Que dirais-tu d’une société où les hommes ont réduit les femmes en esclavage dans l’unique but de procréer, sous prétexte d’infertilité généralisée ? C’est la vision proposée par The Handmaid’s Tale, une série adaptée du roman de Margaret Atwood, La Servante écarlate, publié en 1985. Une réalité alternative qui peut difficilement laisser indifférent-e.

 

[Attention, cette critique contient des spoilers relatifs au scénario de cette série au contenu sensible (viols, meurtres, violences machistes).]

Écrit il y a plus de trente ans, La Servante écarlate a des airs d’anticipation et résonne aujourd’hui plus que jamais en nous. Diffusée sur Hulu, son adaptation, The Handmaid’s Tale, est une série créée par Bruce Miller qui nous présente un futur dystopique dans lequel l’infertilité aurait gagné sur l’humanité, la programmant à disparaître peu à peu.

Située à la croisée de 1984, de George Orwell, des Fils de l’homme, de P. D. James, et de la morale traditionnelle et rigoriste de tout fondamentalisme religieux, The Handmaid’s Tale nous montre une société où, comme dans notre réalité, les droits des femmes ont été durement acquis. Et ils étaient si fragiles qu’il a suffi d’un rien pour que la population se retrouve plongée dans une dictature. Margaret Atwood met en scène ici l’un des modèles de société les plus terribles de l’histoire de l’humanité jamais imaginé.

The Handmaid's Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

Un régime totalitaire où l’organisation sociale est soumise à une lecture rigoriste d’un livre sacré. Où les guerres, les meurtres, les punitions et autres mutilations sont justifiés par des versets de cet ouvrage.

Compte tenu des nombreuses crises (politiques, sociales, écologiques, religieuses, morales…) qui secouent nos sociétés actuellement, The Handmaid’s Tale pourrait donc sonner comme un avertissement.

 

Jeux de pouvoir

June (Elisabeth Moss) nous raconte son quotidien de Servante à Gilead, qui sert de décor à la série. Les femmes se divisent en trois catégories : les Épouses qui sont femmes au foyer, les Servantes qui sont fertiles et intégrées dans les foyers dans l’unique but de procréer, et les Martha qui sont des domestiques ou qui travaillent pour la communauté. June, en tant que Servante, s’est vu retirer tout libre arbitre et toute identité : elle s’appelle désormais Defred (Offred en VO, littéralement « à Fred »), puisqu’elle appartient au Commandant Fred Waterford (Joseph Fiennes).

Les hommes sont, eux, divisés en deux catégories : les Commandants qui dirigent les foyers et s’accouplent avec les Servantes, et les « Yeux » qui font respecter la loi. Ces derniers assurent un service de surveillance généralisé, s’infiltrent dans chaque maison et rendent chacun-e paranoïaque, la moindre faute étant sévèrement punie.

The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

En théorie, les Commandants sont les seuls qui peuvent assurer une descendance. Mais l’infertilité n’a en réalité rien à voir avec le sexe ou la classe sociale. Et inutile de dire que dans cette société brutalement patriarcale, aucun de ces hommes de pouvoir ne peut s’imaginer stérile…

C’est donc le danger du sexisme et de la misogynie qui est central dans The Handmaid’s Tale. Ce sont les mêmes thèmes qui sont vivaces dans nos sociétés actuelles. On le voit par exemple avec les propos sexistes et dégradants de certain-e-s de nos dirigeant-e-s politiques, qui valident et perpétuent la culture du viol, comme Donald Trump lorsqu’il parle « d’attraper les femmes par la chatte ».

Pierre Sérisier, dans un article pour Le Monde des séries, valide cette théorie : « Il ne s’agit que d’un hasard du calendrier, mais la sortie de cette adaptation prend une pertinence inattendue aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump. On ne reviendra pas sur ses remarques sexistes, sur la manière dont le président parle des femmes, ni sur son goût pour les démonstrations de sa propre masculinité : les photos du milliardaire assis dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche entouré par une cohorte de sbires en cravate ont fait le tour du monde. »

The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

Dans cet univers, les violences envers les femmes sont récurrentes, qu’elles soient physiques ou psychologiques. C’est un moyen de les garder en situation de soumission. Évidemment, les hommes de pouvoir dans la série cherchent au quotidien à maintenir ladite domination d’une manière bien plus transparente que dans notre réalité (quoi que…).

