Le Genepi est-il menacé d’extinction ? Cette association, formée de 900 étudiant-e-s bénévoles, qui œuvre depuis quarante-deux ans pour le décloisonnement des prisons a appris le 20 septembre dernier que sa convention avec la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ne serait pas renouvelée. Une décision qui menace son action socioculturelle auprès des détenu-e-s incarcéré-e-s en France. Rencontre avec Clémence Tondut, vice-présidente en charge de la communication et de la voix politique.

 

Fondé en 1976, à l’initiative de Lionel Stoléru, alors conseiller technique à la présidence de la République, le Genepi (Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées) n’a jamais perdu de vue ses objectifs : agir auprès des détenu-e-s, faire sortir les prisons du silence et sensibiliser le public sur la réalité du milieu carcéral. Depuis quarante-deux ans, cette association d’étudiant-e-s continue d’attirer des jeunes désireux-ses de s’investir dans une action humaine. Et forcément, quand l’on entend « intervention socioculturelle en détention », on pense Genepi. L’une des rares assos françaises à pénétrer derrière les murs d’une institution pénitentiaire qui se dévoile rarement.

Mais pour combien de temps encore ? Le 20 septembre 2018, le Genepi a appris que la convention qui le liait à la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) n’était pas renouvelée et, par conséquent, s’est vu supprimer une subvention annuelle. Un divorce qui entraîne la fin de ses interventions en détention. Car même si Nicole Belloubet, l’actuelle garde des Sceaux, vient d’acter le 15 novembre dernier le principe d’une nouvelle convention, le texte limite désormais l’action des genepistes. Pour tenter d’en savoir plus sur la situation, Deuxième Page a rencontré Clémence Tondut, 24 ans, vice-présidente du Genepi en charge de la communication et de la voix politique. À l’écouter, on est en tout cas sûr-e-s d’une chose : la jeunesse qui s’engage pour le décloisonnement des prisons, qui contribue à l’exercice du droit au savoir des détenu-e-s et réfléchit sur le système pénal et judiciaire n’a pas dit son dernier mot.

 

Pourquoi as-tu décidé de rejoindre le Genepi ?

J’ai toujours eu une sensibilité associative et humanitaire. Et j’ai découvert que l’on pouvait en faire un métier. Du coup, après un master en droits de l’homme et droit humanitaire, j’ai travaillé en tant que consultante pour différentes ONG. Un jour, j’ai vu que le Genepi recrutait en service civique, alors j’ai postulé. Je connaissais bien l’association car j’avais déjà été bénévole pendant six mois au sein de la maison d’arrêt de Villepinte, en Seine-Saint-Denis. J’animais un atelier arts plastiques pour des détenu-e-s.

 

Que propose le Genepi comme autres activités culturelles ?

Nous donnons des cours de soutien scolaire, mais il n’y a pas que ça. Nous proposons des ateliers revue de presse, bande dessinée, astronomie, carnet de voyage, des ciné-débats, etc. Nous avons aussi mis en place un atelier argentique. Les photos prises par les détenu-e-s devraient être exposées au public en février 2019. Les ateliers sont proposés en fonction de la créativité des genepistes et de ce que veulent les personnes incarcérées. On ne décide de rien sans leur demander leur avis. En tout, 2 000 personnes incarcérées ont bénéficié chaque année d’activités scolaires et socio-culturelles mises en place par les 900 bénévoles.

En ce moment, par exemple, se tient encore un atelier revue de presse à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) avec des personnes transgenres. Il se déroule en quartier d’isolement, car il faut savoir qu’en France, on enferme en fonction du genre de l’état civil. Ces personnes, lorsque leur acte d’état civil indique un genre masculin, vont donc dans une prison qui accueille des hommes. Comme elles n’y seraient pas en sécurité, on les place dans ce quartier spécial. Et même s’il n’est pas ici considéré comme une mesure punitive, l’isolement est de fait terrible psychologiquement. D’autant que ces personnes, pour la plupart étrangères, sont déjà isolées : elles restent pratiquement toute la journée en cellule et n’ont quasiment pas de famille, donc aucune visite. L’atelier, c’est leur bouffée d’air frais ! Il aura lieu jusqu’au 18 décembre prochain. Après, on ne sait pas ce qu’il adviendra…

Drapeau pour la Marche des fiertés 2018. © Genepi

 

Dans combien d’établissements pénitentiaires français intervenez-vous ?

