Après notre top des séries de l’année 2018, il est temps de te partager nos coups de cœur cinématographiques. Des films aussi multiples que les personnalités qui composent notre équipe, à découvrir au fil du temps.

 

Cette année cinématographique a été compliquée. Malgré une liste collaborative, nous avons eu du mal à réunir des créations à la fois belles, singulières, enrichissantes et abouties. Peut-être peut-on mettre cela sur le compte d’une multiplication d’œuvres à gros budgets aux dépens des films indépendants. Pourtant, en réalisant cette sélection, nous sommes aussi arrivées à un constat : de nombreux films de qualité réalisés par des femmes n’ont pas eu de distribution française, se sont limités au circuit fermé des festivals, ou ont vu le jour sur des plateformes telles que Netflix, sans sortie en salle. À force de recherches et de discussions, nous sommes tout de même parvenues à établir un top des 12 films les plus marquants de notre année, de la fiction au documentaire. Si ces productions semblent toutes déconnectées les unes des autres en apparence, à y regarder de plus près, on y décèle une sorte de fil rouge : elles sont toutes ancrées dans des problématiques sociétales très contemporaines. Seuls les angles d’approche changent. On espère que tu y trouveras ton bonheur, de quoi t’échapper, réfléchir… et rêver aussi, un peu.

 

Heureux comme Lazzaro, d’Alice Rohrwacher
Parvana, une enfance en Afghanistan, de Nora Twomey
Jericó, le vol infini des jours, de Catalina Mesa
La révolution silencieuse, de Lars Kraume
Sans un bruit, de John Krasinski
Under the Silver Lake, de David Robert Mitchell
Shirkers, de Sandi Tan
Le Grand Bal, de Laetitia Carton
Annihilation, d’Alex Garland
Paranoïa, de Steven Soderbergh
Call Me By Your Name, de Luca Guadagnino
Bonus humour : L’Espion qui m’a larguée, de Susanna Fogel

Il suffit de cliquer sur le nom du film pour accéder directement à sa chronique.

 

Heureux comme Lazzaro, d’Alice Rohrwacher

par Annabelle Gasquez

Heureux comme Lazzaro, réalisé par Alice Rohrwacher, 2018. © Ad Vitam

Il y a des films qui se présentent tels des contes, une succession d’images emplies d’un imaginaire riche, pétrie de réalisme mais avec ce qu’il faut de magie pour nous faire oublier la brutalité du propos. Heureux comme Lazzaro est de ceux-là, brut, tangible et aérien, presque évanescent. La réalisatrice Alice Rohrwacher nous invite à découvrir l’univers fermé, quasi hermétique, de la communauté italienne d’Inviolata où l’on fait la connaissance de travailleurs-ses qui semblent bloqué-e-s dans des temps reculés. Leur quotidien est celui du labeur physique, de l’exploitation agricole sur laquelle ils et elles s’activent pour Madame la Marquise (Nicoletta Braschi). Inviolata est, comme son nom l’indique, un lieu hors de tout, clos sur lui-même, intouché. Et c’est là que vit et travaille Lazzaro (Adriano Tardiolo), sorte de figuration mystique de l’imbécile heureux adepte de la contemplation, mais surtout incompris. Sa bonhomie et son volontarisme sont exploités par les paysan-e-s, qui sont à leur tour exploité-e-s par la marquise. Ce long-métrage, par son style si singulier, sa mise en scène et l’exploration toujours plus fascinante des genres qui le traversent, a réussi à s’imposer sous la forme d’une fantaisie clairvoyante et lumineuse, dans un septième art contemporain coincé entre la mode des reboots, des suites et des productions à gros budgets. Au cœur du monde de ce film beau et amer, l’on trouve une satire piquante du système capitaliste, avec une touche de spiritualité bienfaitrice aussi évidente que le visage de Lazzaro, doux et bienveillant.

