Yan se promène dans les recoins de sa psyché, tout en avançant dans la réalité. Une vision étrange du monde, qui, comme un rêve, s’enchaîne et se déploie selon la seule volonté de l’imagination.

 

Ne pas penser, presque. S’absorber dans une absence ou s’incarner en une présence faite d’absolues, simultanément. Souffler sur les flammes de l’excès comme de la lassitude. Se sauver et se saborder face aux lézardes qui ne cessent de s’approfondir et d’éroder ce socle tout juste stable. Respirer. Recommencer.

J’ouvre les yeux, crevé. Pas d’avoir fait, mais d’être, de coexister. Inspirer, profondément, regarder dehors. Un pavillon, des arbres, un ciel gris. Un décor familier, tout en profondeur, rassurant. Une illustration à plat, en 2D, à la lumière et à l’inquiétude étranges. Oscillation subtile entre l’une et l’autre de ces images qui se superposent. Je cille. Tout y avance, s’éloigne, interpelle, s’efface, éveille et lénifie. Je ramène les persiennes à moi. Je verrouille et bloque l’extérieur. L’intérieur s’éteint aussi.

Je ferme les yeux, crevé. La fatigue contamine, conditionne, compartimente, contient. Me contient, tout entier. Alors je tends à penser et me réfugier dans le passé. À chercher à atteindre d’autres fenêtres, d’autres instantanés d’un présent ancien, abrasé. J’en saisis quelques-uns, à peine, tous trop flous, insaisissables. J’abandonne.

Je traîne ma carcasse, crevée. Elle fuit. Je l’observe dans un reflet inexact, reconstruit sous lumière jaune, passé. Mes traits se tirent, se tendent, s’affaissent, ont évolué et n’ont pas changé.

Je m’ignore et bifurque vers une bibliothèque, mes collections et un fauteuil sans âge à mes yeux. Au hasard, j’ouvre un vieux comic book à l’odeur indéfinissable, aussi unique que multiple, immuable dans ses infinies nuances. Plus que les cases devant moi, mes images internes s’avivent alors et dansent soudainement. Se succèdent trop rapidement pour les identifier ou émergent pixel par pixel, aussi laborieusement qu’un ferrofluide voulant échapper à un puissant aimant.

Toutes sont imparfaites, crevées. Mais chacune se démarque, certaines plus que d’autres, injustement. Un Gambit paré de violet et noir joue ses cartes à la perfection, les expédiant sans accrocs à la force de son esprit, là où le mien perd ses propres paris. Près de lui, d’autres super-figures s’esquissent. Quelques griffes, casques, masques, peaux et énergies se bousculent. Pourtant, cette arme, ce bâton que lui tient, m’emmène vers des carnations vertes munies de carapaces. Vers des figurines de ninjas chéloniens qui m’ont inexplicablement marqué. Peut-être fut-ce à cause de la difficulté du jeu vidéo les suivant à la trace. Peut-être était-ce davantage l’âge, le contexte et la personne me les offrant.

D’un recoin immatériel surgit ensuite ce paravent, cette muraille protectrice d’un espace irrésistible de par l’interdit le frappant. La première machine, les premiers pixels générés par un autre cerveau, fut-il fait de silicium, se tiennent là. J’entre dans un autre monde, fait de princes, de dunes, de lemmings et autres − répliquant, chevalier noir, biker putois ou hylien au bouclier bleu. Mais aussi d’un certain ver se prénommant Jim, apparemment. Les flash-back se succèdent. Frustration de ne pouvoir tout ressaisir quand tout est là, quelque part, attendant son retour vers mon futur. Alors je cesse et sors de la pièce.

Je lance Dangerous qui s’ouvre sur « Jam », là aussi, détail désuet, savoureux. Peut-être que je le ferai cohabiter, sacrilège, avec les frères Hanson. Après tout, cet assemblage n’est pas cohérent, tout s’y télescope. Je me télescope continuellement. Je vais d’ailleurs aller voir si d’autres gouttes-images de ce nectar polymorphe ne se trouvent pas au fond d’une tasse de thé. Histoire aussi d’être un peu moins crevé.

 

Œuvres et lieux cité-e-s (entre autres) :

  • X-Tinction Agenda, Marvel Comics, 1990-1991
  • Blade Runner, Westwood Studios, 1997
  • The Legend of Zelda: A Link to the Past, Nintendo EAD, 1991
  • Trilogie Retour vers le futur, Robert Zemeckis, 1985-1990
  • « Jam », Dangerous, Michael Jackson, 1991
  • « MMMBop », Middle of Nowhere, Hanson, 1997