Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • The Fever Room: Epidemics and Social Distancing in “Bleak House” and “Jane Eyre” : pour tenter de comprendre nos émotions et les implications du confinement, pourquoi ne pas se tourner vers deux classiques de la littérature anglaise ? Dans le roman La Maison d’Âpre-Vent (1858), de Charles Dickens, Esther Summerson est atteinte d’une maladie transmissible, probablement la variole. L’auteur décrit parfaitement la difficulté de la distanciation sociale et du sentiment de solitude qu’elle peut amener, mais aussi sa nécessité. Jane Eyre (1847), de Charlotte Brontë, contient quant à lui « des leçons non seulement pour ralentir la crise du Covid-19, mais également pour ce qui pourrait arriver par la suite ». Jane, âgée de 11 ans, est en internat dans une école où le typhus sévit. Pour elle, qui n’est pas atteinte, « les cours ont été interrompus, les règles assouplies ». D’ailleurs, « certains des passages les plus évocateurs du livre décrivent le sentiment magique d’un-e enfant d’être soudainement laissé-e à elle ou lui-même, à observer le monde ». Dans le roman, les conditions délétères de l’internat s’avèrent être la cause principale de cette épidémie. Cela suscite l’indignation des gens et amène à la création d’un « nouveau bâtiment, de nouveaux règlements, d’une meilleure nourriture, d’un meilleur système ». Espérons qu’une fois que cette épreuve sera passée, l’on puisse dire la même chose de nos institutions. [The New Yorker] [ENG]
  • Has Capitalism Become Our Religion? : selon Marx, le capitalisme « noie les extases les plus célestes de la ferveur religieuse… dans l’eau glacée du calcul égoïste. Il extirpe de la vie humaine chaque goutte d’émerveillement et de magie et laisse à leur place un monde durci d’intérêts matériels et d’accumulation. » Cette interview passionnante de l’historien Eugène McCarraher donne à réfléchir. Pour lui, à notre époque moderne, le capitalisme a pris la place de la religion. Le nouveau monde créé par le capitalisme se caractérise non pas par le désenchantement, explique Daniel Steinmetz-Jenkins, « mais par une “migration du sacré” vers le royaume de la production et de la consommation, du profit et des prix, du commerce et des difficultés économiques. Le capitalisme, en d’autres termes, est la nouvelle religion, un système plein de superstitions enchantées et de croyances infondées, un système redevable à son propre clergé d’économistes et de gestionnaires, avec sa propre iconographie de la publicité et des relations publiques, et sa propre théologie politique, une vision de l’histoire et de la politique fondée sur l’inévitabilité du système capitaliste qui se répand dans le monde ». Eugène McCarraher développe : « Marx avait réalisé que l’argent était devenu une divinité, le créateur et le légitimateur de la réalité morale au cœur de la civilisation capitaliste. Dans Le Capital, le fétichisme de la marchandise devient le substitut capitaliste de la sacramentalité catholique : là où le sacrement guide la grâce divine par le biais d’objets matériels ou des rituels religieux, le fétichisme de la marchandise conduit le pouvoir de l’argent par une alchimie pécuniaire des objets. » Pour lui, « le capitalisme est une nouvelle forme perverse d’enchantement, un fourvoiement quant à nos désirs en faveur d’une manière sacramentelle d’être au monde. Cette sacramentalité perverse est visible dans l’entièreté de la civilisation capitaliste – avec la théorie du management, la conception industrielle, la publicité, l’économie ». Alors, où trouver des réponses, des solutions ? « Comme l’a dit Naomi Klein, nous avons vraiment besoin d’un “nouveau paradigme civilisationnel”, un paradigme dans lequel le monde, et en particulier les êtres humains, qui le peuplent et en font partie, ne sont pas perçus comme de simples colonnes sur des bilans comptables. C’est pourquoi je soutiens dans le livre que la tradition de l’anticapitalisme romantique contient l’un des trésors les plus humains et généreux de possibilités. » [The Nation] [ENG]