 

Une propagande biblique…

Dans The Handmaid’s Tale, les femmes sont considérées comme la cause de cette débâcle : toute la débauche et la perversion amenées par l’avènement de la libération sexuelle, du féminisme, de la contraception ou encore du recours à l’IVG auraient, selon les Fils de Jacob (le mouvement fondamentaliste à l’origine du coup d’État), fini par mettre Dieu en colère. Il aurait donc puni l’humanité en baissant drastiquement le taux de natalité, refusant de voir grandir des enfants dans ce monde.

Afin de pallier cette destruction annoncée, un groupe d’hommes décide alors de reprendre le contrôle en créant des lois qui, peu à peu, privent les femmes de leurs droits, pourtant acquis depuis plusieurs décennies. Cela commence par la privation de leur corps et de leurs libertés : elles ne peuvent plus travailler et se retrouvent dépossédées de ce qu’elles ont − le tournant étant l’interdiction d’avoir un compte en banque. Leur quotidien se soumet au bon vouloir de leur compagnon, de leur père, de leur frère. D’hommes, dans tous les cas.

Les manifestations en réaction à ce nouveau modèle de société sont en outre violemment réprimées, empêchant les citoyen-ne-s de se rebeller contre ces injustices. Des purges ont ensuite lieu : les enfants sont séparé-e-s de leurs parents, les femmes fertiles sont envoyées dans des « centres de formation », dans lesquels des Tantes leur apprennent leur rôle et les nouvelles règles.

Tante Lydia (Ann Dowd) est l’une d’elles. Pouvant se montrer tour à tour insultante et bienveillante, elle a pour fonction de rééduquer ces « ventres sur pattes », en utilisant des techniques de manipulation mentale mêlant humiliations, slut-shaming, violences… tout en vantant le caractère béni de ces pratiques ignobles.

The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

Par conséquent, les femmes fertiles n’ayant comme seul objectif d’enfanter, la binarité de genre est la stricte norme. L’homosexualité est en effet considérée comme une « traîtrise à son genre ». Les gays et les lesbiennes stériles sont puni-e-s de mort, mais les femmes fertiles sont excisées. Car d’après Tante Lydia, « on ne peut désirer ce que l’on ne peut avoir » (saison 1, épisode 3). De toute façon, ici, l’amour n’existe pas, c’est un concept marketing selon Fred Waterford : « L’amour n’est pas réel. Ce n’était… rien de plus que du désir avec une belle campagne de pub » (saison 1, épisode 5). Seule la destinée biologique compte.

Pourtant, les relations entre les Servantes et les Commandants sont le plus souvent ambiguës et complexes. Chaque mois pendant la période d’ovulation de ces dernières est organisée une Cérémonie, qui n’est rien de moins qu’un viol. Ce terme n’a pas été choisi par hasard : le mot « cérémonie » balaye ainsi la notion de consentement, et permet aux Commandants de coucher avec une autre femme que la leur − d’ailleurs présente durant les viols et se rendant ainsi complice. Si au cours de la Cérémonie, ces relations de domination hommes-femmes sont perpétrées dans une soi-disant volonté de procréation, l’hypocrisie est totale lorsque les Commandants, symboles de l’autorité de cette société et donc de l’oppression des Servantes, entretiennent des relations avec elles en-dehors des Cérémonies. Quoi qu’il arrive, elles sont perdantes et oppressées, soumises au bon vouloir de leur Commandant.

The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

Par le biais de sa réalisation, la série montre particulièrement bien l’oppression que vivent ces femmes, enfermées dans des costumes rouges, vivant dans des espaces limités. Les couleurs, le cadrage et la mise en scène proposés par Reed Morano (la réalisatrice des trois premiers épisodes) montrent parfaitement l’emprisonnement de June et de ses consœurs. Il devient alors facile d’imaginer comment, dans une société patriarcale totalitaire, les femmes peuvent en très peu de temps devenir les boucs émissaires des hommes.

