Le nouveau cycle cinéma trash d’Arte, « Femmes d’enfer », s’est ouvert jeudi 22 octobre avec un film érotique japonais, Le couvent de la bête sacrée. Réalisé par Norifumi Suzuki en 1974, le réalisateur et scénariste nous plonge dans la prison mentale et physique d’un couvent japonais, où sont perpétuées d’innombrables sévices. Âmes sensibles s’abstenir !

 

Thriller impudique, Le couvent de la bête sacrée fait partie du sous-genre cinématographique de la nonnesploitation. Avec un scénario à la fois violent et luxurieux, il rappelle aussi le giallo, autre genre cinématographique à la frontière du cinéma policier, du cinéma d’horreur et de l’érotismeOeuvre grandiose pour certains, immorale pour d’autres, ce huis-clos déviant ne laisse personne indifférent.

Traits fins, lèvres rondes et regard vif, Maya Takigawa, héroïne du film, subjugue le spectateur par son insolente beauté. Dans la première scène du film, on la découvre entièrement nue, faisant l’amour avec un homme. C’est, dit-elle, la dernière fois qu’elle profite d’un instant de jouissance. Dans quelques heures, elle se rendra « là où les femmes ne sont pas des femmes ». Orpheline, la jeune femme a décidé d’élucider le meurtre de sa mère, Mary Michiko. Elle se rend alors là où celle-ci a exhalé son dernier soupir : un couvent. C’est ainsi que sans le savoir, l’impétueuse Maya pénètre la bouche même de l’enfer.

Le Couvent de la bête sacrée, réalisé par Norifumi Suzuki (1974)

Le Couvent de la bête sacrée, réalisé par Norifumi Suzuki (1974)

Dans ce lieu sacré, tenu d’une main de fer par une mère supérieure sadique, elle subit les pires atrocités. Devenue épouse de Dieu, elle doit par dessus tout vivre loin du péché. Un simple regard, un désir, la rendent impure et l’obligent, entre autres humiliations, à recevoir le fouet. Dans cet univers hostile et cruel, où la sexualité, pourtant bannie, est omniprésente, Maya se fraye un chemin vers la vérité. Prête à tout pour découvrir dans quelles circonstances sa mère est véritablement décédée, elle dérange, elle choque, elle provoque et tente de faire réagir ses chastes consœurs en leur assénant que l’acte sexuel n’a rien d’un sacrilège : « Si nos parents n’avaient pas pêché, nous ne serions pas nés ».

Le Couvent de la bête sacrée est un film choquant, à réserver à un public avisé. Entre sœurs sadiques, saint père diabolique et hommes infiltrés dans le couvent, viols et tortures s’enchaînent tout du long, laissant peu de place à la douceur de l’humanité. Ce qui frappe, et peut aussi bien rebuter, c’est cet art parfaitement maîtrisé par Norifumi Suzuki, qui consiste à sublimer le sadomasochisme. Les coups de fouets se transforment en cris de jouissance, les humiliations en scènes de domination érotique : plus la douleur de ces femmes est grande, et plus elle est belle et jouissive. Cette esthétisation de la mort et de l’animosité finit par interroger le spectateur, en perte de repères. Pourquoi renverser toutes notions de morales, si ce n’est pour sublimer des pulsions morbides ? Dans une société nippone où les femmes doivent faire figure de vertus cardinales et où l’extrême pudeur est de mise, on devine l’envie pour le réalisateur de provoquer les codes moraux en vigueur.

Le Couvent de la bête sacrée, réalisé par Norifumi Suzuki (1974)

Le Couvent de la bête sacrée, réalisé par Norifumi Suzuki (1974)

Bien que des réflexions sur Dieu soient tenues tout au long du film, une obsession sexuelle en constitue la trame. La perversion est mise en scène à travers le fantasme bien connu de la vierge hypersensuelle, captive de ses murs et de Dieu, dont le potentiel sexuel est inexploité. Pendant une heure trente, le spectateur est donc aussi livré aux fantasmes du réalisateur, qui frôlent parfois l’absurde. Les nonnes, toutes plus jeunes et plus belles les unes que les autres, à mi-chemin entre stéréotypes manga et divinités, expriment la naïveté et l’impuissance des femmes dans un monde dominé par l’homme. Leurs seins ronds et parfaits transparaissent dans leurs habits de religieuses, s’entrechoquent à la vue du spectateur, ce qui peut faire penser que l’investigation de Maya sur la mort de sa mère pèse finalement peu dans l’histoire. Pourtant, c’est bien l’imagerie de ce film qui en fait une véritable œuvre d’art. Dans les premières scènes, elle rappelle la Nouvelle Vague, puis ce sont les codes esthétiques du giallo qui sont déclinés. Noir de rigueur, violences sensuelle, chaque objet contondant devient plaisant à regarder. La scène où Maya se fait fouetter par des roses en est la plus belle démonstration.

Ce premier film du cycle « Femmes d’enfer » aurait très bien pu s’appeler « L’enfer des femmes ». Bien que la sublimation de la torture ne soit pas forcément du goût de tous et que la femme y soit présentée comme un objet de lubricité, l’esthétique de ce film cruel et singulier en séduira plus d’un. Un long-métrage à réserver aux amateurs de films érotiques japonais, aux adeptes de huis clos sadiques, ou aux curieux qui voudraient découvrir un pan de l’esthétique du diable.

 


Le couvent de la bête sacrée de Norifumi Suzuki a été diffusé par ARTE le jeudi 22 octobre dans le cadre du nouveau cycle Trash de la chaîne franco-allemande.