« Punk is (not) dead ». Que tu connaisses bien le punk ou non, tu as probablement déjà entendu ou lu cette phrase quelque part. En ligne, sur un t-shirt, dans la rue, sur des murs, dans un magazine… Mouvement aussi bref qu’intense des années 1970, le punk a marqué les esprits à travers les époques. Paradoxalement, il semblerait qu’il soit aussi à l’agonie. Alors, mort ou pas, ce punk ? Et pourquoi pas les deux ?

 

Le débat a toujours existé. Partout dans le monde, personne n’a jamais vraiment été d’accord sur ce qu’est devenu le punk, ce mouvement culturel protéiforme. La France, en l’occurrence, semble particulièrement en froid avec les mohawk et épingles à nourrices. La scène punk y est moribonde, peut-être un peu plus qu’ailleurs. Aujourd’hui, quelques associations, scènes et groupes se débattent pour survivre dans l’Hexagone. Certains ne savent même pas ce qu’est le punk, d’autres en font leur propre interprétation – politisée ou non –, une poignée est encore là pour boire de la bière et écouter des guitares saturées. Pourtant, depuis quelques années, le punk refait des émules un peu partout.

 

Le punk rock est mort

Lorsque l’on parle de punk, à quoi pense-t-on automatiquement ? Tatouages, piercings, vestes à piques, crêtes multicolores, pantalons en tartan et Doc Martens. Parler du punk c’est souvent discuter de looks et de musique.

Des punks londoniens dans les années 1980.

Comme trop souvent dans nos sociétés, l’aspect visuel prend le pas sur le reste. Et dans le cas du punk, l’apparence s’est frayé un chemin considérable dans la culture commune. Contestataire, et donc plus visible que d’autres mouvements underground ou marginaux, le punk et ses signes extérieurs de non-richesse ont forgé une imagerie populaire à la force indéniable. L’image de la révolte sociale par excellence.

Cette imagerie a rapidement été captée. Sur les podiums, dès la fin 1970 – et début 1980 – l’aura sulfureuse du mouvement préserve l’esthétique DIY (Do It Yourself, ndlr) de la démocratisation immédiate, mais pas de l’univers impitoyable de la mode. Un comble pour un mouvement anti-système, voire anti-capitaliste. Malgré cet engouement, en 1977, on annonce la mort du punk, en faisant peut-être le plus bref mouvement musical de tous les temps – puisque proto et post punk mis à part, il avait débuté avec bruit autour de 1974 seulement. En ce qui concerne les dates, personne n’est véritablement d’accord sur leurs contours. En lui accordant un sursis, on peut dire que le punk survit jusqu’en 1980, bien que l’heure du décès ait déjà été prononcée par Lester Bangs.

Lester Bangs au St Moritz Hotel. © Roberta Bayley/Redferns 

 

L’ennemi juré du rock’n’roll

Pourquoi cette mort prématurée ? Parce qu’un bon punk est un punk caché. Cela peut surprendre, mais pour bien comprendre le paradoxe du punk, il faut savoir sur quoi il repose. Originellement mouvement populaire – voire prolétaire – d’une jeunesse désœuvrée, le punk se fait ou hardcore et réagit épidermiquement à un rock jugé commercial et ostentatoire, dans une société post-guerre du Vietnam, désabusée, revenue du mouvement hippie et pas véritablement au meilleur de sa forme.

Au fil du temps, le punk va subir autant d’influences qu’il compte d’affiliations politiques et idéologiques. Mouvement hautement individualiste, il se fait aussi divers que ses acteurs-trices. Mille visages qui se résument à un constat : la douceur hippie a échoué et la société a gagné en violence, les jeunes cherchent à s’y exprimer. Et ce par le biais d’une énergie du désespoir sauvage et libertaire qui devient un mode d’expression, mais aussi de survie.

Les Sex Pistols, avec Johnny Rotten (1977) © DR

Le punk dispose pourtant d’une épine dorsale solide autour de laquelle gravitent tous les désaccords. Autodéterminisme, égalitarisme, existentialisme, anticonformisme, etc. Toutes ces notions se voient souvent amalgamées sous les étendards anarchiste et nihiliste. Le mouvement présuppose que tout le monde peut tout faire soi-même qu’il s’agisse de musique, d’illustration, d’écriture, de vêtements ou de coupes de cheveux. Chacun-e est seul-e aux commandes de sa vie, ou du moins devrait l’être. Ce nihilisme, cette liberté absolue ainsi que le principe de subversion principalement hors système ont induit la mort programmée du punk dès qu’il est devenu LE punk. Porter un nom, avoir une communauté et acquérir des codes rigides à suivre lui était antithétique. L’effet de caste ne pouvait qu’aboutir à sa dissolution ou du moins, à celle de ses constituantes « physiques ».

Lorsque le DIY – à l’origine, provocation montée avec les moyens du bord – devient un look officiel, lorsque les comportements se font uniformes ou superficiels et que la musique sort des garages pour signer avec de grands labels, le punk rock en tant que musique, art et communauté reconnue se meurt inévitablement. Sa marchandisation l’a tué. Un mort-né (un mouvement qui ne pouvait en être un) que l’industrie n’a fait qu’achever. Seuls des inconnu-e-s faisant de la musique, créant pour eux et elles ou des cercles réduits restent punks. Du moins s’ils s’en tiennent aux marges.

