Mélanie débarque du Pays basque à Paris pour se rendre à des expositions. Elle en a profité pour rencontrer Annabelle et se raconter un peu : son combat contre la maladie, la sclérose en plaques, et sa passion pour le théâtre et la danse. Découvre le portrait d’une femme dont la résilience est le deuxième prénom.

 

« Quand tu t’aimes, tu aimes encore plus les autres. Il faudrait s’interdire de se dévaloriser en permanence. L’indulgence envers soi-même et autrui est une nécessité. »

 

Je retrouve Mélanie dans l’antre rassurante d’un café parisien. Autour du nous, ça s’agite. Nous nous installons sur des canapés, au fond de la salle principale, au calme. Mélanie est chaleureuse. Nous sympathisons grâce à son accent, qui me ramène à mon Sud natal et m’imprègne de nostalgie. Contrairement à la croyance populaire, les gens du Sud ne se reconnaissent pas à leur manière de chanter les mots, mais à la douceur et à la bienveillance si caractéristiques de celles et ceux qui profitent du soleil en plein mois de décembre.

Mélanie est originaire de Sète. Elle décrit son enfance comme heureuse, épanouissante. Celle d’une petite fille joyeuse qui dansait du matin au soir et adorait l’école. C’est dans le Pays basque qu’elle est aujourd’hui installée, depuis près de douze ans. Elle y vit avec son mari, son « amour de toujours ». C’est avec tendresse que cette mère de deux enfants me fait le récit de leur rencontre, alors qu’il et elle étaient seulement âgé-e-s de 16 ans. « On a eu notre fille très jeunes. Et nous étions les parents les plus heureux du monde. On était insouciant-e-s. C’était une vie superbe. » Le couple a ensuite un second enfant, une fois plus installé professionnellement. « Mon fils a eu un grave accident, et à la suite de cela, ma jambe gauche s’est paralysée. J’ai fait des examens et on m’a diagnostiqué une sclérose en plaques. Le professeur a eu un discours destructeur : “Vous avez deux enfants ? C’est bien, car vous pouvez tirer un trait dessus maintenant. Et puis, au vu des lésions dans votre cerveau, il faudra sans doute vous habituer à l’idée du fauteuil roulant avant vos 40 ans.” On ne t’explique pas ce que c’est. » Mélanie me dévoile tout cela avec une douceur paradoxale. Elle me relate comment, malgré des événements précédents, comme la perte de la sensation du chaud et du froid après la naissance de sa fille, elle ne s’était jamais imaginée être souffrante − ni les médecins à l’époque, d’ailleurs. Elle connaissait des périodes de fatigue intenses, mais la vie prenait le dessus.

Quand elle apprend qu’elle est malade, Mélanie a 30 ans. « Mon existence a basculé. Dans ma tête, un truc bizarre s’est passé. Il fallait absolument que je montre à mes enfants que j’étais plus forte que la maladie. Et c’est ce que j’ai fait durant plus de dix ans. » Elle veut se battre, et refuse d’être hospitalisée, décidant d’être prise en charge chez elle. « Je voulais montrer à mes enfants que j’étais invulnérable, même si je ne pouvais plus travailler. Je me suis surinvesti dans mon rôle de mère. Mais je leur ai aussi fait croire, sans m’en rendre compte, que l’on n’avait pas le droit de faillir. Ce n’est que des années plus tard que j’en ai pris conscience. Mon fils et ma fille s’interdisaient la moindre faiblesse, et ça fait encore partie de lui et d’elle aujourd’hui. » Mélanie me raconte comment la maladie a fini par devenir un membre à part entière de sa famille, et la brutalité de la situation, y compris pour son couple. Elle ne pensait qu’à la sclérose en plaques et à ces enfants, jusqu’au jour où son fils a eu un second accident : « Peu de temps après, j’ai craqué. Mon mariage, ma fille… Tout a craqué. J’ai eu l’impression que toutes mes forces m’abandonnaient, et je me suis retrouvée paralysée du côté droit de la tête aux pieds. » Mélanie est alors hospitalisée durant trois mois et m’explique qu’elle a mis trois ans à changer de mode de fonctionnement après cet épisode. « J’avais peur de tout. »