 

Parvana, une enfance en Afghanistan, de Nora Twomey

par Yan Gamard

Parvana, une enfance en Afghanistan, réalisé par Nora Twomey, 2018. © Le Pacte

En soi, les mécanismes à l’œuvre sont plutôt simples, le cadre et les lignes, clairs : une double narration retrace l’histoire de Parvana, petite fille vivant à Kaboul dont le père – conteur et écrivain – finit emprisonné, sans réelle raison. Or, sous un régime taliban encore en place, les femmes ne peuvent rien faire. Uniquement rester au foyer et l’entretenir. Le simple fait d’être à l’extérieur sans une présence masculine « valide » est prohibé. Privée de sa seule figure patriarcale, la famille se voit de ce fait contrainte à une survie d’autant plus précaire, doit s’exposer aux risques, à la violence et à une pauvreté aride. Entrelaçant alors son identité et son épopée à celle de Suleimane – personnage d’un conte qu’elle narre à son petit frère –, Parvana se travestit pour sortir, pour subvenir aux besoins de ses proches, voire libérer son père et, qui sait, fuir le pays ? Prenant tous les risques, elle travaille, parcourt des paysages poussiéreux, explore infatigablement cette terre ocre. Dans une société qui ne l’y autorise pas, Parvana est comme un rouage qui ne parvient pas à tourner. Elle lutte contre la rouille d’un conservatisme et d’un obscurantisme violents. Elle résiste via l’éther lumineux de la parole, de l’esprit critique et de la détermination. Ses histoires sont autant de contes imbriqués, lesquels s’inscrivent dans une trame plus large. Ces récits tissent du lien, de l’empathie, jusqu’au cœur de l’horreur, pour que tou-te-s puissent y distinguer ce qui est moral de ce qui révolte ; pour, possiblement, ne pas se faire terrasser par la peur.

 

Jericó, le vol infini des jours, de Catalina Mesa

par Nina Hedgsworth

Jericó, le vol infini des jours, réalisé par Catalina Mesa, 2018. © Arizona Distribution

Jericó est un village fondé en 1851 en Colombie, niché à l’ouest de la cordillère des Andes. On le reconnaît à ses façades colorées, perché à 2500 mètres d’altitude, là où les montagnes touchent l’infini. La poésie y est très présente. C’est aussi là que la première femme canonisée de Colombie est née, motif d’orgueil chez les habitant-e-s du village. Au cœur de Jericó, la Colombienne Catalina Mesa a fait un film documentaire. D’une durée de 1h20, il nous porte en douceur. Avec son rythme propre, organique, il donne la parole à huit des vingt-cinq femmes du village que la réalisatrice a rencontrées, pour y évoquer leurs chemins de vie. La plupart sont âgées, seules, célibataires ou veuves, par choix ou par les circonstances de la vie. La propension de ces femmes à osciller entre rires et larmes est admirable et réconfortante. Elles nous prouvent qu’il est toujours possible de se battre, de ne pas laisser la fatalité l’emporter. Au final, il faut toujours préparer la place à d’autres générations, qui elles-mêmes auront leur part de joies et de tristesses à éprouver et à surmonter. Il y a quelque chose de tendre, qui dépasse l’image habituelle de ce pays que l’on connaît malheureusement mieux pour le narcotrafic que pour sa richesse culturelle. Catalina Mesa réussit avec ce film – tourné en hommage à sa grand-tante – à en faire quelque chose de proche, à la fois grand et intime, que l’on garde avec soi comme un objet précieux. Comme la présence d’une grand-mère qui reste toujours là, près de soi, quand on en a le plus besoin.

