Le poème de H. nous parle de courage et de lutte, d’opposition au masculin cruel et dominant. Comment ne pas être en colère quand nos corps et l’espace public sont vus par les hommes comme leurs territoires ? Mais la poétesse nous raconte aussi la sororité et l’amour, qui ne doivent pas être écrasés.

 

Deuxième Page lance son premier magazine papier, avec pour thème la colère ! On y parle de militantisme, d’histoire, de culture, de société, à travers des analyses, des tribunes, des critiques, des interviews, des chroniques ou encore de l’écriture créative. Tu peux te le procurer sur notre page Ulule. Pour accompagner notre financement participatif, nous publions sur notre webzine, et tout au long de la campagne, du contenu en lien avec la colère. Merci de nous soutenir !

 


Ce texte a été écrit en réaction à des propos lesbophobes tenus lors d’une soirée organisée par un collectif féministe. Il se veut une réponse à toutes les remarques et attitudes de ce type, qui existent dans tous les milieux.


/ ku.ʁaʒ /

      Mon corps est                                 quartier libre
Il ne sera jamais ton jardin privatif
ni la cage dorée d’un oiseau sans plumes.
À l’orée de la forêt,
      je ne m’arrêterai pas cette fois
Faut réfléchir, faux pas…
      faut pas fléchir
Je ne te raterai plus.

Je vais retirer la peur de mon ventre
je veux l’extraire de mon corps usé d’être
par et pour moi,
      une zone à défendre
pour elles,
      une zone à détendre parfois et je vois
l’espace se tendre
                                                                    je vois
l’espèce se vendre
pour des désirs déplacés et toi,
                                 homme inconnu je te vois
t’imposer à nous  et plaquer
ta logique sur nos envies,
sur nos vies tes idées.

Il faut tout vider, il faut tout replacer : alors comme ça, ça te dérange qu’on ne soit pas attirées par toi, ton mépris ta prétention ton intrusivité ?
S’attirer les foudres s’attirer soi-même tous les lauriers
ça tirait un peu sur mon regard éclair et sur mes envies pistolets
Moi tu sais je n’en ai rien à battre, j’ai tout à gagner et c’est ici     que je resterai
le couteau en poche, par elles attirées,
la flamme au fusil,  prête à tirer     alors oui :
c’est toi qui aurais dû te barrer, te faire la malle
avant de te retrouver pris dans les filets, criblé par tes propres réflexions à deux balles.

Confiance :
si l’on retourne l’idée,
si je me retourne m’aider
dans les tragiques, détruire des cons
     des cons  fuir
     des con-fluences
Ma langue sera toujours pour celles qui mouillent devant la liberté
ma salive, c’est pour elles
pas pour la gâcher
devant tes paroles-crachats que je laisse choir,
dents et mâchoire serrées.

Et si mon corps parfois est prix,
il te faudra alors payer
l’achat de mes minutes
     Lâche-moi
et laisse jouer les putes éprises
     avant qu’elles ne t’électrisent de leurs regards de sorcières,
     avant de geindre qu’elles t’ostracisent de leurs jeux adultères.

Dans la fatigue des corps luxés,
la lumière ne sera pas éteinte
Ton obscurité n’éclipsera pas mes étreintes.

Oui, mon corps est haine pour toi
et c’est l’autre que mon corps aime
     Corps-thème
je n’ai pas besoin que tu me traduises à moi-même
     Cortège
Procession funéraire pour ta mort cérébrale
cerveau serré pensées échaudées, faussées
                                                                      fossé, tombe dans le trou, clous dans les joues
                                                                                                                                               Joue ?
C’est l’heure de ma propre représentation et je ne veux pas de tes pièces
Des oboles pour ma mort, je ne mangerai pas dans tes restes.
Mon corps tèj, mon corps te jette mon corps t’éjecte
Organique-toi toi-même et ta pensée non recyclée
Ferme ta bouche d’égout, j’en ai tant vu de ces gueules
Beaucoup, beaucoup, beaucoup trop. Je vous dégueule tous,
haut et fort.

     Mon corps est                                                        un combat au-dessus de toutes ces barrières
L’œil derrière le barbelé et la main à l’interstice.
Ma main tant due pour celles qui ont su me toucher.
La main tendue pour celles et ceux qui m’ont tant donné.

Nos corps superposés dans le creux d’une accalmie, mes épines saignent de cette douleur inavouée
de cette douceur privée
                               Privée…
D’espace public
De tous ces roulages de pelle enterrés
          devenus par contrainte pudiques.

Du balais maintenant  ! Débarrasse le plancher
car c’est toi le corps étranger face à mon corps engagé
avec celui de quelqu’une d’autre
Il te faut dégager avant de devenir le corps étranglé
par ta propre sottise
avant de sombrer
dans tes propres vertiges.
Pars, laisse-moi danser dans les bras de mes ivresses
et toujours pencher
M’épancher, me penser
à travers elles l’échappée belle
                                                       se sauver…
Qu’elles m’embrassent encore, qu’on s’enlace encore
Qu’on se lance malgré la lassitude des regards insistants
Qu’on affirme le droit à nos espaces et à nos instants.

Tu sais, l’envers du décor c’est d’avoir le corps encore vert
Alors silence, on pousse
les portes d’un palais jusque-là closes, fermées à nos visages
quitte à les dégommer s’il le faut à coup de rage
Déconstruction solide et solidaire
pour réécrire les invisibles aux frontons d’un possible
                            pour mettre en doute leurs frontières.

Que nos bouches alchimisent encore ces expériences au goût de fer
car c’est quand les corps sont graphies que s’écrit le vécu de nos chairs.

Nos corps seront toujours                                                         des indomptables,
                                                des zones en friche,
des tiers-lieux
Et nos mauvaises herbes s’emparent du bâti stérile de ceux, hommes hystériques
qui n’osent jamais déconstruire leur pensée historique
et sanctifiée
Faut pas s’y fier
faut pas toujours
          pacifier
Oser car le cri y est, faut critiquer
Et si ce soir je mords, c’est aussi que je m’organise
Je peux rester polie mais je serai toujours politique, jamais lisse
jamais usée
Polimitrophe des catastrophes de la pensée acide
qui pleut sur tout, qui pleut sur nous
et qui  ne pourra plus surtout
empêcher les réalités d’exister.

Silence, car oui on ouvre
nos gueules
nos lèvres
nos bras
Et l’on dira nos pensées, on œuvre pour ça  –
Je braille, j’embraye
Oui, écrire c’est crier !

Qu’aujourd’hui je veux
                                          pouvoir embrasser sans m’embraser
                                          en dehors d’un foyer.

Je veux
               ma présence sans être exposée,
                      sans avoir à                     m’imposer
               la liberté dans mes actions,
                      sans avoir toujours à m’opposer…

Aux opprimé-e-s de s’exprimer car les corps abrasés ont encore à parler
Ils et elles commencent bien plus loin que là où vos perceptions tendent à s’arrêter.

Notre poing dans tous ces visages tordus par l’incompréhension
Trois petits points en suspension
qui écartent ce tissu humain pour nous créer
une brèche dans les structures revendiquées.

               Le point est sur une nouvelle ligne,
               Une (n)ouverture aux plus grandes ombres.


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