Le Festival de Cannes ne s’est définitivement pas trompé en décernant à Houda Benyamina la Caméra d’or 2016 (prix qui honore le meilleur premier long-métrage, toutes sections confondues) pour son film Divines. Sorti le 31 août, il détonne par l’audace de ses prises de vue et le talent de ses actrices, qui incarnent avec un naturel déconcertant la rage de vivre et de survivre d’une jeunesse en mal d’avenir.

 

Une banlieue parisienne. Des tours bétonnées aux murs décrépis. Des terrains vagues jonchés de débris en tout genre. Des guetteurs, des dealers et des sirènes de police. Voici le décor un peu terne de Dounia (Oulaya Amamra est une révélation) et de sa meilleure amie Maimouna (Déborah Lukumuena), deux filles prêtes à tout pour atteindre leur rêve de vie bling-bling. « Money, money, money », telle est leur devise. Et elles la scandent haut et fort, jusque dans les salles de classe de leur lycée professionnel où elles préparent un BEP hôtesse d’accueil. Mais pour quel salaire ? Le SMIC, tout au plus. Trop peu pour Dounia, qui n’a pas de temps à perdre et déjà d’autres combats à mener.

Divines, réalisé par Houda Benyamina (2016) © Diaphana Distribution

Divines, réalisé par Houda Benyamina (2016). © Diaphana Distribution

Insolente, la jeune fille ose lancer à sa professeure un « Je ne veux pas finir comme vous ! » Dans cette scène, Dounia ne tonnerre pas, non. D’une rage folle, elle déclame. Filmée en contre-plongée, debout sur une table, telle une héroïne antique, elle enchaîne avec dextérité les attaques contre son interlocutrice, qui finit désarçonnée. Fin de la tirade, elle claque la porte sous les applaudissements de son auditoire. Turbulente, faisant fi de la bienséance, énergique et gouailleuse, Dounia est ainsi présentée dans toute son entièreté dès les premières minutes.

 

« Tu caresses, puis tu frappes »

La douceur, Dounia en est aussi capable. Quand elle est avec Maimouna, amie bienveillante et fidèle. « La nuit, je rêve que je tombe. Jai mal. Et le seul moyen pour que ça s’arrête, c’est de m’effondrer sur le sol », lui confie-t-elle un soir, en crapotant sur un joint mal roulé. Et Maimouna de lui répondre : « Si tu tombes, je serai toujours là pour te rattraper. » Quand elles sont ensemble, le monde entier semble leur appartenir. Rien ne les effraie, pas même Rebecca, la caïd du quartier qui va leur proposer de participer à son trafic de drogue pour se faire de l’argent facile. Dounia accepte, entraînant son amie avec elle.

Divines, réalisé par Houda Benyamina (2016) © Diaphana Distribution

Divines, réalisé par Houda Benyamina (2016). © Diaphana Distribution

Car comment résister à l’appel du dieu tout puissant Money quand on vit dans une roulotte délabrée, sans eau courante ni électricité depuis vingt ans ? Oui, la vie de Dounia est loin d’être aussi rose que celle des stars qu’elle regarde par la petite fenêtre de son téléphone portable. Mais Rebecca pourrait bien changer les choses. Un peu plus âgée qu’elle, cette super nana qui arbore un pistolet tatoué à la nuque l’impressionne. Badass à l’allure de gangster façon Scarface, Rebecca « a du clito », selon son expression, et maîtrise tous les codes de la féminité, son arme la plus « redoutable ». « Tu caresses, puis tu frappes. » Un antithétique mais efficace enseignement qu’elle va transmettre à sa protégée.

 

Les anges se cachent pour sourire

Néanmoins, très vite, Dounia se rend compte qu’elle a refermé le piège sur elle-même. À trop vouloir se rapprocher du soleil, on se brûle les ailes… La beauté de Dounia est flamboyante, mais ce sont sa hargne et sa volonté ferme de s’en sortir coûte que coûte qui priment. Comment faire les bons choix ? Plus aucun retour ne semble possible une fois la jeune fille lancée dans sa quête de richesse. Elle s’embourbe, se prend les pieds. Pourtant, Dounia tente de saisir sa chance avec le ténébreux Djigui. Ce danseur déterminé finira par faire en sorte que ce diamant brut se révèle à elle-même. « Je mappelle Dounia, Dounia ! » lui clame-t-elle dans une scène magnétique et sans baiser, à la lueur d’un supermarché.

Divines, réalisé par Houda Benyamina (2016) © Diaphana Distribution

Divines, réalisé par Houda Benyamina (2016). © Diaphana Distribution

La danse, le laisser-aller, le lâcher-prise, c’est finalement tout cela qui permet à Dounia de s’évader. Sur une musique tantôt lancinante, tantôt entraînante, elle suit les pas de Djigui sans jamais vraiment se donner à lui. Elle joue le jeu, puis abandonne. L’héroïne tragique part alors retrouver sa cité qui l’appelle. On la voit seule, et la bande-son emprunte des airs aux musiques cantiques. Et du haut des tours impassibles, des voix s’élèvent. Celles de Dounia et des autres – prisonnières de leur propre rôle – qui, suffocant sous un ciel bas et lourd, tentent désespérément de toucher le ciel.