Rencontre avec la créatrice de mode Chinasa Chukwu, qui, par le biais de sa marque de vêtements Weruzo, œuvre à préserver son héritage nigérian et un certain savoir-faire artisanal dans le tissu. La jeune femme montre ainsi qu’il est possible de donner une conscience à une structure économique. 

 

Chinasa Chukwu est la fondatrice et directrice artistique de Weruzo, une « marque reflétant une approche réfléchie d’un héritage nigérian dans la Grande-Bretagne contemporaine grâce à un design qui se concentre sur la discrétion et l’artisanat ». Cette approche dont parle Chinasa Chukwu s’incarne dans ses créations, une juxtaposition de tissus et de techniques traditionnelles comme parachutées dans l’ère contemporaine − ou quand distinction rime avec dépouillement.

Une marque comme Weruzo se distingue par sa vision singulière, imprégnée d’une conscience historique. Son enfance, Chinasa Chukwu l’a passée en voyageant entre l’Angleterre et le Nigeria. Entre deux réalités. Grâce à la création de vêtements, la jeune femme s’adresse à son héritage : elle veut actualiser une tradition et une compétence anciennes « en ajoutant des mélanges de soie pure, de laine mérinos, d’alpaga et de fils de coton organiques au processus de tissage ». Pour cela, la fabrication passe par la préservation d’un savoir-faire artisanal africain, en utilisant notamment l’Akwete – une étoffe tissée igbo – comme tissu distinctif de ses créations. Weruzo représente donc un travail de mémoire et de bouleversement de cette dernière, le tout avec un infini respect.

Chinasa Chukwu est une businesswoman avec une volonté militante très forte. En tant que rédactrice de mode du magazine XXY − lequel mêle culture, mode et politique −, elle aborde des sujets aussi centraux que le colorisme et les normes de beauté actuelles. Sa « philosophie est d’aspirer au meilleur, de créer un travail qui a un sens », et il semblerait qu’elle ait réussi.

 

Le féminisme, c’est quoi pour toi ?

L’égalité. Le respect des choix des autres et des nôtres, ainsi que le combat contre les discriminations de toutes les communautés marginalisées. Cela implique souvent d’aborder des discussions difficiles, pas seulement dans l’espace public, mais aussi dans sa famille ou avec ses ami-e-s, afin que l’on puisse collectivement décortiquer nos préjugés.

Haut Zinaida et jupe Mariya. (© Weruzo)

 

 Quelle a été ta rencontre avec le féminisme ? 

Je ne me souviens pas d’un moment précis, mais je me remémore la première fois où j’ai pris conscience du fait que les femmes et les hommes avaient des rôles différents, du moins en société.

Enfant, j’étais fascinée par les bâtiments et la construction. Mon père avait des piles et des piles de magazines avec des plans de bâtiments, et je les feuilletais sans arrêt, au point que j’ai décidé de devenir architecte. J’ai partagé cette décision avec des ami-e-s de la famille, qui se sont plus ou moins moqué-e-s de moi et m’ont expliqué que ce n’était pas un travail pour les femmes, et que je serais plus avisée de choisir autre chose. J’étais trop jeune pour remettre ce principe en question, alors j’ai juste abandonné l’idée.

En grandissant, je suis devenue très déterminée, et on m’a conseillée de m’adoucir. J’ai tout entendu (et je l’entends encore) : on m’a dit que ce n’était pas féminin d’être aussi résolue, que je me comportais comme un homme, ou que j’étais de pierre. À la fin de mon adolescence, je m’en suis simplement lassée, et j’ai choisi de réagir.

 

Quelles sont tes actions au quotidien pour lutter contre les inégalités ?

J’essaye de parler plus librement quand je vois des actions problématiques. Si une conversation en rapport avec les représentations que l’on se fait les un-e-s des autres, ou avec les stéréotypes, me met mal à l’aise, je fais davantage d’efforts pour trouver une solution, la gérer, plutôt que d’y mettre fin. Je pose des questions et tente de partager mes réflexions et certaines interrogations, car il est possible de remédier à l’ignorance des gens. Tu ne sais pas ce que tu ignores, jusqu’au moment où tu poses la question.

Haut Amarachi et jupe Ogechi. (© Weruzo)

 

Quel est le livre indispensable que tu prendrais avec toi sur une île déserte ? 

Le plus gros ouvrage de poésie que je pourrais trouver. J’ai malheureusement trop de livres préférés pour réussir à faire un choix.

 

 Être une femme au XXIe siècle, c’est comment ?

Stimulant et terrifiant. Stimulant car tu sais que même s’il y a encore énormément de problèmes dans le monde aujourd’hui, nous pouvons plus facilement former une communauté dans l’optique d’opérer un changement. Tu peux être une militante, et tu n’as plus besoin d’être aussi solitaire qu’avant pour cela.

Et terrifiant parce que beaucoup de gens se satisfont de leur inaction. Ils acceptent le statu quo. Ces personnes pensent que nous avons dépassé les problématiques liées à l’égalité. Elles refusent d’en voir les nuances, celles présentes au sein des préoccupations qui y sont attachées. C’est la raison pour laquelle certain-e-s sont plus agacé-e-s d’être accusé-e-s de sexisme ou de racisme, par exemple, que par le sexisme ou le racisme eux-mêmes. Ces personnes pensent que tout cela appartient au passé, mais ce n’est pas le cas.

Robe Maechi Weruzo. (© Luke Freeman)

 


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