 

La révolution silencieuse, de Lars Kraume

par Cielle

La révolution silencieuse, réalisé par Lars Kraume, 2018. © Pyramide Distribution

Allemagne de l’Est, 1956. Une classe de lycéen-ne-s préparant le baccalauréat décide d’observer une minute de silence pour rendre hommage à des révolutionnaires hongrois-e-s abattu-e-s lors de l’insurrection de Budapest. Ce geste de soutien, perçu comme un acte de rébellion, fait entrer les élèves en conflit avec les autorités, d’abord dans leur établissement puis au sein du gouvernement. Ce dernier demande en effet à la classe de dénoncer les meneurs-ses. Le silence gardé a des conséquences : exclusion du lycée et interdiction de passer le baccalauréat en République démocratique d’Allemagne. C’est cette histoire que raconte Dietrich Garstka, un lycéen concerné, dans son livre autobiographique, La classe silencieuse. Et c’est de cet ouvrage qu’est adapté le long-métrage de Lars Kraume. En proposant des personnages aux profils variés (notamment en matière de classe sociale et d’opinions politiques), le film s’interroge sur les motivations de ces jeunes, sur leur courage et leur volonté. Qu’est-ce qui peut bien les pousser à être solidaires des victimes de l’armée soviétique et de leurs camarades de classe, surtout quand une telle solidarité peut faire basculer leur avenir ? La révolution silencieuse fait également le portrait d’une société de contrôle et de conformité, qui entrave la liberté de ses membres, les poussant à aller la chercher ailleurs (en Allemagne de l’Ouest). Le silence imposé aux lycéen-ne-s sous peine d’exclusion nous confronte à des problématiques très actuelles. Et leur résistance donne de l’espoir.

 

Sans un bruit, de John Krasinski

Par Patricia Marty

Sans un bruit, réalisé par John Krasinski, 2018. © Paramount Pictures France

Thriller horrifique ingénieux, Sans un bruit explore la dynamique familiale des Abbots. Ils et elles tentent de survivre dans un monde dystopique rempli de monstres terrifiants, lesquels tuent tout être vivant ayant le malheur de faire le moindre bruit. Empruntant à de nombreux films et séries du genre survivaliste (The Walking Dead, Cargo…), Sans un bruit réussit à faire monter la pression et à nous faire sursauter en s’économisant tout ce qui fait l’univers sonore d’un film d’horreur classique. Au lieu de ça, c’est dans un silence étouffant que la famille Abbot (le père, la mère qui est enceinte, leur fils et leur fille, atteinte de surdité) évolue silencieusement et communique en langue des signes. Le long-métrage amène de manière assez subtile les difficultés pour ces enfants de grandir dans un tel monde, et pour leurs parents de les éduquer. Dans cette réalité, la moindre erreur et la moindre maladresse sont fatales. Tous les personnages survivent dans l’étouffement : celui de chacun de leurs pas, de chaque bruit potentiel, de leurs respirations, voire de leurs personnalités. On peut ajouter à cela le fait que les parents se voient obligé-e-s de surprotéger leur progéniture et par conséquent d’être étouffant-e-s. Le réalisateur, John Krasinski, exploite ainsi avec intelligence la dynamique singulière de familles pouvant être trop traditionalistes. Celles dans lesquelles les enfants doivent se taire, se tenir à carreau, se devant d’être sages et obéissant-e-s, jusqu’à les empêcher de s’épanouir.

 