Difficile d’oublier Green Day…© Nigel Crane/Redferns 

Aujourd’hui et après les podiums, le visuel et le vestimentaire inondent les rues. Les Doc Martens sont aux pieds de tou-e-s, la musique a connu son tournant commercial et la déferlante fun du punk à roulettes – ou skate punk – a inondé les années 1990. Même les crêtes et crânes plus ou moins rasés, bretelles, patchs et autres épingles à nourrice se montrent de manière banale, au quotidien ou dans les magazines. Et pourtant, le punk qui sommeille en chacun-e de nous serait en train de connaître une nouvelle jeunesse aux quatre coins du monde.

 

Mais le punk est éternel

Un certain punk rock est bien mort, anéanti par son propre succès. Son goût d’interdit et son impact visuel ont fini par le desservir. Mais le punk reste avant tout un état d’esprit, une éthique, une attitude qui ne se résume pas aux clichés les plus répandus ou à sa simple apparence ; et cette philosophie a bel et bien survécu.

En ne s’en tenant pas au décorum, aux provocations et à la crasse, le punk est un refus. Un rejet des injustices, une gueulante, un ras-le-bol, un débordement, une ouverture décalée sur le monde. Le punk c’est être idéaliste et réaliste à la fois. Pacifiste, mais en colère. Marginal et intégré. Le punk, c’est ne pas s’en foutre, ne jamais baisser les bras, toujours rester attentif-ve, douter de la norme, une incertitude se logeant au cœur de toute démarche. Le punk, c’est laisser chacun-e libre d’avoir sa propre norme. Autrement dit, c’est un sacré bazar, qui révèle parfois ce qu’il y a de plus moche, et d’autres fois, ce que l’humanité a de meilleur.

Nina Hagen, 1995 © Greg Gorman

Ces dernières années, le punk a tenté de revenir sur ses dérives. Au-delà d’une image de violence, d’émeutes, de croix gammées et de punks à chiens crachant sur tout et détestant tout le monde, sa face moins connue – car moins bruyante –, elle, se situe au sein de son pan humain et éthique. Comme Morrissey, chanteur et auteur des Smiths, a pu le chanter dans I Know It’s Over : « It’s easy to laugh/ It’s easy to hate/ It takes guts to be gentle and kind. »

Parce qu’être punk, c’est souvent être politisé et parfois de manière extrême. Mais c’est aussi et surtout être antifasciste, anti-haine, loin de toute forme d’agressivité. Depuis toujours, le punk s’exprime en faveur de l’expression individuelle et contre un système perçu comme malade. Il se prononce en faveur de toutes les libertés sans s’enfermer dans des niches trop restrictives.

 

Renaissance douloureuse

Beaucoup de choses ont évolué depuis les années 1970. Mais dans certains domaines, la situation a empiré, et le capitalisme n’apprend pas beaucoup de ses erreurs. Avec un avenir encore plus sombre qu’il ne pouvait l’être, le punk se révèle à nouveau pertinent pour une nouvelle blank generation. Quoi de plus punk que certains des mouvements des printemps arabes, que la vague des 99 %, que le mariage pour tous, que les #BlackLivesMatter ou que toutes les luttes récupérant, entre autres, une insulte – comme « punk » – et la transformant en utopie contestataire ?

Hors des frontières culturelles, d’un look ou d’un affrontement pour savoir si oui ou non ce groupe est suffisamment punk rock, cet esprit survit et continuera à le faire. Ne s’avouant jamais vaincu, jamais du côté des puissants, il demeure l’un des plus vivants à errer dans les parages.

L’influence de Kathleen Hanna et des Riot Grrrl sur le féminisme actuel et la musique est toujours très importante. © Pat Graham

Mouvement le plus bref, le punk est peut-être aussi le moins bien compris. Les gens n’y voient souvent qu’une délinquance poisseuse et le cadavre d’un genre musical et esthétique. Ce qui a un jour été une réaction inédite ne l’est plus. Arborer ces codes sans être habité d’un certain état d’esprit ne signifie plus grand-chose. À l’inverse, le punk se fait maintenant sobre, numérique, global, plus discret, se construisant comme bon lui semble avec pour seul cadre les grandes valeurs tutélaires. Ni mort ni vivant, il n’est dans son ensemble qu’un zombie insatiable réclamant une justice qui n’est toujours pas survenue. Pour laisser Glen Matlock, bassiste des Sex Pistols, conclure :

La définition du mot punk, je crois que c’est la force que l’on tire d’un cœur brisé, la persévérance face à la fronde et les flèches de la fortune outrageante. Ce que le punk n’est pas, c’est ce qu’il est devenu par la suite, ce n’est pas une coiffure ou un pantalon, ni un son, c’est une attitude, c’est constamment lire entre les lignes et ne pas laisser les cons vous écraser.

Autant dire que le punk n’est pas prêt de disparaître, voire qu’il est vital qu’il se répande comme une traînée de poudre. Peu importe alors si les icônes d’une époque ont été vidées de leur sens, si une musique ou une coiffure se noient dans une masse commercialisée. Du moment que l’esprit d’origine est intemporel et que ses valeurs tiennent à distance les aliénations. Comme le disait Joe Strummer (The Clash), le punk c’est « traiter tous les êtres humains de façon exemplaire ». En somme et pour chaque personne le découvrant : Punk is dead. Long live punk. À chacun-e de créer son « No Future ! »

 

 


Image de Une : Nina Hagen par Pierre Terrasson, 1982. © DR