En 2017, nous sommes intervenu-e-s dans 56 établissements pénitentiaires sur 186. Mais à l’heure actuelle, on n’intervient déjà quasiment plus nulle part, sauf rares exceptions… Dans les formations locales, chaque groupe de bénévoles a pour mission de contacter l’établissement pénitentiaire à proximité. On est généralement en contact avec les personnes chargées des activités culturelles. Sauf que depuis un certain nombre d’années, c’est devenu difficile d’arriver à ce niveau-là.

Et lorsque les établissements répondent à nos sollicitations, c’est de plus en plus difficile d’aménager des horaires qui correspondent à ceux des étudiant-e-s bénévoles. On ne peut pas intervenir le week-end, car les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ainsi que les chargé-e-s culturel-le-s ne travaillent pas à ce moment-là. Des établissements nous accueillent toutefois quand on intervient en parloirs ou dans les bibliothèques, mais c’est plus contraignant, car les surveillant-e-s doivent aller chercher les détenu-e-s dans leur cellule, les amener jusqu’à l’atelier, puis les ramener. À l’inverse, quand on intervient en quartiers, les détenu-e-s peuvent se déplacer et viennent à nous.

La raison pour laquelle il est devenu compliqué pour des étudiant-e-s lambda d’obtenir des autorisations d’accès est aussi due à un durcissement sécuritaire, notamment depuis les attentats. Certains établissements pénitentiaires ont ainsi demandé à des genepistes de faire l’objet d’enquêtes de moralité. Concrètement, le ou la bénévole doit se rendre au poste de police pour répondre à des questions afin de déterminer s’il ou elle a des idées suffisamment conformes à celles de la République, et en particulier à celles de la politique du gouvernement, pour pouvoir intervenir en détention. Sous couvert évidemment de lutte contre la radicalisation. Mais selon le Genepi, cela donne surtout un prétexte aux autorités pour procéder à un fichage militant de manière déguisée. Ce que nous refusons.

 

Pourquoi, selon toi, la DAP n’a pas souhaiter renouveler l’ancienne convention avec le Genepi ?

Parce que nous sommes une association politisée et critique envers la direction pénitentiaire. La garde des Sceaux a estimé début novembre sur France Inter que notre association d’aide aux détenu-e-s développait des thèses « très hostiles à la politique publique » conduite par le gouvernement. On les dérange car notre communication est jugée trop radicale. Il y a trois ans, par exemple, nos affiches de recrutement représentaient un paquet de cigarettes avec écrit dessus « La prison nuit gravement à la santé ». Ce qui a fortement déplu à la hiérarchie pénitentiaire. Mais ce n’est pas parce que notre communication se fait parfois de manière virulente que l’on a tort sur le fond.

Les genepistes n’interviennent pas en prison juste pour y aller et animer des ateliers. L’action en détention, c’est le cœur du Genepi parce que c’est ce qui nous permet de voir ce qu’il s’y passe réellement, de récolter des témoignages et de pouvoir contribuer à une critique constructive et globale du fonctionnement du système pénitentiaire et des conditions de vie en détention. Ainsi, il y a plusieurs enquêtes de l’Observatoire national des prisons (OIP) auxquelles les genepistes ont apporté leur aide. En détention, les bénévoles peuvent dire aux détenu-e-s d’envoyer des lettres à l’OIP. On leur conseille aussi de saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ou le Défenseur des droits, deux instances indépendantes, s’ils ou elles estiment que leurs droits ne sont pas respectés.

L’intervention en détention nous permet également d’avoir une légitimité. Lorsque l’on organise des événements à l’extérieur dans une volonté d’éveiller les consciences sur le monde carcéral, on sait de quoi l’on parle. Même si, bien sûr, on peut parler de la prison sans jamais y avoir mis les pieds. Pour les bénévoles, c’est en tout cas un moyen de se former politiquement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dans le domaine prison/justice il y a autant de personnes passées par le Genepi. C’est avant tout un lieu d’apprentissage citoyen pour la jeunesse.

