Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • Avec Fatima Daas, naissance d’une subjectivité politique entre désir et rébellion : c’est immobilisé par le Covid-19 que Paul B. Preciado lit La Petite Dernière (2020), de l’écrivaine Fatima Daas. À partir de la lecture de ce roman qui exprime la difficulté à réconcilier deux identités soi-disant antagonistes (lesbienne d’un côté, et musulmane de l’autre), le philosophe entame une réflexion sur l’intersectionnalité et les angles morts d’un féminisme blanc calqué sur le modèle hétérosexuel, capitaliste et universaliste. « Il n’est pas possible de s’affirmer en tant que musulmane lesbienne sans nier l’un des deux termes : une bonne lesbienne est une lesbienne qui renie l’islam. Une lesbienne doit être une bonne femme de la nation. La bonne lesbienne se bat avant tout pour la liberté républicaine de “toutes les femmes”, et se dresse donc, avec une force égale, contre “l’esclavage” des femmes dans la prostitution et contre la “soumission” des femmes musulmanes – elle n’a même pas besoin de leur parler car elle considère qu’elles manquent de souveraineté puisqu’elles sont sous l’influence de la prostitution ou de l’islam. » [Mediapart]
  • Qui sont les « People of Praise », la communauté chrétienne de la juge Amy Coney Barrett ? : il y a peu, nous apprenions avec beaucoup de tristesse (et d’inquiétude) le décès de Ruth Bader Ginsburg, juge à la Cour Suprême américaine connue pour son progressisme et son engagement féministe. Nos craintes étaient fondées, puisqu’Amy Coney Barrett, « la magistrate choisie par Donald Trump […] appartiendrait en effet à une communauté chrétienne aussi conservatrice que méconnue : les “People of Praise” ». Parmi leurs principes, « les maris sont les chefs de leurs épouses » et « doivent prendre autorité sur la famille ». De plus, chaque membre « doit rendre des comptes à un conseiller personnel », donnant « des directions sur les décisions importantes (de la vie), y compris avec qui sortir ou se marier, où vivre, s’il faut prendre un emploi ou acheter une maison, et comment élever des enfants ». Néanmoins, Amy Coney Barrett n’a jamais publiquement évoqué cette appartenance, ce sont des membres de la communauté qui ont partagé cette information avec le New York Times. [RTL]
  • L’écologie nordique : mythe ou réalité ? : Lara Benattar propose dans cet article de déconstruire l’idéalisation des pays nordiques en matière d’écologie. Le « boréalisme » retranscrit le phénomène selon lequel « le Grand Nord serait construit en termes de supériorités morale, politique et économique et incarnerait les valeurs auxquelles les autres sociétés européennes devraient œuvrer à donner corps ». L’autrice évoque les aspects positifs que l’on peut reconnaître à ces pays, mais elle rappelle également que la réalité est plus nuancée. En plus d’une montée de l’extrême droite, si ces derniers « sont toujours classés parmi les pays les moins inégalitaires selon les classements mondiaux récents. […] La pauvreté est en progression et l’accès à des conditions de vie décentes et notamment au logement devient de plus en plus difficile ». Ainsi, « dans une perspective de transition écologique dans notre pays, on comprend qu’il est compliqué de se fixer une trajectoire en tant que société lorsque l’on prend pour modèle un monde dont on ne saisit pas la complexité ». [La fabrique écologique]
  • 3 espèces de poissons de retour à Paris : dans cette courte vidéo, le scientifique Bill François explique que « trois espèces de poissons reviennent à Paris : l’alose, le silure et le brochet ». L’alose par exemple « avait disparu de la Seine depuis 120 ans », et sans surprise, c’est l’industrialisation qui en était la raison centrale. Cette nouvelle pourrait paraître insignifiante aux yeux de certain-e-s, mais elle est cruciale face au nombre d’espèces en voie de disparition actuellement. Aujourd’hui, la principale menace reste la pollution plastique. [Brut.]
  • Silvia Federici : « Le fémi­nisme d’État est au service du déve­lop­pe­ment capi­ta­liste » : dans cette interview passionnante donnée à la revue uruguayenne Zur (traduite par Ballast), l’essayiste italo-étasunienne Sylvia Federici discute des mouvements féministes insurrectionnels tels qu’ils se présentent notamment en Amérique latine. Ceux-ci répondraient à l’isolement et à la fragmentation du vivant par le capitalisme néolibéral par une acception plus englobante et ouverte des corps, des individu-e-s et de leurs environnements naturels et sociaux. « Une perspective féministe est importante, précisément parce qu’elle se concentre sur ce qui est fondamental s’agissant des objectifs ou des conditions de la lutte : le changement qui s’opère, partout dans le monde, au niveau de la reproduction de la vie quotidienne, c’est-à-dire la reproduction sociale comme la reproduction domestique. La reproduction de la vie inclut en effet le travail domestique, la sexualité, l’affectivité, mais aussi l’environnement, la nature, la campagne, l’agriculture, la culture, l’éducation… Le féminisme touche à une gamme très variée de thématiques qui sont liées à la reproduction de la vie et se trouvent au fondement de tout changement social, à la racine de toute lutte. Il ne saurait y avoir de lutte victorieuse sans un changement de ces aspects les plus existentiels de la vie. » [Ballast]