  • Notre corps, nous-mêmes : autonomie corporelle, écriture collective et transmission : un entretien avec Nina Faure et Nathy Fofana, membres du collectif qui a participé à la réédition du livre Notre corps, nous-mêmes, dont la version française initiale date de 1977. L’ouvrage original a connu plusieurs rééditions depuis sa première publication aux États-Unis. C’est « un objet qu’on se passe de main en main. Depuis la première version de 1969, cet objet a été transmis, réécrit, traduit dans de nombreux pays, par plusieurs générations. On y trouve les récits de femmes que l’on ne trouve pas ailleurs, dans des livres de médecine ». Les témoignages au cœur de l’ouvrage ont permis une véritable libération de la parole sur des sujets alors tabous, et qui, pour certains, le restent encore aujourd’hui. [Friction Magazine]
  • Joking about weight during social distancing isn’t helpful for eating disorder recovery : l’obligation de confinement fait ressortir bon nombre d’angoisses chez certain-e-s et augmente ainsi les risques de troubles du comportement alimentaire (TCA). Ce sujet est sérieux, et les blagues sur la potentielle prise de poids des personnes confinées pendant cette quarantaine ne sont pas drôles. Une diététicienne explique que les réflexions du type « Oh mon dieu, tu vas manger tous tes en-cas de quarantaine en une nuit » peuvent être dévastatrices pour les personnes qui souffrent de troubles de l’alimentation. D’autant plus que les TCA « découlent souvent d’un besoin de contrôler quelque chose, ceux qui ont des antécédents ou qui luttent actuellement contre ces troubles peuvent rechuter du fait que tout semble tellement hors de contrôle en ce moment ». [Mashable] [ENG]
  • « Le confinement risque de fragiliser encore plus le droit à l’avortement » : « Historiquement, les droits des femmes passent toujours en dernier en cas de crise ou de guerre », déplore Danielle Gaudry, militante au planning familial et membre du collectif Avortement en Europe, les femmes décident. Et de fait, la crise sanitaire que nous vivons risque de laisser de nombreuses personnes de côté, les contraignant à dépasser le délai légal pour l’avortement. Les risques sont nombreux et, en premier lieu, celui de mettre sa vie en danger pour interrompre une grossesse. Pourtant, le 19 mars 2020, le Sénat a refusé l’amendement socialiste proposant de rallonger provisoirement de deux semaines ce délai. Or, malgré les recommandations du Collège national des gynécologues et obstétriciens, affirmant que le droit à l’avortement doit être maintenu et les patient-e-s pris-e-s en charge, la situation est bien différente. Danielle Gaudry déclare avoir eu connaissance de retours inquiétants quant à la situation en Île-de-France et en Isère : « Un certain nombre d’hôpitaux ne répondent plus au téléphone. Des créneaux horaires permettant notamment de pratiquer des IVG chirurgicales ont également été supprimés dans les blocs opératoires. […] Il nous faudra dans tous les cas rester vigilants pour qu’il n’y ait pas de régression par rapport à la situation qui prévalait avant la crise sanitaire. » [France Inter]

