Il y a dans la poésie de Karoline von Günderode une sorte de douleur totale et acceptée. La poétesse romantique du XIXe siècle semblait rédiger les boucles délicates de ses lexies une ombre au-dessus de l’épaule. Comme hantée par un désir noir lui soufflant son inspiration telle une brise légère, pour soudain se transformer en tornade. Son œuvre, si méconnue en France, est pourtant d’une singularité incomparable. Il y a dans ses poèmes la violence d’un double qui nous possède tou-te-s, qui se libère peu à peu, sublimé par le talent de cette femme de génie infiniment regrettée. 

 

C’est une ride, là, au coin de ton œil. Un trait si délicatement dessiné qu’il pourrait me mener jusqu’à l’origine du monde. Une fente guidée par on ne sait quelle force mystique, et qui, par endroits, s’échappe à sa guise. Elle est éprise de liberté, cette ride.

Qui aurait pu soupçonner que ce pli vieillissant symbolisait mon existence ?

Et pourtant, c’est sur ton visage que j’ai trouvé la mienne. Il était là, sous mon nez, ce sens tant recherché par les êtres humains. Si seulement j’avais pu hurler à travers le temps et l’espace qu’enfin, oui, moi, j’étais détentrice de la réponse à cette démente question : quel est le sens de la vie ? Tout droit, avec des arrêts et des tournants ici et là.

Tout droit te dis-je, ô sage, si tu ne regardes pas sur les côtés. Tu peux avancer dans le silence de l’Autre, tu peux trouver le sens de la vie en ne regardant jamais en arrière, en avançant, débile, jusqu’au but même du non-sens, et te conclure dans la terre, dans le feu ou dans les airs.

Mais j’ai vu cette ride sur ton visage, et là, l’Autre était en moi. Il m’a dévissé la tête et m’a fait prendre du recul, il m’a donné une perspective et m’a poussée dans les virages, m’obligeant à découvrir les dessous nus de ma perception, m’empêchant de revenir en arrière. J’ai plongé dans une ride et commencé un voyage dans le temps. J’y ai vu le passé, le présent et l’avenir, j’y ai trouvé mon cadavre pourrissant et mes autres vies, j’y ai vu la bêtise de l’humanité et la survie de l’existence, dans les branches d’un arbre et la nervure d’une feuille. J’ai trouvé l’harmonie en contemplant la finitude de ma chair et en m’agenouillant devant l’immortalité du cosmos.

Annabelle Gasquez

 


[TOUT EST-IL MUET ET VIDE]

Tout est-il muet et vide ;
Plus rien ne m’est Joie ;
Parfums, sans exhalation aucune,
Airs, sans souffle aucun ;
Si lourd est mon coeur !

Tout est-il ruine et désert ;
Inquiets mes cœur et pensée ;
Je désire, ne sais quoi ;
Sans cesse m’émeus,
Ne sais où !

Une image de la main du Maître
A exilé ma pensée ;
J’ai vu l’Aimable,
lointain et toujours proche,
Mon âme sœur.

Un son en mon cœur repose,
Qui réinvente le courage,
Comme un souffle de flûte un Mot,
Clair et haut résonne encore,
Apaise le flux des larmes.

Du printemps fidèle les fleurs
S’épanouissent une nouvelle fois ;
Non comme le bonheur de l’amour,
Las, il ne revient pas –
Beau, mais non fidèle !

L’amour peut-il être si contrariant
Pour se tenir ainsi loin de moi ?
Le plaisir peut-il être si douloureux,
L’infidélité si sincère ?
Ô délice, ô peine !

Phénix de la grâce,
Tes ailes t’emportent au loin
Vers les rayons du soleil,
Las, qu’est-ce pour toi
Que ma peine solitaire ?

Karoline von Günderode, Rouge vif, poésies complètes traduites de l’allemand
et présentées par Olivier Apert, éditions de la Différence, 1992

 

[Ist alles stumm und leer]

Ist alles stumm und leer;
Nichts macht mir Freude mehr;
Düfte, sie düften nicht,
Lüfte, sie lüften nicht;
Mein Herz so schwer!

Ist Alles so öd’ und hin;
Bange mein Herz und Sinn;
Möchte, nicht weiß ich was;
Treibt mich ohn’ Unterlaß,
Weiß nicht, wohin!

Ein Bild von Meisterhand
Hat mir den Sinn gebannt;
Seit ich das holde sah,
Ist’s fern und ewig nah,
Mir anverwandt.

Ein Klang im Herzen ruht,
Der noch erquickt den Muth
Wie Flötenhauch ein Wort,
Tönet noch leise fort,
Stillt Thränenfluth.

Frühlinges Blumen treu
Kommen zurück auf’s Neu;
Nicht so der Liebe Glück,
Ach, es kommt nicht zurück –
Schön, doch nicht treu!

Kann Lieb’ so unlieb sein,
Von mir so fern, was mein?
Kann Lust so schmerzlich sein,
Untreu so herzlich sein?
O Wonn’, o Pein!

Phönix der Lieblichkeit,
Dich trägt dein Fittig weit
Hin zu der Sonne Strahl,
Ach was ist dir zumal
Mein einsam Leid?


Tracklist :

  1. Florence + The Machine – Delilah
  2. Chelsea Wolfe – Carrion Flowers
  3. Goat – It’s Time For Fun
  4. Marissa Nadler – So Long Ago And Far Away
  5. Tess Parks – Friendlies
  6. Billie Holiday – Good Morning Heartache 
  7. Angel Olsen – Intern
  8. Jesca Hoop – The Lost Sky
  9. Julia Holter – Feel You
  10. Sharon Van Etten – Our Love
  11. Courtney Barnett – Depreston
  12. Black Market Karma – Aheeha
  13. Lucy Dacus – Dream State…
  14. Emma Ruth Rundle – Heaven

 


Pour celles et ceux qui préfèrent Spotify, c’est par là.


Image de une : Audrey lying away on black lace, 2011. © Nadav Kander