Que retenir de la vie de John Clare, ce poète paysan du XIXsiècle ? Considéré fou, il fut enfermé durant vingt-huit ans de sa vie en institut psychiatrique. Son existence et son œuvre nous confirment qu’il n’y a rien d’autre à chérir que la poésie de la nature en action. La splendeur émane des choses les plus simples, celles que nous ne regardons jamais, les yeux constamment rivés vers le sol. Une playlist de la semaine féminine et hallucinée, entre hier et aujourd’hui. 

 

Pour ceux qui préfèrent Spotify, c’est par là.

 

Il y a toujours dans une chanson un paysage. Une image si nette que, lorsque tu as les yeux fermés, rien n’existe plus autour que les herbes hautes d’Irlande ou les lacs brumeux d’Écosse. Qu’importent les odeurs d’urine et de sueur de ton siège de métro, qu’importe le trottoir jonché de chewing-gums séchés, unifiés à la couleur du bitume, qu’importe que l’inconnu te bouscule, tu as les yeux fermés. Il y a dans cet air la tache verdoyante de l’olivier du jardin en 1993, il y a dans ces fredonnements cycliques les couleurs de l’isabelle, qui miaule dès le matin pour enfin obtenir sa pitance. Ces notes, c’est comme une main d’enfant qui se tend vers la feuille du laurier-rose pour sauvagement la tirer et l’arracher, sans regret. C’est l’innocence perdue mais jamais réellement gagnée de l’enfance érigée en déesse admirable. C’est la plume d’un stylo Parker qui gratte sur la copie double à petits carreaux, réécrivant et réinventant la journée d’aujourd’hui comme si elle n’avait jamais existé. La voix de cette femme, qui chante sa peine, est pareille à celle de ta mère, créature à la force ineffable, t’appelant pour le repas sans jamais se plaindre de n’appartenir qu’à toi.

Il y a toujours dans une chanson un paysage. Alors que tu marches dans la rue morne, la morsure du soleil brûlant le bas de ton dos te rattrape. Celle qui se resserre sur ta peau lorsque l’été touche à sa fin et annonce le retour du béton de la cour d’école, et la solitude immense que tu contemples sous les cyprès aux feuilles jaunissantes, végétant – tout comme toi – à côté du préau. Le lecteur CD portable que tu as eu pour Noël grésille, alors que le disque à l’intérieur s’entrechoque immuablement aux parois de l’appareil quand tu te déplaces pour rejoindre le prochain décor. Tu marches au rythme des souvenirs qui mouchettent de couleurs les parois intérieures de tes yeux, tristes arcs-en-ciel épileptiques. La nostalgie qui t’empare est trahie par les alentours de la ville. Rappelés par la douleur du mur que tu prends de plein fouet et t’impose au sol comme une allégorie de la gravité. Tu gis ici, le sourire aux lèvres, le nez en sang, les yeux levés vers le ciel. Et le soleil te semble être le même qu’alors.

 


Vision

I lost the love of heaven above,
I spurned the lust of earth below,
I felt the sweets of fancied love
And hell itself my only foe.

I lost earth’s joys but felt the glow
Of heaven’s flame abound in me
Till loveliness and I did grow
The bard of immortality.

I loved but woman fell away
I hid me from her faded fame,
I snatched the sun’s eternal ray
And wrote till earth was but a name

In every language upon earth,
On every shore, o’er every sea,
I give my name immortal birth
And kept my spirit with the free

2 août 1844, John Clare.

 


Image de Une : Oliviers, par Vincent Van Gogh, 1889.


Titre de la playlist extrait de la traduction du poème « Vision », par Pierre Leyris dans Poèmes et proses de la folie de John Clare.