Under the Silver Lake, de David Robert Mitchell

par Aya Iskandarani

Under the Silver Lake, réalisé par David Robert Mitchell, 2018. © Le Pacte

Under the Silver Lake est un thriller de David Robert Mitchell. Un néo-noir – un genre aux limites assez floues – et qui a été nommé pour la Palme d’Or, lors du Festival de Cannes 2018. C’est un film à suspense imprégné de pop culture et baigné d’une atmosphère complotiste et parano, qui ne se prend pas toujours au sérieux. L’intrigue suit le quotidien pépère de Sam (Andrew Garfield), un jeune homme fauché qui habite dans une résidence à Los Angeles et passe ses journées dans l’oisiveté la plus totale. Un jour, il rencontre Sarah (Riley Keough), sa voisine, avec laquelle il flirte. Du jour au lendemain, Sarah – ainsi que ses colocataires – disparaît sans laisser de trace. Sam va tenter de retrouver son crush d’un jour et parcourt la ville à la recherche d’éventuelles pistes. Le détective amateur se retrouve à enquêter sur un complot de grande envergure. Des signes sont dispersés un peu partout : dans les hits musicaux du moment, au cœur des panneaux publicitaires qu’il croise et même à l’arrière d’une boîte de corn-flakes ! Under the Silver Lake est à cheval entre plusieurs genres : le film policier, la science-fiction, le thriller, l’indie et prend bien souvent des airs de comédie pop emplie d’une spiritualité absurde à la Jodorowsky. Ce mélange donne une impression étrange après visionnage. Tes émotions sont titillées par la nostalgie de la bande-son – truffée des tubes de ton enfance (ou de ton adolescence) – et des clins d’œil à la culture qui a bercé ta jeunesse. Le film fait appel à la magie de ce passé, cette nostalgie. Il est truffé de légendes urbaines et de mythes paranormaux pour révéler la face cachée de ce monde d’apparence banale et ennuyeuse, dans lequel Sam ne fait que flotter.

 

Shirkers, de Sandi Tan

par Annabelle Gasquez

Shirkers, réalisé par Sandi Tan, 2018. © Netflix

Shirkers, c’est l’histoire un peu abracadabrantesque d’un film qui n’a pas pu voir le jour. En 1992, la réalisatrice Sandi Tan, alors âgée de 19 ans, décide d’écrire son premier long-métrage et de le tourner. Elle se lance alors dans une production à petit budget au cœur de Singapour, onirique et colorée, menée aux côtés de ses ami-e-s de l’époque. Pourtant, les pellicules ne seront jamais montées. Durant plus de vingt ans, celles-ci avaient disparu de la surface de la Terre, entre les mains du réalisateur étrange du film, Georges Cardona. Un professionnel avec une certaine expérience, dont les comportements douteux finiront par coûter à l’équipe du film le fruit de plusieurs mois de travail. Avec Shirkers, Tan retrace la genèse d’une œuvre devenue légendaire. C’est une enquête passionnante et brillamment mise en scène qui parvient à nous happer immédiatement. Mais surtout, la cinéaste n’hésite pas à prendre des risques, à se confronter à elle-même à travers les témoignages de ses proches. Elle déroule peu à peu le fil d’une réflexion plus globale sur le cinéma, les sacrifices qui viennent avec cet art et dénonce en sous-texte la masculinité toxique qui lui sert de toile de fond depuis toujours. Shirkers peut se regarder comme une investigation, une lettre d’amour au septième art ou un essai sur la nostalgie et la créativité. Ce documentaire, si particulier, est enfin et surtout une manière pour Sandi Tan de faire entendre sa voix, de se la réapproprier et d’affronter le traumatisme de la perte de sa création par la naissance d’une autre. Et, désormais, c’est elle qui tient la caméra.

 

Le Grand Bal, de Laetitia Carton

par Nina Hedgsworth

Le Grand Bal, réalisé par Laetitia Carton, 2018. © Pyramide Distribution

Je suis allée voir Le Grand Bal sans a priori. Tout au plus, le nom m’évoquait le film Le Bal (1983) d’Ettore Scola. Peut-être mes souvenirs des ateliers de tango à la fac m’ont-ils tancé l’inconscient (fantômes des temps jadis, quand vous nous tenez). Réalisé par Laetitia Carton, ce documentaire d’une heure et demie m’a pourtant transportée dans l’univers du Grand Bal, cet événement qui accueille chaque été quelque 2000 personnes dans un coin de la campagne française. Venu-e-s de toute l’Europe, amateurs-trices et professionnel-les de tous les âges y viennent, participent à des ateliers le jour et la nuit, dansent. On y croise des habitué-es et des novices, des jeunes qui dansent avec des moins jeunes, des garçons qui dansent avec des filles, des filles qui dansent avec des filles et, un peu plus rarement, des garçons qui dansent avec des garçons. On rencontre tout le monde, c’est-à-dire aussi toutes les petites mains qui font vivre ce festival dédié à la convivialité. On participe aux ateliers avec tous ces gens d’horizons divers, et on se retrouve comme eux face à la mémoire de traditions chorégraphiques. Celles-ci y retrouvent leur souffle, une certaine actualité. Ce long-métrage d’immersion nous emmène au bout de ces sept jours et huit nuits de danses traditionnelles, d’épuisement physique. Pourtant, sa récompense est ô combien joyeuse en chaleur humaine, en découvertes plurielles et surtout, en espoir de pouvoir un jour nous rassembler malgré nos différences, autour d’un même acte d’amour.

