Cette semaine, Lucie parcourt les prisons, réelles et fantasmées, matérielles et intérieures de personnes variées. Tous ces gens n’ont-ils pas un point commun ? Ne nous racontent-ils pas des histoires de liberté ?

 

– Maman, c’est quoi le bagne ?

C’est un endroit où, jadis, on enfermait les gens qui avaient fait de grosses bêtises. Pour les forcer à travailler. 

Je me souviens d’avoir posé cette question quand j’étais petite. De la réponse de ma mère, j’en conclus que le bagne était une grande usine remplie de méchant-e-s. Mais un peu plus tard, Albert Londres m’a fait découvrir ce lieu qui broyait les forçats, les nuances du sujet et les aspects complexes d’une mécanique millénaire. Point de salut sur les îles du Salut, à Cayenne ou à Tataouine.

Dans ses récits trépidants qui décrivent des humain-e-s emprisonné-e-s dans des geôles sans libération conditionnelle ni date de sortie, Londres nous fait vivre l’enfermement dans ce qu’il a de plus littéral et tragique. Mais ces prisonniers-ères, dans leur malheur sans fin, n’« ont qu’une idée fixe : la liberté ».

Puis Malik m’a à son tour initiée à la prison, tout comme le ténébreux Miguel. Et de m’apercevoir que la geôle allait au-delà de grands bâtiments remplis de cellules : la prison cristallise tant de complexité… Elle est, semble-t-il, une communauté, une civilisation en soi. Il y est question de vouloir en sortir et, paradoxalement, n’envisager que d’y rester, rester auprès des siens.

Entre cliquetis des menottes, des clés passées dans ces grosses serrures, et bruits sourds des portes blindées, la prison se matérialise parfois par une structure. Mais elle est également un corps, une norme, une convention ou un jeu du cerveau.

Et puis, l’enfermement n’existe pas sans son corollaire : la liberté, si irréelle qu’elle ressemble à un abîme. Elle nous fait peur. Sans doute toi aussi vis-tu tous les jours accompagné-e par « the wall », cette prison mentale avec laquelle chacun-e fait corps… The wall, c’est poser des barrières de cristal entre moi, toi, lui et elle, construire des murs réels et fantasmés pour neutraliser les différences, uniformiser, et fermer les portes qui ne demandent qu’à s’ouvrir à l’infini.

Nous sommes tou-te-s un peu prisonniers-ères. Sauf peut-être celles et ceux qui osent fuir, les marginaux-ales éveillé-e-s à la conscience de soi et des autres. Mais face au risque de vivre l’aventure de la liberté, nous voilà à voler au-dessus d’un nid de coucou, enfermé-e-s par la loi de la majorité.

Et ta prison, elle ressemble à quoi ? L’évasion est prévue pour quand ?

 

Œuvres citées :

  • Au bagne, Albert Londres, 1923
  • Un prophète, Jacques Audiard, 2009
  • El Marginal, Sebastián Ortega et Adrián Caetano, 2016
  • The Wall, Pink Floyd, 1979
  • Vol au-dessus d’un nid de coucouMiloš Forman, 1975
  • L’Armée des 12 singes, Terry Gilliam, 1995