 

Sur les écrans et dans la bibliothèque de Deuxième Page

  • Le jeu vidéo de la semaine : le studio DONTNOD (Life Is Strange, Remember Me) est revenu cette année avec un nouveau jeu : Tell Me Why. Tyler et Alyson, jumeau et jumelle, se retrouvent après dix ans de séparation à la suite du décès de leur mère pour enfin vendre la maison qui les a vu-e-s grandir. En vidant cette dernière, il et elle espèrent tourner la page, mais ce retour dans leur village d’enfance va faire ressurgir tout un tas de souvenirs aussi douloureux que révélateurs. Leur mémoire leur jouerait-elle des tours ? Peut-être que les causes et conséquences de cet évènement tragique vont plus loin que Tyler et Alyson ne l’imaginent. Dans le même style et avec le même type de gameplay que Life Is Strange 1 et 2, Tell Me Why garde cette douceur et amertume – autant dans la forme que le fond – indissociables des jeux les plus récents du studio. Le jeu était aussi énormément attendu puisqu’il est le premier à avoir un personnage transgenre, Tyler, comme protagoniste jouable. Son histoire le rend indispensable, et si sa transidentité est une partie essentielle de qui il est, elle est loin d’être l’unique chose qui le définit. D’ailleurs, affirmer qui l’on est en dépit de son passé et choisir de laisser quelque chose nous définir ou non sont les thèmes principaux du jeu. Durant une dizaine d’heures, Tell Me Why nous emmène dans les paysages magnifiques de l’Alaska, en retournant dans tous les sens les notions de famille, de passé et d’apparences. Et c’est une merveilleuse bouffée d’air frais.

  • #Bibliotheque2P, le livre de la semaine : pour allonger ta liste de lecture, on te propose le roman Evaron de Miana Bayani, autrice de romans pour ados et jeunes adultes. Evaron est facile à lire et bourré de références littéraires à presque chaque chapitre. On y fait la rencontre de deux personnages très attachants : Eva, qui change de lycée en cours d’année et qui n’a pas franchement envie d’y aller, et Aaron, le premier de la classe à qui tout paraît réussir. Évidemment, la réalité est bien plus complexe que cela. Eva n’est pas juste cette fille d’apparence nonchalante et froide, Aaron n’est pas juste ce « monsieur Parfait » que tout le monde admire. Derrière leurs masques respectifs, un grand mal-être se cache. L’une doit apprendre à vivre avec le deuil et s’autoriser à vivre à nouveau, l’autre doit apprendre à accepter l’abandon de ses parents et faire ses propres choix. Si tout semble les opposer, leur rencontre inattendue va leur prouver le contraire et les mener au plus loin de ce parcours initiatique qu’est l’adolescence. Tout au long des chapitres, on les accompagne dans leurs épreuves, leurs doutes, leurs pensées et on se sent très vite proche de ces deux personnages avec qui on arpente les rues de Paris.

 

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Image de une : Tell Me Why, développé par Dontnod Entertainment, 2020.