 

Annihilation, d’Alex Garland

par Annabelle Gasquez

Annihilation, réalisé par Alex Garland, 2018. © Netflix

Je pourrais dire pourquoi, à bien des égards, le dernier long-métrage d’Alex Garland est une œuvre inachevée, presque mutilée. Mais je ne le ferai pas. En dépit de tous ses défauts, Annihilation m’a touchée à l’âme. Il n’est pas dur d’y voir toutes les marottes du réalisateur, ses thématiques de prédilections, lesquelles habitaient déjà Ex machina (2015). Ce nouveau film met en scène une équipe d’exploration composée de quatre femmes spécialistes en leur domaine. Leur but ? Déterminer ce qu’il peut bien se passer dans la Zone X, où un phénomène étrange s’étend de plus en plus vite, suite à la chute d’une météorite. Au cœur de ce monde dans le monde, les spectatrices et spectateurs découvrent en même temps que les protagonistes une faune et une flore en perpétuelle mutation. Progressivement, l’on quitte la réalité pour pénétrer dans l’onirisme, dans un rêve antispéciste enfiévré. Garland disserte sur la notion de changement, la peur qu’elle véhicule, ce qu’elle crée. C’est au fond un exposé filmique sur la science-fiction elle-même, sur le genre et ses fonctions. Pour autant, si Annihilation repose sur des tropes identifiables, il les abandonne à mi-chemin pour mieux les disséquer. Ici, malgré les apparences, il n’y a pas de retour au statu quo, comme cela est souvent le cas dans la SF. C’est finalement là un slasher où personne ne survit, et où le scénario en tant que source structurante du récit devient rapidement obsolète. Plongé-e-s dans cette imagerie coincée entre merveilleux et horreur, une seule question subsiste : quelles sont les choses qui définissent l’humanité ?

 

Paranoïa, de Steven Soderbergh

par Yan Gamard

Paranoïa, réalisé par Steven Soderbergh, 2018. © Twentieth Century Fox France

Ne pas être cru-e est une frustration on ne peut plus commune, presque banale, pour qui a déjà débattu ou s’est simplement frotté-e à un avis divergent. Pourtant, si tu estimes être « sain-e d’esprit », mais que tu t’es toi-même fait interner, lorsque tout écart de caractère joue contre ta crédibilité, lorsque la nasse s’avère aussi capitaliste que patriarcale, se refermant lentement, mais sûrement… Alors, ne pas être cru-e prend une tout autre dimension, de plus en plus sordide. Dans Paranoïa, Steven Soderbergh filme une Claire Foy magistrale en Sawyer Valentini, échouée en institution psychiatrique. Il la filme au plus près, au téléphone portable. Il suit, stalke, déforme, aplatit, écrase, ternit sa protagoniste tandis qu’elle se débat, en vain. Basculant dans un doute fangeux quant à sa propre sanité, elle tente de convaincre que son harceleur l’a bel et bien suivie, ou a minima, qu’il existe, tout court. Elle essaie d’argumenter, de hurler, de se battre, de ruser, de planifier. Tout y passe, jusqu’au désespoir. Critiquant le système cynique, mécanique et surtout marchand de la santé mentale aux États-Unis, le réalisateur y grave un parcours aussi individuel que sociétal. Sawyer nous renvoie à notre propre vulnérabilité. David Strine (Joshua Leonard) y incarne, lui, une violence patriarcale toxique se camouflant en plein jour, conspirant, isolant, décrédibilisant et criant à l’hystérie. Brut et subtil à la fois, le thriller peut paraître trop prévisible, presque caricatural. Mais il trouve cependant son équilibre et laisse une tension, un malaise, une saveur unique et quelques doutes, dérangeants.

