Dans Après l’hiver, Guadalupe Nettel explore d’une façon profondément espagnole la figure de l’« être-au-monde », au sens où l’entendait le philosophe allemand Martin Heidegger : celle ou celui qui se préoccupe d’abord des autres. Elle décrit l’art de vivre au quotidien avec les mort-e-s, les mourant-e-s et les malvivant-e-s. Pour mieux affronter ses angoisses…

 

L’histoire se déroule à New York et à Paris, et met en scène deux Latinos, lui Cubain, elle Mexicaine, enfermé-e-s dans leur solitude de névrosé-e-s, aptes à ne s’ouvrir qu’à plus mal en point. On ne saurait pas que le livre est traduit de l’espagnol, on le devinerait ! La mort y est en effet omniprésente – comme dans la culture espagnole –, hante les deux protagonistes et a, comme il se doit, le mot de la fin. La vie pourra alors continuer.

Commençons par le commencement, dans l’appartement de Claudio à New York : « C’est un couloir de pierre qui a tout d’une cellule où je n’ai mis aucune plante, car tout ce qui est vivant suscite en moi un dégoût inexplicable. […] Ce qui est vivant est pour moi une menace, il faut en prendre soin sinon ça meurt. » Personne d’autre que lui n’y entre et ne vient troubler l’ordre maniaque qui compense son désordre psychique.

Chez Cécilia, à Paris, c’est autre chose. La jeune étudiante n’a pas d’aversion pour la vie, mais une fascination pour les sépultures. Elle observe les tombes comme d’autres regardent passer les gens, y trouvant réconfort et remède à son ennui. Elle nous dit d’emblée la raison de cet attachement, le départ de sa mère lorsqu’elle était enfant, mais peu importe ! Ce qui compte, c’est la narration de son hiver glacial dans un appartement vétuste avec vue sur le cimetière du Père-Lachaise, « le seul paysage qu’on pouvait admirer ».

Claudio et Cécilia vont se rencontrer dans la capitale française par l’intermédiaire d’Haydée, une amie commune et néanmoins bonne vivante ! La Franco-Cubaine fera d’ailleurs un enfant, alors qu’entre les deux amant-e-s potentiel-le-s, il ne se passera pas grand-chose… Le Cubain s’enlisera dans une histoire sans amour avec une grande bourgeoise dépressive, et la Mexicaine accompagnera un malade incurable jusqu’à sa mort.

Raconté comme cela, il y aurait de quoi décourager les plus grand-e-s amateurs et amatrices de littérature tragique, mais non, ce n’est pas dur, ce n’est pas triste, c’est juste intrigant, comme toute situation morbide. « Que va-t-il se passer ? » se demande-t-on à chaque chapitre, en lisant tantôt Claudio, tantôt Cécilia… Ce livre est en effet comme le journal d’un-e proche disparu-e : on le découvre bouche bée, on veut en savoir davantage, comprendre, et finalement on est stupéfait-e par ses révélations.

Avec Après l’hiver, Guadalupe Nettel m’a fait penser à cette autre histoire d’un auteur de nouvelles dont j’ai oublié le nom. Un homme est persuadé que s’il retourne dans une ville, il en mourra. Il doit pourtant se résoudre à y aller. Pris de panique, il se jette hors de la voiture qui l’y conduit et se tue. C’est un peu ce qui arrivera à Claudio, sauf qu’il survivra et sera rassuré. ¡Viva la muerte!

Quant à Cécilia, elle renaîtra de ses amours funèbres au printemps, en renouant avec son enfance à travers la fille d’Haydée : « Je me suis dit que, comme le printemps succède à l’hiver et nous permet, année après année, d’oublier sa rigueur, il y aurait toujours des enfants pour jouer et courir sur les tombes de nos morts. Et que c’étaient eux, les enfants, qui savaient le mieux sinon les condamner à l’oubli, du moins raviver notre envie de vivre, malgré leur douloureuse absence. » ¡Viva la vida!

 

Après l’hiver Couverture du livre Après l’hiver
Buchet Chastel
08/09/2016
304
Guadalupe Nettel, François Martin (traduction)
21 €

Claudio, exilé cubain de New York, a une seule passion : éviter les passions. Cecilia est une jeune Mexicaine mélancolique installée à Paris, vaguement étudiante, vaguement éprise de son voisin, mais complètement solitaire. Chapitre après chapitre, leurs voix singulières s’entremêlent et invitent le lecteur à les saisir dans tout ce qui fait leur être au monde : goûts, petites névroses, passé obsédant. Chacun d’eux traîne des deuils, des blessures, des ruptures. Lorsque le hasard les fait se rencontrer à Paris, nous attendons, haletants, de savoir si ces êtres de mots et de douleurs parviendront à s’aimer au-delà de leurs contradictions.