Dans son premier long-métrage, Jericó, le vol infini des jours, la réalisatrice Catalina Mesa a voulu mettre à l’honneur la force de vie de son pays, loin de l’image habituelle d’une Colombie qui baigne dans le narcotrafic et la guerre civile. C’est ainsi qu’elle décide de revenir dans le village de sa grand-tante, un lieu haut en couleur et versé dans la poésie. Elle y fait le portrait de huit femmes et dépeint un lieu hors du temps mais tourné vers l’avenir, où l’esprit féminin traverse invariablement le collectif.

 

Catalina Mesa quitte la Colombie à l’âge de 17 ans pour faire ses études aux États-Unis. Pourtant, elle n’a jamais oublié sa grand-tante Ruth, qui aimait lui raconter son enfance à Jericó, lui laissant ainsi le goût de la transmission orale et de la résilience. Après le 11 septembre 2001, la jeune femme quitte New York. Elle apprend le français et étudie la photographie et le cinéma à Paris, aux Gobelins puis à la Femis, avant de partir suivre des cours à l’université de Californie à Los Angeles. En 2008, elle fonde la société de production Miravus à Paris, et en 2015, se lance dans la réalisation de son premier film. Elle part alors tourner en Colombie durant trois mois, dans le village de sa grand-tante.

Fondé en 1851, Jericó se niche à l’ouest de la cordillère des Andes. On le reconnaît à ses façades colorées, perché à environ 2000 mètres d’altitude, là où les montagnes touchent l’infini. C’est un lieu où s’est développée une forte sensibilité à la culture, notamment à la poésie. Il a également vu naître la première femme canonisée en Colombie, mère Laura, motif d’orgueil chez ses habitant-e-s.

 

Huit femmes

Jericó est né du désir de travailler avec des femmes âgées, en souvenir de Ruth. Catalina Mesa en a rencontré 25, mais après le montage, n’en a gardé que huit.

Le film possède son propre rythme, organique, réglé sur celui de la parole des habitantes du village. Il y a Chila avec ses chapelets et son allure de matriarche, à l’humour intarissable, qui confie la mort de son mari et de ses enfants autour d’une partie de cartes. Il y a Luz, qui raconte un mariage qui n’a pas eu lieu et nous fait pénétrer dans sa cuisine aux casseroles luisantes comme des œuvres d’art. Il y a Celina, dans sa ferme, dont l’un des fils a été enlevé vingt ans plus tôt par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), et qui ne sait pas si son enfant est mort ou en vie. Ou encore Fabiola, qui parle à ses figurines de saint-e-s.

Jericó, le vol infini des jours, réalisé par Catalina Mesa, 2018. © Arizona Distribution

Ces femmes existent pleinement, s’expriment à travers chaque geste du quotidien : faire à manger, concevoir des patchworks, collectionner divers objets, aller à la rencontre des autres… La présence dans le village de nombreuses jeunes femmes et enfants interpellant la réalisatrice, celle-ci a pris d’autant plus conscience de la nécessité de mettre la transmission au cœur de son message.

Avec les témoignages de ces femmes plurielles, évoluant dans des conditions sociales différentes, ce sont leurs parcours qui nous sont racontés. La plupart d’entre elles sont seules, célibataires ou veuves, par choix ou à cause des circonstances de la vie. Il n’en reste pas moins que les hommes, pour le meilleur et pour le pire, sont leur sujet de conversation le plus fréquent. Toutefois, elles ne montrent pas d’amertume et tendent à se débarrasser autant que possible de leurs sentiments négatifs. Elles en reviennent toujours à la nécessité d’être solidaires et de ne pas se laisser sombrer, de garder le fil, de rester vives.

Le film se termine avec Laura, l’une des enfants du village, et son cerf-volant, qui est accompagnée d’un jeune garçon lui disant de tirer profit du vent, entre la montagne et le ciel. Une conclusion qui illustre avec tendresse les possibilités représentées par les jeunes générations.

 

Un film à garder près du cœur

Jericó, le vol infini des jours, réalisé par Catalina Mesa, 2018. © Arizona Distribution

Dans Jericó, la vieillesse apparaît comme la persévérance même. Quoi qu’il arrive, il faut continuer à vivre. Même si la douleur et nos blessures nous rattrapent, c’est toujours la force de l’existence qui prend le dessus. La propension de ces femmes à osciller entre larmes et rires est admirable et réconfortante. Il nous montre qu’il est toujours possible de se battre pour ne pas laisser la fatalité l’emporter. Il faut préparer la place pour celles et ceux qui nous suivront, qui auront leur part de joie et de tristesse.

Avec ce film d’une petite heure vingt, Catalina Mesa réussit à créer une bulle d’intime, une toile aux coups de pinceaux grandioses et aux paroles personnelles − de celles que l’on garde avec soi comme un objet précieux, une marque de l’enfance près de son cœur pour se réconforter. Ou comme la présence d’une grand-mère à la position ambivalente, maternelle mais non soumise au devoir d’autorité parentale, qui est toujours là quand on en a besoin. Jericó est une ode à toutes les femmes qui peuplent nos vies, et les façonnent. Et pour la cinéaste, une véritable déclaration d’amour à celles qu’elle a eu le privilège de rencontrer sur sa route.