 

Call Me By Your Name, de Luca Guadagnino

par Pauline Boscher

Call Me By Your Name, réalisé par Luca Guadagnino, 2018. © Sony Pictures Releasing France

Ici, on entre dans le cocon verdoyant d’une maison de vacances dans le nord de l’Italie : une famille américaine, érudite et polyglotte, y séjourne pour un été, dans une atmosphère hors du temps. On est en 1983, la bande-son navigue entre les tubes « new wave » de l’époque et les grands de la musique classique, joués par le jeune Elio (Timothée Chalamet), 17 ans, sur le piano familial. Cet été sera pour lui celui de la volupté et de la découverte : entre ses livres, les repas de famille mouvementés, les copains-ines, il vit ses premières fois. Mais la rencontre déterminante est celle qu’il fait avec Oliver (Armie Hammer), un jeune chercheur de 24 ans. Commence alors un jeu subtil du chat et de la souris, où chacun s’évite par intervalle et se cherche du coin de l’œil. La mise en scène est magnifique : on cherche la main qui traîne, le regard fuyant, illustrant le manque réciproque et grandissant, au gré des errances journalières d’Elio et des absences d’Oliver. C’est fort, intime et pur : la lumière enveloppante, la douceur et la latence inhérentes au lieu construisent une ambiance de bienveillance et d’érotisme. Le symbolisme est partout ; le fruit défendu se transforme en pêche qui excite l’œil tout le long du film. Luca Guadagnino signe un film pétri de subtilités, avec un potentiel esthétique fort, qui forme un écrin singulier et poétique à cet amour. En bref, de la justesse et de la finesse pour cette romance italienne aussi éphémère et réconfortante que les émois estivaux.

 

Bonus humour : L’Espion qui m’a larguée, de Susanna Fogel

par Sophie Martinez

L’Espion qui m’a larguée, réalisé par Susanna Fogel, 2018. © Metropolitan FilmExport

Audrey Stockton (Mila Kunis), une jeune femme qui s’est récemment fait larguer, reçoit la visite de son ex (Justin Theroux), qui veut récupérer ses affaires. Au cours d’une fusillade inattendue, elle apprend qu’il est en fait un espion. Avant de mourir, il lui fait promettre de finir sa mission, sans trop que l’on sache ce que cela implique. Les films de Susanna Fogel ne sont pas exempts de défauts, mais ils ont une qualité indéniable : ils parlent d’amitié entre femmes, et ces amitiés sont franches, entières et rafraîchissantes. L’Espion qui m’a larguée est drôle et décomplexé – et propose ce qui est probablement la meilleure blague anglophone sur Balzac de l’histoire du cinéma. La journaliste Sophie Charara a écrit au sujet d’Ocean’s 8 et de Ghostbusters que les élever au rang de classiques ne «  serait ne pas rendre service aux futurs films menés par une héroïne qui seront meilleurs ». Il est souvent demandé aux films plus équilibrés en matière de représentation d’être exceptionnels. On aimerait se convaincre qu’ils le sont. Ceux-ci ont mis tant de temps à nous parvenir et font face à une critique si difficile qu’on a semble-t-il le devoir de crier au monde qu’ils sont géniaux. Mais évidemment, la qualité de ces productions est inégale. L’Espion qui m’a larguée n’est pas un chef d’œuvre, mais c’est un film chouette à regarder, qui nous présente un tandem féminin drôle et attachant. Il remplit sans problème et sans prétention son cahier des charges, et offre à ses spectateurs-rices une comédie enlevée, drôle et centrée sur une belle amitié.