Le nez perché au-dessus de quelques volutes de lait, Nina pense à ce que l’on attend de nous, humain-e-s, avant même d’être né-e-s. 

 

J’étais perchée dans mon nid, à servir des chocolats chauds dans un café à Montorgueil. Et je rêvais. C’était un drôle de royaume, aux exhalations de lait et de pâte de cacao. Je n’ai jamais eu d’enfant. Sans doute n’en aurai-je jamais. Je pense à ça et je me demande : « Ne serais-je pas moi-même pétrie de lait ? » Et ce lait serait chaud, et le chocolat aurait le goût de mes tétons.

Je perçois une certaine chaleur dans le fait de donner le sein à un-e enfant. Il y a là l’image de quelque chose de tendre et d’à la fois si commun. Il semble qu’en faisant cela, l’on puisse être gentiment ramenée à l’état de chair pensante, de chair qui sent. C’est naturel et exquis, d’une banalité sublime.

Mais l’amour d’une mère, n’est-ce pas au plus haut degré une chose émouvante ? Je l’imagine, cet-te enfant qui n’est pas. Si tu es une petite femme sauvage, une jeune Mowgli, je te nommerai Vent. Si tu es un petit homme de sagesse, un petit Isobel islandais, je te nommerai Feu. Mais peut-être ne seras-tu ni l’un ni l’autre. Peut-être seras-tu diamant dans la connaissance des choses, et que tu me surpasseras.

Je ne suis pas mes propres attentes. Je ne veux pas non plus être la personne qu’on me destinait à devenir. Et toi, petit être, petit-e humain-e qui aura tant à apprendre et à porter, tu ne seras pas ce que j’attends de toi. Pourquoi en serait-il autrement ? Pourquoi le voudrais-je différemment ? J’aime tout dans la différence que tu seras aux yeux du monde.

En attendant, je t’apprends les mathématiques de Stella Baruk au royaume des breuvages chauds. Et je rêve de porter mes rêves dans des formes que je n’ai pas.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • Jeu et réalité : L’Espace potentiel, Donald W. Winnicott, 1975
  • Le Livre de la jungle, Rudyard Kipling, 1894
  • Isobel, Björk, 1995
  • Dictionnaire de mathématiques élémentaires, Stella Baruk, 1995
  • Quartier Montorgueil, Paris