plus vénérées, se renseignent, rattrapent des siècles et des siècles d’oppression et de féminisme. Elles en déduisent qu’il faut renverser le patriarcat. La description des différentes intersections du féminisme qui en résulte est un peu sommaire, mais efficace. Celle des violences faites aux femmes, en revanche, touche toujours juste et fait mal.

Pendant son procès, la sibylle hausse les épaules et explique qu’aucune des déesses n’avait pensé que les Françaises réagiraient aussi violemment et se révolteraient de la sorte. Elle avance l’idée qu’après avoir vécu si longtemps oppressées, c’était finalement à prévoir.

Ce que dénonce Chloé Delaume, ce n’est pas tant certaines idées féministes ou le matriarcat. Non, en filigrane, tout ce qui est pointé du doigt, c’est le reste : le patriarcat, les médias, le gouvernement. Tout y passe. Les femmes du Parti du cercle ont peut-être changé les candidats du FN en chiens pour s’en débarrasser, mais le président de la République, en 2062, sort de la télé-réalité et est au pouvoir parce qu’il a été tiré au sort. Les Sorcières de la République présente un écho pertinent et riche à la situation actuelle de la France, en montrant un système politique dans lequel l’importance de l’image médiatique prévaut sur tout le reste.

Comme Margaret Atwood avec La Servante écarlate (1985) ou Joëlle Wintrebert avec Pollen (2002), Chloé Delaume aborde la dystopie sous le prisme de la question du genre. Ces œuvres tiennent le même propos inquiétant que Les Sorcières de la République : peu importe l’époque, peu importe le lieu, le corps d’une femme ne lui appartient jamais vraiment. Chez Atwood, il est utilisé pour ses capacités reproductrices. Chez Wintrebert, il est utilisé comme monnaie d’échange pour que les hommes soient heureux dans une société matriarcale. Chez Delaume, il est violé, violenté et tué quand les déesses retracent l’histoire des femmes dans le monde ; puis il est violé, violenté, et tué une nouvelle fois lors du procès de la sibylle.

La raison pour laquelle le Grand Blanc a été voté est un parfait condensé du propos du livre. Dans les vingt dernières pages, Chloé Delaume continue le travail de Margaret Atwood dans La Servante écarlate : les femmes sont toujours perdantes. Dans Les Sorcières de la République, on apprend que la révolution ne se fait pas sans violence, qu’il est urgent que la politique ne se confonde plus avec le médiatique et, surtout, on apprend que même en 2062, les hommes envoient encore les sorcières au bûcher.

 


Image de une : Macbeth, réalisé par Orson Welles (1948). © Carlotta Films

 

Les Sorcières de la République Couverture du livre Les Sorcières de la République
Seuil
18/08/2016
Chloé Delaume
20 €

Il s’est passé de bien vilaines choses, en France, entre 2017 et 2020, avec l’arrivé au pouvoir du Parti du Cercle, émanation d’une secte féministe qui a voulu compenser quelques millénaires de domination masculine. De ces trois ans il ne reste toutefois rien : l’amnésie collective a été décidée par un référendum. On l’appelle le Grand Blanc. En 2062, au Tribunal du Grand Paris, anciennement Stade de France, la fondatrice du Parti du Cercle va enfin être jugée. Son nom est la Sibylle. Prophétesse de métier, conseillère des déesses de l’Olympe, elle va devoir tout raconter.