Peu connue du grand public, Lola Álvarez Bravo fait pourtant partie des plus important-e-s photographes mexicain-e-s du XXe siècle. Pour la première fois en France et dans le cadre du festival Photoquai, l’occasion nous est enfin donnée d’admirer le travail de celle qui est considérée comme la première femme photographe du Mexique. Rendez-vous à la Maison de l’Amérique latine où soixante-quinze clichés sont exposés jusqu’au 12 décembre 2015.

 

Une figure du Mexique postrévolutionnaire

Née Dolores Martinez de Anda, Lola Álvarez Bravo voit le jour en 1903, au sein d’une riche famille de l’État de Jalisco. Elle perd ses parents alors qu’elle est encore adolescente, et emménage alors près de Mexico où elle fait la connaissance de celui qui deviendra son époux et mentor, le célèbre photographe et poète mexicain Manuel Álvarez Bravo (1902-2002). C’est lui qui l’initie à la photographie et qui l’introduit dans les milieux artistiques d’un pays en proie à la guerre civile.

La Révolution mexicaine éclate en 1910 en réaction à la dictature du général Porfirio Díaz. S’ensuivent près de vingt ans de violences et d’instabilité politique. Cette révolution a eu un impact bien au-delà des frontières du pays puisque la Constitution mexicaine (1917) est la première au monde à reconnaître les garanties sociales et les droits des conventions collectives. Dans les années 1920-1930, les réformes sociales mises en place attirent des intellectuel-le-s et artistes de tous horizons tels qu’André Breton, chef de file du surréalisme, ou le cinéaste russe Sergueï Eisenstein.

Sergeï Eisenstein sur le tournage de Que Viva Mexico! (1932)

Sergeï Eisenstein sur le tournage de Que Viva Mexico !, 1932.

Pour Lola Álvarez Bravo, ces personnalités deviennent autant des amis que des sources d’inspiration. Ses portraits ne sont pas sans rappeler le style du photographe américain Paul Strand (1890-1976). Attiré lui aussi par le Mexique postrévolutionnaire, il arrive à Mexico en 1932 où il sera nommé directeur de la photographie et du cinéma au Département des Beaux-Arts du Ministère de l’Éducation. Malgré une différence de méthode (Lola Álvarez Bravo cherche à gagner la confiance de son modèle alors que Paul Strand photographie les gens à leur insu), les deux photographes réalisent d’intenses portraits de personnes croisées dans la rue. Ils ont le même talent pour capturer un regard, une émotion. Grâce à son travail, la photographe s’émancipe peu à peu et devient elle aussi une figure importante du Mexique postrévolutionnaire en photographiant notamment les cercles ouvriers et agricoles, particulièrement concernés par les changements sociaux qui s’opèrent alors.

Pêcheurs de requins (Acapulco), 1950 © Lola Álvares Bravo

Pêcheurs de requins (Acapulco), 1950. © Lola Álvares Bravo

Blind Woman, New York, par Paul Strand © (1916)

Blind Woman, New York, 1916. © Paul Strand

 

La vérité plutôt que la beauté

De ses ami-e-s artistes à la vie de la rue, du portrait au documentaire, Lola Álvarez Bravo n’a d’autre ambition que de raconter le Mexique de son époque : « Je veux faire la chronique de mon pays, de mon époque, de mes proches, de la façon dont le Mexique a changé. »

Le Sommeil (Isabel Villaseñor), 1941© Lola Álvarez Bravo, Fondación Televisiva, Mexico

Le Sommeil (Isabel Villaseñor), Fondación Televisiva, Mexico, 1941. © Lola Álvarez Bravo

Elle n’a aucune prétention artistique. Pourtant, ses clichés sont indéniablement empreints de poésie, de beauté pure insufflée par l’empathie de celle qui pose son regard sur son sujet. Son portrait de la sculptrice et peintre Isabel Villasenõr en est la manifestation flagrante. Simplement vêtue d’une robe blanche, allongée sur une branche d’arbre, comme endormie, la jeune femme ressemble à une sirène, une nymphe tout droit sortie d’un songe. Ce portrait singulier, étrangement inquiétant, n’en est pas moins magnifique et onirique et témoigne du talent de composition de la photographe.

