Nous sommes tou-te-s les auteurs-rices de nos vies. Mais que faire quand on n’arrive pas ou plus à en apprécier le personnage principal ? Quand on est bloqué-e dans un quotidien dont on ne comprend plus le sens ? Lorsque l’échéance tombe et que l’on comprend que certaines choses ne changeront jamais, il ne reste plus qu’à renouer avec soi-même pour réussir à avancer.

 

J’ai toujours pensé à moi à la troisième personne. Je m’observe de l’extérieur, comme plongée dans la lecture d’un roman à la narratrice omnisciente. Je m’intéresse à l’histoire, à ses enjeux et aux intrigues qui la composent, mais je n’arrive pas à m’identifier à l’héroïne du récit. Je n’arrive pas à compatir avec elle ou à m’y attacher. Il m’arrive bien sûr de la trouver intéressante, drôle, pertinente. Mais jamais vraiment à sa place. Jamais indispensable.

J’ai toujours pensé à moi comme à un excédant. De poids, de pensées, de paroles, de substance. Je suis la somme pesante de mes idées inutiles, de mes souvenirs douloureux et de mes projets avortés. Je suis le produit de mes peurs, de mes hontes, de mes incertitudes et de mes contradictions.

Quand j’étais plus jeune, j’avais l’impression d’être enfermée à l’intérieur de ma tête. Ça me rassurait, en un sens. Je parvenais à me détacher un peu de ce que je voyais, dans le miroir, dans les yeux des autres. Ce n’était pas moi. Moi, j’étais recroquevillée quelque part dans mon esprit, à l’abri des regards. Je n’étais pas celle qui était jugée, moquée, harcelée. C’était seulement un personnage que je pouvais commander à distance, une coquille vide sans réelle importance et qui n’était pas moi.

J’écrivais beaucoup, je lisais encore plus. De tout, tout le temps. Tout pour m’évader, tout pour oublier ce que j’étais pendant quelques heures. Je rêvais d’avoir quelque chose à montrer aux autres qui ne soit pas directement associé à l’image que j’avais de moi. De révéler un jour que cette fille insipide qu’ils et elles voyaient tous les jours n’était qu’une couverture, qu’en réalité, j’avais des pouvoirs surnaturels ou des compétences hors normes dont personne ne s’était douté. Un jour, on viendrait me chercher. Je serais reçue à l’Académie supérieure de Sorcellerie. Je serais happée dans les égouts pour une réunion importante avec Jerry. Je me rendrais compte qu’en me concentrant suffisamment, je pourrais déplacer les objets d’un bout à l’autre de la salle de classe par la seule force de ma pensée, jouant des tours à celles et ceux qui me cherchaient des noises. À la nuit tombée, revêtant mon loup, ma cape et mon bonnet à pompon, je me transformerais en Fantômette la justicière et j’œuvrerais contre les bandits.

Personne n’est venu me chercher. On ne m’appelait pas à la rescousse pour arrêter les méchant-e-s ou sauver la planète. Le temps est passé et je suis restée moi. Inlassablement moi. J’ai continué à me regarder agir, penser, parler, rire. Et contre toute attente, j’ai fini par m’apprécier, un peu. Le tableau a commencé à prendre des couleurs, touche par touche. J’ai fini par trouver ma personnalité plus tolérable, mon corps moins repoussant. J’ai compris qu’être indispensable n’était pas une obligation et que me rendre utile suffirait. Que je n’avais pas besoin de m’aimer d’abord pour pouvoir aimer les autres et entretenir des relations épanouissantes. Il fallait simplement que je réussisse à cohabiter sereinement avec moi-même. Je me vois et me verrai toujours de l’extérieur, mais je comprends maintenant que cette personne qui est moi mérite mon indulgence. Elle mérite que je lui laisse du temps pour guérir, pour se comprendre, pour progresser.

Rien n’est gagné, mais c’est avec un véritable espoir que j’entame ce nouveau chapitre de ma vie. Je le lirai un mot à la fois, une page après l’autre, curieuse de découvrir ce que me réserve la suite.

 

Œuvres et lieux cités :

  • Totally Spies!, créée par Vincent Chalvon-Demersay et David Michel, 2001-2013
  • Amandine Malabul, sorcière maladroite, Jill Murphy, Gallimard Jeunesse, 1990  
  • Fantômette, Georges Chaulet, 1961-2011
  • Matilda, Roald Dahl, 1988
  • Une salle de classe

 


Image de une : © Jorm S – stock.adobe.com