 

… causée par les dérives sanitaires et écologiques

L’effondrement de la fécondité a en réalité certainement été causée par la pollution, les cultures OGM, les perturbateurs endocriniens et autres produits chimiques. La thématique écologique est sous-jacente dans The Handmaid’s Tale, et s’avère d’une importance fondamentale dès lors que l’on comprend que les violences réelles et psychologiques envers les femmes sont juste un moyen pour les hommes de créer une société dans laquelle ils ont un pouvoir sur la vie.

Ce qui résonne particulièrement bien dans notre monde par ailleurs, c’est que des recherches récentes tendent à démontrer qu’il y a aujourd’hui une baisse du taux de la fertilité. Une étude universitaire israélienne sur la reproduction humaine, menée par le docteur Hagai Levine, montre que « la concentration de sperme chez des hommes vivants aux États-Unis, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande a diminuée de 59,3 % entre 1973 et 2011 », rapporte ainsi France Info. Et ce n’est pas la seule. D’autres recherches, relayées par Le Point, vont dans ce sens, notamment à cause de l’utilisation des glyphosates, comme le Roundup, de Monsanto : « Une étude sur les rats a montré un effet négatif sur la fertilité des mâles, notamment des anomalies au niveau des spermatozoïdes et une baisse de la fertilité. »

Étant donné que ce sont majoritairement des hommes qui se trouvent à la tête de ces multinationales, comment ne pas considérer qu’ils n’ont pas un pouvoir sur la vie bien plus important que les personnes avec un utérus ? Le fait de produire plus, mais mal, a déjà des conséquences sanitaires, qui n’ont a priori pas été anticipées. Et la réponse des pouvoirs publics se fait attendre, à cause de la pression importante des lobbies pharmaceutiques et chimiques, mais aussi des agriculteurs-rices, devenu-e-s dépendant-e-s des désherbants et autres pesticides.

The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

La Servante écarlate a été écrit il y a plus de trente ans, mais il apparaît aujourd’hui que Margaret Atwood avait vu juste dans tous les aspects de son roman. Si l’on n’y prend pas garde, la dystopie et la réalité peuvent ainsi parfois se rejoindre.

 

Conte politique ou futur possible ?

The Handmaid’s Tale a parfois des airs de conte cruel. Et comme tout conte, il a sa morale : nous devons avoir conscience que nos droits sont précieux. Pas seulement en tant que femmes, les hommes pouvant également souffrir de ce type de situation.

Maintenant, je suis éveillée face au monde. Avant, j’étais endormie. C’est comme cela qu’on a laissé faire. Quand ils ont massacré le Congrès, on ne s’est pas réveillés. Quand ils ont blâmé les terroristes et suspendu la Constitution, on ne s’est pas non plus réveillés. Ils disaient que c’était temporaire. Rien ne change instantanément. Dans une baignoire dont la température monte graduellement, vous allez mourir par ébouillantage avant de vous en apercevoir, explique ainsi June dans l’épisode 3 de la saison 1.

The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, 2017. © Hulu

Comme cela est démontré dans The Handmaid’s Tale, et comme cela est déjà arrivé dans notre monde bien réel, nos libertés sont fragiles. Le terrorisme, les guerres, les démocraties renversées, les lois de restriction promulguées, l’impossibilité de quitter son pays, les opposant-e-s tué-e-s ou réduit-e-s en esclavage… Cela nous paraît lointain, mais n’oublions pas que les régimes totalitaires existent encore de nos jours (Corée du Nord, Tchétchénie…).

En ayant tout ceci en tête, on comprend aisément que cette série nous fascine autant qu’elle nous met mal à l’aise. Le système patriarcal et capitaliste dans lequel nous vivons, et qui se ressent dans les aspects les plus intimes de nos vies, peut nous mener à notre perte.

La démocratie est instable. Nous nous devons d’être vigilant-e-s. Nous sommes toutes et tous les gardien-ne-s de nos droits, lesquels nous permettent de vivre dans notre modèle de société. Si celle-ci n’est pas exempte de défauts − loin de là −, notre possibilité d’agir plus librement qu’ailleurs fait de nous des privilégié-e-s. Pourtant, si Handmaid’s Tale nous rappelle quelque chose, c’est que rien n’est acquis. Il y a liberté, et liberté. Le progrès n’est certainement pas une ligne droite exponentielle.