Lola Álvarez Bravo n’a jamais peur de regarder la vie en face et donc, de photographier la souffrance, que ce soit celle d’un enfant aveugle ou celle des Indiens d’Amérique du Sud. Elle est très sensible à l’indigénisme, mouvement politique et littéraire né pendant la Révolution de 1910 qui se caractérise par une préoccupation particulière du sort des Indiens et de la volonté de les intégrer au reste de la « communauté nationale ».

Le bain, 1950 © Lola Álvarez Bravo

Le bain, 1950. © Lola Álvarez Bravo

Elle immortalise aussi à de nombreuses reprises et jusque sur son lit de mort le corps meurtri de son amie, la célèbre peintre mexicaine Frida Kahlo (1907-1954). Les deux femmes fréquentent le même cercle d’artistes et d’intellectuels et, malgré sa notoriété très limitée, Lola Álvarez Bravo est l’autrice de quelques-uns des portraits les plus connus de Frida Kahlo.

 

Dans l’ombre des grands destins

Lola Álvarez Bravo n’a pas eu ce que l’on peut appeler une « grande destinée » comme quelques-uns des artistes qu’elle a fréquentés. Mais, derrière son objectif, dans l’ombre, elle a participé à leur légende. Elle a raconté son pays, mais aussi les artistes. Fait exceptionnel pour une femme dans une société mexicaine encore très machiste, Lola Álvarez Bravo avait sa propre galerie d’art. En 1953, elle organise la seule exposition consacrée aux œuvres de Frida Kahlo de son vivant.

Frida Kahlo, 1944 © Lola Álvares Bravo

Frida Kahlo, 1944. © Lola Álvares Bravo

De la ville à la campagne, des ouvriers aux enfants des rues, elle a arpenté les rues de Mexico et de ses environs chaque jour de sa vie pour témoigner d’une époque, faire le portrait de son pays, pour se faire une place et gagner sa vie, tout simplement.

Très demandée par la presse et les institutions mexicaines, Lola Álvarez Bravo se spécialise dans la photographie documentaire. Ses photomontages monumentaux commandés par le ministère des Communications font écho aux peintures murales de son ami, le célèbre peintre et époux de Frida Kahlo, Diego Rivera (1886-1957), dont Lola Álvarez Bravo a réalisé plusieurs portraits. Le ministère lui commande cinq immenses fresques pour faire la promotion des réformes sociales et des travaux publics, démarche en parfaite adéquation avec son désir de dresser un portrait complet du Mexique.

Ouvrir des chemins, 1948 © Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa, Mexico

Ouvrir des chemins, Fundación Televisa, Mexico, 1948. © Lola Álvarez Bravo

Au fil de l’exposition de la Maison de l’Amérique latine, on ressent l’ébullition qui régnait dans le pays à cette époque de grands bouleversements. Entre tradition et modernité, nourrie et influencée par toutes les existences qu’elle a croisées, Lola Álvarez Bravo livre un témoignage précieux sur une période de l’histoire encore trop méconnue compte tenu de ses influences politiques et culturelles sur toute l’Amérique du Sud et le reste du monde.

Devant les différents et nombreux travaux de Lola Álvarez Bravo, force est de constater une chose : en plus d’explorer son pays et son époque, elle a exploré la photographie. Le portrait, le travail documentaire, le photomontage… Ces différentes techniques servent toujours le même désir, le même fil rouge pour former un ensemble cohérent toujours marqué par une grande sensibilité et un intérêt accru pour les questions sociales. Elle a accompli la mission qu’elle s’était alors donnée : faire toute la lumière sur le Mexique de la première moitié du XXe siècle.

 


INFOS :

Lola Álvarez Bravo, Photographies, Mexique

Maison de l’Amérique latine
217 boulevard Saint-Germain
75007 Paris

Du lundi au vendredi, 10 h-20 h
Samedi 14 h-18
Fermé les dimanches et jours fériés
Entrée libre
Du 23 septembre au 12 décembre 2015


Image de Une : Autoportrait, 1950 © Lola Álvares Bravo