L’histoire de Mélanie me touche de très près, et j’ai du mal à cacher mon émotion. J’ai simplement envie de la prendre dans mes bras, comme un simple signe de présence. Comme pour dire : « Je suis avec toi. » Je percute que l’une de mes chansons préférées de Velvet Underground sort des baffles du café : « Sometimes I feel so happy, sometimes I feel so sad. Sometimes I feel so happy but mostly you just make me mad. » Comme la sclérose en plaques est une maladie auto-immune, me raconte Mélanie, il est important d’éviter le stress, de dormir tous les après-midi et d’avoir une hygiène de vie impeccable : « Et je l’ai fait. Mais tu crois que l’existence te protège du stress ? Bien sûr que non. Je faisais tout pour que mes journées soient linéaires. Les seuls moments où je me permettais d’avoir des émotions intenses, c’était en lisant ou en allant au cinéma, car j’étais protégée par le livre ou par la salle. »

Quand Mélanie sort de l’hôpital, elle s’emploie à tout changer, « tout rattraper » comme elle me dit. « Il y a un mot en basque, c’est oreka”, l’équilibre. Et c’est ce que je cherche. J’ai arrêté d’avoir peur, je me suis ouverte aux autres. » Mélanie comprend qu’à force de refuser l’aide d’autrui et de n’apprendre qu’à compter sur elle-même, elle s’est fermée et imposé un quotidien intenable. Personne ne savait qu’elle était malade, hormis ses proches direct-e-s. « Je ne sortais que quand ça ne se voyait pas. Et je mentais. J’en avais honte, parce qu’une maladie auto-immune sous-entend que tu es ta propre ennemie, et c’est compliqué de comprendre comment tu peux être génératrice de quelque chose d’aussi destructeur en toi. »

Mélanie fait différentes thérapies, mais à ses yeux, la seule qui ait fonctionné a été de se dire « J’aime la vie et j’arrête de me battre contre ma maladie. Elle vit avec moi, mais je reste la propriétaire de l’appart. Et quand elle sort de sa chambre, j’essaye de la gérer différemment ». Aujourd’hui, elle a finalement trouvé une sorte de stabilité. Elle travaille à mi-temps en aidant des enfants dans des situations de handicap dans des écoles. Et cela participe à son bien-être. « Je les comprends, car je connais leur colère. » Je suis impressionnée par la personne qui se confie à moi. Une femme résiliente et émotive, sincère et amicale. Mélanie fait aujourd’hui ce qui la rend heureuse, elle participe à des ateliers d’écriture, fait du théâtre, conseille des lectures dans une librairie… Elle s’exprime là où elle le veut et de la façon qu’elle veut. Désormais, elle désire montrer à ses enfants qu’il est essentiel d’être indulgent-e avec soi-même.

« Mon mari a toujours été là pour moi, malgré les cassures. Et aujourd’hui, j’espère qu’il pourra consacrer plus de temps à lui-même, à nous deux. J’ai cru qu’il restait avec moi à cause de la maladie, mais ce n’était pas le cas. Je me détestais. »  Mélanie se blâme, elle est encore dure avec elle-même. Pendant dix ans, elle ne riait plus. Elle ne semblait plus s’appartenir. « J’avais perdu le goût de la vie. Je vivais par procuration, à travers mes enfants. J’ai interrompu mes études très tôt, et c’est un complexe pour moi. M’autoriser à assister à des ateliers me donne l’impression de me retrouver. Je veux juste me légitimer moi-même. » Durant des années, cette acceptation d’elle-même passait par sa passion de la danse, et sa pratique. Un moyen de libérer son corps et son esprit. Sa façon de se mouvoir avait évolué, elle s’était libérée, et c’était alors une grande fierté pour elle. À présent, la maladie empiète sur ce besoin vital, et elle a dû abandonner la danse il y a trois ans. Une douleur. « Je vais peut-être y retourner, et danser différemment. » Heureusement, il lui reste encore le théâtre.

Mélanie n’affronte plus la maladie aujourd’hui, elle a appris à l’accepter. Elle n’aspire qu’à profiter de chaque jour, malgré les moments difficiles et les réalités brutales de ce que son corps lui fait subir. Elle connaît ses limites. « J’aimerais être toujours bien pour mon entourage, parce que leur bien-être dépend aussi de ça. Mais je ne peux pas, et j’ai appris à vivre avec. » Pour Audre Lorde, l’amour était un acte de résistance politique. Et à mes yeux, Mélanie est la manifestation de cela, car ce qui l’anime est son amour pour la vie, les autres et, petit à petit, pour sa personne. « Je suis atteinte d’une sclérose en plaques, mais je ne veux pas vivre contre quelque chose. L’important est d’aimer et d’être aimé-e. Je suis une femme épanouie dans ses choix. Il n’y a pas de norme, il faut s’exprimer dans ce qui vous fait du bien. Osez, osez ! »

 


Image de Une : Portrait de Mélanie Lhoumeau Caporiccio pour Deuxième Page, 2018. © Annabelle Gasquez