La bande dessinée Pour l’amour de Dieu, Marie ! est une pépite, dans sa forme comme dans son fond. Sous les traits délicats de Jade Sarson, Marie prend vie sous nos yeux, et son histoire nous touche profondément. Résolument féministe et queer, cet ouvrage nous offre un moment de grâce, à savourer.

 

Marie voit le monde en couleurs, vives, mouvantes. Sa perception de la complexité humaine est, à son grand désarroi, bien souvent incomprise par celles et ceux qui l’entourent, à commencer par ses parents. Car Marie a de l’amour à revendre, et elle aspire désespérément à le partager. Mais sa capacité à aimer totalement est maintes fois reçue avec la froideur des matins d’hiver. Dans Pour l’amour de Dieu, Marie !, c’est un bout de son histoire, des années 1960 aux années 1990, que l’on investit.

Il y a dans la bande dessinée de Jade Sarson une allégresse, une aura d’authentique exaltation qui nous souffle dès les premières pages, lorsque l’on rencontre son héroïne. On la suit dans son quotidien au sein de l’institution catholique anglaise, où elle est élève. Des enseignements de l’Église, Marie retient qu’il faut aimer son prochain. Et l’affection de la jeune fille s’exprime, entre autres, dans le partage de son corps avec celles et ceux qu’elle chérit avec la plus grande pureté. Pourquoi provoquerait-elle le courroux de Dieu, quand son temps est dédié à l’expression de sa tendresse pour son entourage ? Et pourtant, c’est à des nonnes sévères que Marie doit se confronter chaque jour et à son père intolérant et étroit d’esprit. Alors, elle navigue entre joie et peine dans la réalité terne de la société patriarcale qui la voit grandir et, malgré les insultes et les critiques, continue d’être elle-même avec enthousiasme et résilience.

La dessinatrice Jade Sarson peint son univers aux couleurs de celui de Marie. Aux tons de la rosée du matin se succèdent ceux de l’aube et du crépuscule, avec une attention particulière portée à l’esthétique et à sa signification, comme une manifestation de l’expérience existentielle de l’héroïne. Au cœur de la palette vibrante et changeante, la seule constante est le doré de la chevelure de Marie. Le trait est sûr et délicat à la fois, texturé, et l’on peut déceler dans le chara design des influences venues du Japon, baignées de la culture des comics étasuniens. Les expressions et la morphologie des personnages sont retranscrites avec énormément de justesse. Les illustrations sont magnifiques, portant le récit avec grâce, comme une émanation de la personnalité de Marie et de sa sexualité joyeuse. Autour d’elle, les gens vont et viennent, et pour certain-e-s, restent. Chacun-e est élaboré-e avec soin, ce qui, en tant que lectrices et lecteurs, nous affecte intensément. Agnès, Annie, Colin, Prannath, et surtout William, s’animent pour compléter la constellation de la protagoniste, son cosmos intérieur. On crée du lien avec eux et elles, avec le sentiment de les connaître davantage au fil des pages, de les comprendre un peu mieux grâce à un simple mouvement de main. Celles et ceux qui croisent Marie sont emporté-e-s dans un tourbillon, et nous avec. Qu’elle se promène dans un parc ou passe une nuit torride avec un-e amant-e d’un soir, les images fleurissent et défilent dans une aura de douceur apaisante.

Pour l’amour de Dieu, Marie ! est une bande dessinée comme il en existe trop peu : bienveillante, drôle, déchirante, intelligente et brillamment queer. Jade Sarson y célèbre celles et ceux qui aiment avec sincérité, en mettant en scène des sexualités multiples, émancipées et heureuses. Mais l’autrice explore aussi les conséquences de la répression sexuelle, des institutions religieuses, du racisme, du slut-shaming, des mentalités conservatrices sur la construction de jeunes personnes en quête de liberté. Pour autant, jamais dans notre lecture a-t-on l’impression que Sarson cherche à remplir le cahier des charges de la bonne créatrice féministe. Il n’y a rien de forcé, de factice. Il émane de son ouvrage une réconfortante simplicité, l’univers qu’elle imagine naît d’une vérité qui lui est intime. Elle permet à ses personnages de se développer, d’évoluer sous son crayon gracieux. C’est une portion de vie qu’elle représente, emplie de la chaleur de l’autre et, parfois, du goût doux-amer que nous laisse le réel. Par instants, ce livre ressemble à nos jours et à nos nuits.

Les histoires se focalisant sur des protagonistes bisexuelles sont encore incroyablement rares dans la littérature. Et quand celles-ci s’épanouissent sous le regard et dans l’imaginaire de créatrices talentueuses, l’on se sent comme privilégié-e-s. Marie est une femme libre, peut-être trop pour son temps, et chaque page rend justice à ce qu’elle est. Les passages érotiques côtoient avec délice les scènes du quotidien, et il semble que l’on parcoure le récit d’une existence dans sa forme la plus honnête. Transporté-e-s par Marie, on apprend à regarder le monde avec ses yeux, où chaque personne est singulière, importante. Où chacun-e incarne un être potentiel à aimer tout entier, corps et âme.

 


Image de une : © Jade Sarson
Pour l'amour de Dieu, Marie ! Couverture du livre Pour l'amour de Dieu, Marie !
Cambourakis
01/05/2019
240
Jade Sarson, Géraldine Chognard (traduction)
23,00 €

Elevée en Angleterre dans une école catholique, Marie Lovitt applique une conception bien à elle de l'injonction « Aime ton prochain » qui lui a été inculquée depuis son plus jeune âge. Généreuse, indifférente aux normes, Marie suit les élans de ses désirs avec une spontanéité qui enchante ceux qui en bénéficient, mais choque et déroute beaucoup d'autres, à commencer par ses parents.