 

Dans la bibliothèque et les oreilles de Deuxième Page

  • Passion podcasts, l’émission à écouter cette semaine : présenté par Andrea Rene, Brittney Brombacher et Kristine Steimer, trois amies travaillant dans l’industrie du gaming, What’s Good Games est le podcast à suivre si tu es fan de jeux vidéo. Les émissions sont enregistrées dans la bonne humeur, parfois avec des invité-e-s du monde du gaming et toujours d’un point de vue inclusif. Les présentatrices nous informent et nous donnent leurs avis et analyses sur les dernières sorties en date, les actualités et autres événements. Elles n’hésitent pas non plus à évoquer leurs propres expériences en tant que femmes dans cette industrie qui reste encore majoritairement un énorme boys’ club, tout en gardant un certain second degré face aux critiques négatives infondées qu’elles peuvent recevoir à (presque) chaque épisode. Alors, si tu veux rester à l’affût de l’actualité des jeux vidéo tout en passant un bon moment dans la chaleur et la bienveillance (et que tu comprends l’anglais), What’s Good Games est un must. Rendez-vous chaque vendredi sur toutes les plates-formes de diffusion pour ta dose hebdomadaire.

  • #Bibliotheque2P, le livre de la semaine : 1974, États-Unis. Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse William Randolph Hearst, est kidnappée contre rançon sur le campus de Berkeley par l’Armée de libération symbionaise (ALS), un groupe révolutionnaire marxiste. Contre toute attente, Patricia, devenue Tania, embrasse leur cause et prend les armes, plongeant l’opinion publique dans le chaos. Est-elle révolutionnaire ? Est-elle manipulée ? Aux États-Unis, on hésite. On se déchire et on ne comprend pas les agissements de cette jeune femme en apparence modèle. Dans son livre Mercy, Mary, Patty, Lola Lafon retrace cette histoire en créant le personnage fictif d’une sociologue, laquelle est chargée par l’avocat de Patty Hearst de faire un rapport sur sa cliente avant son procès. Elle y met en scène un dialogue entre plusieurs voix féminines : celle d’une professeure et sociologue américaine, Gene Neveva ; celle de Violaine, l’étudiante française qui l’assiste dans ses recherches ; celle de la narratrice, jeune femme française des années 2010 ; et évidemment, celle, énigmatique, de Patty Hearst. Lafon instaure un bras de fer temporel fascinant mené sur plusieurs générations de femmes. Son récit fictionnel est l’occasion d’une démystification du « cas Patty Hearst » : « Il y a un côté terriblement actuel au message transmis par Patty Hearst, cette figure de la jeune fille qui expose les travers du capitalisme. Elle fait peur, elle fait un choix incompréhensible, c’est un monstre social, car elle rejette tout ce qu’on est censé désirer. D’ailleurs, à l’époque, face à sa popularité auprès des jeunes, l’État américain a eu peur de la contagion. Ensuite, ce qui m’a fascinée dans la réaction de la presse et de l’entourage au kidnapping de Patty Hearst, c’est que la seule explication possible pour expliquer son geste a été le lavage de cerveau. Ça ne pouvait pas être autre chose, on ne pouvait pas imaginer que cette jeune femme pense par elle-même, elle devait être une victime, sinon c’était insoutenable », explique l’autrice. Habile, Lola Lafon mêle fiction, réalité et littérature dans un roman prenant, où l’opacité, les convictions et les désirs de chacune se mélangent à une enquête politique et sociologique. Exploratrice infatigable des zones d’ombres et des déclarations floues, elle livre une œuvre très fournie et documentée d’une grande élégance.

 

Les articles les plus lus sur Deuxième Page

  • Découvre 10 réalisatrices qui ont changé l’histoire du cinéma, un film après l’autre : chez Deuxième Page, on adore le cinéma et les films, et particulièrement quand ils sont réalisés par des femmes. Découvre nos réalisatrices préférées et leurs créations, aussi différentes qu’importantes.
  • Mémorandom #71 : Solitude : pouvons-nous trouver la paix et l’espoir dans la solitude ? Yan croit que oui et t’emmène dans les circonvolutions de son existence, accompagnée d’une solitude tranquille.
  • Fleabag, éloge aux femmes imparfaites : si tu ne connais pas encore Fleabag, on ne peut que te conseiller de t’y mettre. Brillante et drôle, cette série de Phoebe Waller-Bridge te plongera dans le quotidien d’une antihéroïne à notre image, qui ne s’excuse pas d’exister.
  • Journal du cancer, la résilience poétique selon Audre Lorde : Journal du cancer, c’est le récit cru et puissant du parcours de la maladie de l’autrice, poétesse et activiste Audre Lorde. Une œuvre magistrale et bouleversante que Pauline te raconte.
  • Broad City, une ode à la sororité sans compromis : une série, deux femmes et de l’amitié. À partir d’un pitch tout simple, Broad City a su franchir les limites des contraintes sociales imposées aux femmes et proposer deux héroïnes qui renversent l’ordre patriarcal.

 


Image de une :  Naomi Klein. © Kourosh Keshiri