Place de la République, à Paris. Action de sensibilisation organisée par le Genepi, au cours de laquelle l’association dénonçait le nombre de mort-e-s en détention. Depuis le 1er janvier 2018, 60 détenu-e-s se sont donné la mort dans les prisons françaises, selon un décompte de l’administration pénitentiaire au 23 juillet 2018. Au total en 2017, 117 suicides ont été comptabilisés, soit un taux de 14,6 pour 10 000 personnes écrouées. © Genepi

 

Dans les grandes lignes, que disait cette convention ?

La convention spécifiait que les directeurs-rices de prison avaient environ un mois pour nous répondre et nous fournir les laissez-passer nécessaires. Il s’agissait d’un outil important, car dans une structure aussi hiérarchique que l’administration pénitentiaire, avoir une convention nationale nous donnait du poids dans les négociations avec les prisons.

En plus de cela, ce texte nous permettait de former nous-mêmes aux règles pénitentiaires nos nouveaux et nouvelles bénévoles. Et, par conséquent, de gagner du temps sur la mise en place des activités. Parce que si c’est aux surveillant-e-s de former les bénévoles, c’est plus long. Aussi, leur discours se fait souvent un peu anxiogène pour les nouvelles personnes bénévoles : on leur dit que les détenu-e-s sont dangereux-ses, qu’il y a beaucoup de remarques déplacées envers les femmes, et ainsi. Enfin, cette convention nous garantissait une subvention annuelle de l’Etat de 50 000 euros. Nous recevions également d’autres subventions de la part de différents ministères, liées principalement à nos activités en prison. Des fonds, qui s’additionnaient notamment aux dons privés et aux cotisations des bénévoles. Et qui permettaient aussi au Genepi de bien fonctionner.

 

Le 15 novembre 2018, après une forte mobilisation du Genepi et de ses partenaires, accompagnée d’une large couverture médiatique, Nicole Belloubet a finalement acté le principe d’une nouvelle convention. Un projet de texte vous a été envoyé par le cabinet de la garde des Sceaux. Êtes-vous satisfait-e-s de ce document ?

Nous saluons le premier pas vers la négociation et le fait que le ministère et la DAP soient prêts à rouvrir le dialogue avec le Genepi. En revanche, le nouveau document pose plusieurs problèmes. D’abord, toutes les mentions des activités socioculturelles et sportives sont supprimées. De plus, les bénévoles sont défini-e-s comme “complémentaires des travailleurs-ses de l’Éducation nationale”. Or, nous refusons d’être considérés comme appartenant plus ou moins à un ministère. Le terme “complémentaire”, selon nous, est une formulation qui nous musèle beaucoup, et une façon un peu détournée de nous subordonner au ministère de l’Éducation nationale. De ce fait, nous serions obligé-e-s de répondre à ses attentes et à ses directives. Enfin, la nouvelle convention précise que les genepistes ne pourront intervenir qu’auprès de détenu-e-s déjà engagé-e-s dans des parcours de formations scolaires. Alors même que la force de nos actions, c’est d’être ouvert-e-s à tou-te-s, et d’agir sur la base d’une concertation avec tous les détenu-e-s.

 

Finalement, quel est le message envoyé à la jeunesse ?

Selon moi, le message reçu, c’est : vous pouvez intervenir en détention, à condition d’être d’accord avec les instances pénitentiaires et le gouvernement. Je crains donc que l’on ne se dirige vers des associations, avec une belle communication, toute lisse, qui animeront des ateliers, mais en restant à la surface du système pénitentiaire. Sans le remettre en question. Toutes les actions culturelles seront, selon moi, basées sur des appels à projets à un moment précis.

Après, il y a plein de moyens de continuer à voir ce qu’il se passe en prison : écrire à des détenu-e-s, aller à des parloirs, rejoindre d’autres associations, etc. On trouvera toujours un point d’entrée. Je pense que l’on est suffisamment insolent-e-s pour se dire que plus ils et elles essaieront de nous faire taire, plus l’on parlera. On est dans un État démocratique. La prison est une institution démocratique, on doit pouvoir la critiquer.

 

Des lectures et ressources pour aller plus loin

 


Image de une : © Genepi