Alors que s’écoule l’automne, Yan nous raconte les fausses frayeurs et les vraies angoisses, les monstres de notre époque et l’ambiance de fin du monde qui règne partout. Il explore ce qui risque de nous anéantir et ce qui pourrait bien nous sauver. 

 

Octobre est passé, les arbres rougis se dépouillent, le froid s’installe depuis Halloween. La fin du monde se profile. Du moins, la fin du vivant tel qu’on le connaît et du fléau de cette humanité grouillante. L’angoisse n’est alors plus tellement une question de fausses frayeurs et de courges creusées et bien davantage de souffrance réelle et de tombes excavées.

Les corbeaux parent les arbres, les pies cajolent et les feuilles s’envolent.

L’ogre ocre s’aventure à croquer dans la parure auparavant verdoyante. Toute la flore ondule comme à son ordinaire, malgré l’assaut. Elle se prépare à bien plus rude et craque, se contorsionne mais s’adapte, comme toujours jusque là.

Le solstice approche. Il rappelle à la terre les énergies dispersées, les renvoie dans les profondeurs en un repli stratégique, un repos, une hibernation glacée.

Mais en coulisse, l’apocalypse s’arme et s’amorce. Pas celle des contes, mythes et folklores. Pas celle emplie de trompettes, de valkyries et de messies. Une simple vague de flammes et d’eau – tout ce qu’il y a de plus tangible, tout ce qu’il y a de plus violent – prend son incommensurable élan. La submersion sera peut-être partielle, très probablement totale.

Toujours est-il qu’elle emportera tout, ou plutôt juste nous.

Paradoxalement, l’eau™ abondera alors, tout en venant à manquer. Elle se transformera en liquidités inutiles et en ego meurtriers. Elle ne sera plus douce, mais déchaînée, sous toutes ses formes, sous toutes les latitudes. Elle ne dormira plus et il sera trop tard pour s’en méfier. Le mur sera là, devant nos pieds.

Mais les corbeaux parent les arbres, les pies cajolent et les feuilles s’envolent.

Les croassements bercent la doucereuse transition. Entre ambre et orangé, l’extérieur se ternit tout en s’embrasant. Tout se charge en électricité, sorcellerie, créatures et autres revenants. Sous nos plaids, les mains autour d’une tasse réconfortante, nous côtoyons cette ménagerie et contemplons la vague, trop souvent sans la voir. Après tout, nous avons encore le temps.

Cela ne change rien pour elle, elle s’abat inexorablement, avec douceur et fracas.

Inexpugnable, elle s’invite déjà à l’intérieur, rendant insignifiants le mal et les maux antérieurs, profondément enfouis. Générant une angoisse constante bien plus sourde, elle balaye le confort et les festivités dont on préfère usuellement s’abreuver. La distraction ne fait plus effet. Se faire peur n’est plus une question de période de l’année ou de déguisement. Cela devient l’ordinaire un peu trop réaliste et dégoulinant de chaque seconde. 

Et pourtant, cette chère célébration de l’altérité, du différent, du monstre et de l’horrible pourrait devenir un refuge, un creuset apte à forger de quoi contrer l’écrasante inondation. Construire un sabbat permanent, bienveillant et en constante expansion pourrait – in extremis – faire barrage, contenir, parer. L’inclusion, le soutien et la chaleur flavescente, si spécifiques à la saison, se doivent de tenir bon, de devenir une réponse mystique inaltérable et permanente.

Seul ce filet nous évitera l’oblitération totale, pour que quelques solstices plus loin, les énergies refleurissent. Seuls les monstres et les corbeaux prévaudront.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • AquaTM, Jean-Marc Ligny, 2006
  • « Lullaby », Disintegration, The Cure, 1989
  • Frankenstein ou le Prométhée moderne, Mary Shelley, 1818
  • The Evil Within, Bethesda, 2014
  • L’automne

 


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