Rencontre avec la documentariste Laura Herrero Garvín à la croisée des chemins, là où se rencontrent humanisme, poésie et activisme.

 

Après des études en photo documentaire entre l’Espagne, les États-Unis et le Mexique, Laura Herrero Garvín décide de poser ses valises dans la capitale mexicaine pour se consacrer à la conception de films. La jeune cinéaste, qui est tout particulièrement intéressée par la réalisation de documentaires, a vu son travail récompensé par de multiples festivals, dont celui de Mexico.

Observatrice sensible et engagée, Laura Herrero Garvín laisse sa caméra devenir le témoin d’existences toujours en mouvement. En s’invitant dans les petites communautés de Chiapas et Oaxaca, ou en filmant des encadrements de fenêtres bordelaises, la cinéaste donne aux gens la liberté de s’incarner et se désincarner, de s’exprimer et de se figer derrière l’œil de sa caméra. Dans son cinéma, il n’y a ni misérabilisme ni facilité, mais une empathie toute singulière pour l’autre qu’elle observe, souvent confronté-e au désastre naturel et aux discriminations sociales. Cofondatrice de l’association audiovisuelle La Sandía Digital et membre du collectif militant EmergenciaMX, elle pousse son engagement féministe jusque dans l’organisation collective d’un mouvement concret pour le cinéma engagé.

Son premier long-métrage documentaire, El Remolino, a particulièrement été remarqué au festival de Locarno en 2016. Depuis, il a fait le tour d’une dizaine de festivals à travers le monde, et a reçu une mention spéciale au FICMY de Mexico. Elle y raconte l’histoire d’une fermière transgenre qui aspire à défendre son identité, sa vie et ses espérances, et celle de sa sœur qui rêve de jours meilleurs pour sa fille. Dans un village du Chiapas, la petite communauté d’El Remolino, qui vit sur les berges d’un fleuve, souffre des inondations annuelles. Laura Herrero Garvín met en lumière ces existences, remplies d’espoir et de résilience.

Après avoir participé en tant que réalisatrice aux Berlinale Talents 2017, Laura Herrero Garvín est dorénavant en plein développement de son prochain film, La Mami. C’est dans les rues et au cœur de la vie nocturne de Mexico City qu’elle nous emmènera. Un lieu et un temps privilégiés pour capturer la force de la sororité comme outil de survie pour les femmes qui sont dans ces rues. En attendant, Laura a accepté de répondre à nos questions.

 

Le féminisme, c’est quoi pour toi ? 

C’est être toi-même sans répression, sans frontières morales ni limites. Sois simplement ce que tu décides d’être en tant que femme, en tant qu’être humain.

© Guillermo Rodriguez

 

Quelle fut ta rencontre avec le féminisme ?  

Je pense que le féminisme t’accompagne à partir du moment où tu décides d’être une fille libre et de te battre pour ce que tu veux être, professionnellement, dans tes relations amicales ou amoureuses, dans ta vie de tous les jours. Mais j’ai vraiment découvert le féminisme quand j’ai fait partie pour la première fois d’un espace collectif avec davantage de femmes, quand j’ai rencontré mes collègues d’EmergenciaMX, et surtout celles de La Sandía Digital, mon collectif féministe audiovisuel.

 

Quelles sont tes actions au quotidien pour lutter contre les inégalités ? 

Je pourrais citer beaucoup d’actions au quotidien, avec ma famille et mes ami-e-s, mais je pense que mes actes les plus importants contre les inégalités se retrouvent dans mon travail, mes documentaires, mes histoires, dans les décisions que je prends quand je veux raconter des histoires, et le choix de ces histoires.

© Guillermo Rodriguez

 

Quel est le livre indispensable que tu prendrais avec toi sur une île déserte ?  

Quelque chose du genre de Femmes qui courent avec les loups, de Clarissa Pinkola Estés, qui m’aide à réfléchir sur moi-même, et Une chambre à soi de Virginia Woolf. Ce dernier a été fondamental dans la création de mon nouveau film, qui se déroule dans le mythique Barba Azul Cabaret, à Mexico. Les femmes de la nuit s’y retrouvent dans un raz-de-marée d’émotions. Chaque jour, La Mami, sorte de gardienne des WC pour femmes, offre de nombreux conseils utiles et du réconfort, aidant ces dernières à combattre la réalité crue et machiste de leur quotidien. Elle nous rappelle que les alliances sont un élément clé face à l’adversité. Et les toilettes, en tant que lieu central, peuvent aider à construire ces alliances et donner la possibilité aux femmes d’être elles-mêmes. Comme l’espace de liberté d’une chambre à soi. Même si ce monde souterrain existe au sein de la société patriarcale, la dynamique de compétition entre les femmes est brisée, et ces fissures offrent une manière de renouveler les alliances, de se protéger les unes les autres comme une famille. En ce lieu, la résistance s’épanouit dans le royaume émotionnel.

© Julio Lopez

 

 Être une femme au XXIe siècle, c’est comment ? 

C’est une lutte continue. Nous avons certes plus d’égalité au niveau professionnel – pas à la hauteur, néanmoins, de ce que l’on devrait avoir –, mais nous portons encore et toujours nos foyers sur les épaules. C’est aussi se connaître soi-même, ainsi que sa capacité de transformation, d’évolution, et sa sensibilité. Ce sont des choses que l’on doit garder en tête. Mais il faut surtout comprendre que le combat des femmes doit se faire ensemble, en s’unissant.

 


Découvre l’actualité de Laura Herrero Garvín sur son site officiel, et toute sa filmographie ici (certains documentaires sont en français ou sous-titrés français).


Image de une : © Massimo Pedrazzini