Au début de l’été, Sophie s’est rendue à un speed dating d’un autre genre : de ceux qui te permettent de rencontrer ton âme sœur littéraire. Dans ce Mémorandom, elle t’emmène avec elle et te raconte cette expérience euphorisante et rafraîchissante.

 

L’arrivée du temps caniculaire amène la quête sans fin d’une brise un peu plus fraîche qui pourrait donner un temps de répit à nos corps transpirants. Robe au vent, je marche sur les quais parisiens pour rejoindre le Pavillon des Canaux, et j’en pousse la porte avec la joie nostalgique de celle qui retrouve de vieilles amies. L’occasion est particulière : un speed dating littéraire, organisé par l’association La Bastillette, dont les vieilles amies en question sont les créatrices, justement.

Alice s’affaire ; elle distribue à chacun-e des numéros (le cinq est pour moi). Dans les petites salles du premier étage, on s’installe. Le mobilier disparate crée des espaces assez intimes pour de petits rendez-vous, assez chaleureux pour un événement collectif.

Les règles sont posées : 14 participant-e-s, six minutes de rencard. Pendant ces six minutes, les deux personnes qui se font face se parlent du livre qu’elles ont apporté. À la fin de la soirée, on peut échanger son livre contre celui qui nous a le plus plu. J’ai ramené Désorientale, de Négar Djavadi, qu’une ancienne collègue m’a un jour fourré dans les mains en me disant : « C’est un livre pour toi ». C’était un livre pour moi, en tout point : la copie que j’amène au speed dating est la troisième que j’achète, parce que j’en ai déjà donné une et que je ne voulais pas me séparer de la mienne.

Le départ est donné.

Pendant une heure et demie, nous voguons de table en table. Je découvre des livres, mais aussi des personnes. Rapidement, je me rends compte des petits détails qui font la différence entre un moment simplement plaisant et un véritable coup de cœur : notre manière de présenter le livre en fonction de la personne qui nous fait face, le désarroi quand on se rend compte qu’elle n’a peut-être pas les mêmes goûts que nous et que notre livre aura potentiellement aussi peu d’intérêt pour elle que le sien pour nous…

Un joyeux désordre s’installe : je rencontre une nouvelle partenaire alors qu’elle se rend aux toilettes. On parle de La Nouvelle rêvée d’Arthur Schnitzler dans la file d’attente, juste à côté de la porte. Trop tard, les six minutes sont écoulées. Je fais la connaissance de la série de nouvelles intitulée Fondation, par Isaac Asimov. Littérature classique et littérature contemporaine se mélangent, personne n’a apporté le même livre. Les autrices et auteurs sont varié-e-s. Par leur manière de parler, de s’extasier, mais aussi par la relation qu’ils entretiennent avec les livres, les gens se dévoilent, les personnalités apparaissent. Ça donne envie d’en savoir plus : comment ont-ils eu vent de cet événement ?

« J’habite dans le quartier, j’ai vu l’événement sur Facebook. »
« Je connais les membres de l’association. »
« Mon ami connaît les filles, et comme je suis de passage à Paris, je me suis dit que j’allais venir. »

Et pourquoi ce livre ? « Je n’ai pas réussi à le finir, autant le passer à quelqu’un-e qui pourra finir la lecture pour moi », me répond une femme.

Les rencards passent à la vitesse de la lumière, ou alors le temps s’étire. Les fenêtres grandes ouvertes laissent entrer le vent et s’échapper nos conversations animées sur les quais de la Seine. L’expérience est fabuleuse, les participant-e-s font preuve d’une générosité qui met du baume au cœur.

Je repars avec la petite liste des livres présentés bien au chaud dans mon sac, faisant désormais office de marque-page du livre que je dévore : Les Ronces de Cécile Coulon. Me reviennent alors en tête ces vers du premier poème :

Je voudrais que la poésie soit aussi naturelle à ceux
qui m’entourent que l’émotion
qui jaillissait cette nuit-là, devant cette place,
avec cette facilité improbable des moments qui n’auraient pas dû être,
qui furent tout de même, mal fichus, débordants de grâce
et de paroles impossibles.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • Le Pavillon des Canaux, Paris
  • La Bastillette, association culturelle
  • La Nouvelle rêvée, Arthur Schnitzler, 1926
  • Désorientale, Négar Djavadi, 2016
  • Fondation, Isaac Asimov, 1942
  • Les Ronces, Cécile Coulon, 2018

 


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