Dans notre magazine papier (dont l’on te parle ici), nous te présentons cinq meufs vénères dans la fiction. En attendant que tu découvres notre revue, voici le portrait d’une autre héroïne (car elles sont nombreuses) qui aurait pu y avoir sa place : Sana Bakkoush, le personnage le plus badass de la série norvégienne Skam.

 

Deuxième Page lance son premier magazine papier, avec pour thème la colère ! On y parle de militantisme, d’histoire, de culture, de société, à travers des analyses, des tribunes, des critiques, des interviews, des chroniques ou encore de l’écriture créative. Tu peux te le procurer sur notre page Ulule. Pour accompagner notre financement participatif, nous publions sur notre webzine, et tout au long de la campagne, du contenu en lien avec la colère. Merci de nous soutenir !

 

Mon adolescence a été peuplée de séries très loin de la réalité qui était la mienne, ou de celle de mes ami-e-s. De Skins à Pretty Little Liars, le traitement des adolescent-e-s à l’écran est la conséquence d’une vision fantasmée de cette période de la vie. Ces dernières années, la série norvégienne Skam (2015-2017) a changé la donne avec des personnages authentiques qui jonglent avec des préoccupations de leur âge : les cours, les histoires familiales, les relations amoureuses, mais aussi les troubles mentaux, la sexualité, l’identité et les croyances. Loin des dramas surfaits des shows américains, Skam aborde ces thématiques avec finesse et simplicité.  Et l’une de ses protagonistes se distingue tout particulièrement : Sana Bakkoush.

Cette héroïne a été une révélation pour beaucoup de jeunes musulmanes, lesquelles ont enfin trouvé un personnage de fiction leur ressemblant − même si elle ne représente pas toutes les concernées. Cette authenticité dans son interprétation et son traitement est en grande partie due à l’actrice qui l’incarne, Iman Meskini, elle-même musulmane, pratiquante et portant le voile. Son jeu, c’est sa vie. La quatrième saison lui est entièrement consacrée : celle-ci dépeint sûrement l’une des premières protagonistes féminines musulmanes de la pop culture occidentale pourvue d’une réelle complexité psychologique, sans que son identité ne devienne un moyen de la marginaliser dans le récit. Notons en effet que, bien souvent, si elles ne sont pas castées pour des rôles racistes, les personnes musulmanes sont cantonnées à des seconds rôles, comme dans les séries Degrassi : La Nouvelle Génération, Mr. Robot ou Faking It, pour ne citer que celles-ci.

Sana évolue dans un cadre familial bienveillant et est encouragée par ses parents à poursuivre ses projets. Et l’on ne va pas se mentir, il est agréable de voir enfin à la télévision une famille musulmane dans laquelle il n’y a pas de conflit parents-enfants ! C’est une jeune femme norvégienne et marocaine, passionnée par le basketball et les sciences. Féministe, elle est déterminée et sûre d’elle, et deux choses en particulier frappent chez elle : sa colère et son assurance. Sa foi inflexible, son intelligence, ses positions affirmées sont autant d’éléments qui forcent le respect pour ce personnage que rien ne peut ébranler. Elle ne fait aucun compromis avec celles et ceux qui la stigmatisent, qui slutshament son amie Vilde, ou qui profèrent des insultes homophobes à son ami Isak. Elle est toujours là pour défendre ce qui est juste, et mieux vaut ne pas croiser son regard noir ou subir son sarcasme cinglant lorsqu’elle est énervée. Sana a du répondant, et elle le fait savoir. Elle s’élève contre les représentations coloniales et paternalistes associées aux femmes de sa communauté.

Sa colère répond au contexte sociopolitique de la Norvège, dont les pratiques ne sont pas exemptes de discriminations. Tout au long de la série, Sana fait face à plusieurs problématiques que les personnes issues de l’immigration connaissent bien. Dans la première saison, elle se sent d’ailleurs souvent en décalage avec les autres. Parfois tiraillée entre ses différentes identités, qui peuvent être conflictuelles, elle a du mal à les allier. Et pour cause, puisqu’elle a grandi dans le racisme et l’islamophobie, et a été confrontée à leurs incarnations très concrètes dès son enfance. On apprend ainsi dans la saison 4 qu’elle a été harcelée au collège parce qu’elle portait le voile. Sa lutte contre l’injustice vient précisément des discriminations dont elle a été victime, et c’est sa colère qui a forgé son fort caractère.

Alors, l’islamophobie, elle la combat en étant fière de sa foi. Dans le premier épisode de cette dernière saison, alors que l’appel à la prière de son téléphone sonne dans le bus et qu’une femme blanche la regarde de travers, elle ne se fait pas petite face à elle et affronte son mépris jusqu’au bout. Sans complexes, elle fait ses ablutions et prie, toujours au rendez-vous lorsqu’il s’agit de se retrouver avec Dieu, même lorsqu’elle est en soirée avec des ami-e-s. Sa foi, libre et puissante, fait partie intégrante de sa personnalité. Fidèle à elle-même, elle ne l’abandonne jamais, là où d’autres séries ont échoué sur ce terrain, comme Elite ou Quantico. Aussi, elle montre qu’être musulmane n’implique pas d’être contrainte à choisir un type de vie prédéfini et que l’on peut s’amuser tout en respectant ses valeurs. Finalement, on voit très bien que Sana sait faire la différence entre culture et religion et n’est pas sans cesse tiraillée entre l’Orient et l’Occident. Elle accepte fièrement, au fur et à mesure de la série, son identité plurielle.

Le seul point décevant dans le traitement de son personnage est sa vie sentimentale. Si l’on apprécie qu’elle revendique clairement sa chasteté sans honte dans un univers où avoir des relations sexuelles hors mariage est une norme, on aurait tout de même pu attendre une romance avec un homme musulman. Or, Sana tombe amoureuse de Yousef, un jeune homme athée d’origine turque dont la famille est musulmane. Ce choix de romance s’inscrit dans une imagerie répandue et islamophobe selon laquelle une femme ne peut être heureuse avec un homme musulman, lequel serait, dans l’imaginaire colonial européen, autoritaire, oppressif et misogyne. De fait, les histoires d’amour entre personnes musulmanes n’existent pas dans les séries et les films occidentaux, et pour être respectueux et attentionnés, les hommes racisés doivent être éloignés de l’islam, ce qui en dit long sur la manière dont est considérée cette religion. Pire encore, lorsqu’une femme musulmane tombe amoureuse, c’est presque toujours du sauveur blanc non-musulman, qui pourra la protéger des griffes de son méchant père réactionnaire. Ici, Yousef n’est pas blanc, mais sa romance avec Sana s’inscrit néanmoins dans cette tradition raciste et islamophobe. Cependant, le rôle de Yousef en lui-même est intéressant et complexe car il ne ressemble pas aux personnages masculins racisés que l’on nous dépeint habituellement à la télé. Comme celui de Sana, il est authentique.

Malgré cela, le personnage de Sana fait énormément de bien et nous ferait presque oublier qu’il est fictif. On espère que d’autres héroïnes, profondes et complexes, feront leur apparition sur nos écrans et nous offriront enfin les représentations que nous méritons.

 

Pour d’autres portraits de femmes musulmanes dans les séries, on t’invite à lire l’article de Lallab et à regarder Unfair & Ugly, qui suit les aventures d’une famille musulmane sud-asiatique, sur YouTube.

 


Image de Une : © NRK