Avec « The Tsuranga Conundrum », Doctor Who nous propose l’épisode le plus sci-fi de sa nouvelle saison, mais pas forcément le meilleur. La série souffre du poids de scènes d’exposition trop nombreuses, freinant son véritable potentiel. Pour autant, tout n’est pas à jeter. La réalisation, le Pting et les arcs narratifs des personnages principaux viennent adoucir la critique.

 

[Spoilers, duh.]

« Whole worlds pivot on acts of imagination. »

Team TARDIS is back, en pleine exploration d’une planète-décharge, équipée de détecteurs à métaux. Des fouilles aux résultats mitigés, puisque Graham découvre une mine sonique, laquelle explose (forcément), les envoyant sur le Tsungara, un vaisseau spatial dédié aux urgences médicales (sorte de SAMU de l’espace)… et au 67e siècle ! À bord, la Doc et ses compagnon-ne-s font la rencontre du personnel soignant, Astos (Brett Goldstein) et Mabli (Lois Chimimba), mais aussi d’autres patient-e-s, la Générale et neuropilote Eve Cicero (Suzanne Packer), son frère Durkas (Ben Bailey-Smith) et son androïde Ronan (David Shields), ainsi que Yoss (Jack Shalloo), un Gifftan enceint jusqu’au cou.

La Doc, malgré le fait que son corps se rétablisse lentement, ne tient pas en place. Elle veut retrouver son TARDIS (encore). En inspectant la salle des commandes de l’engin autopiloté en compagnie d’Astos, elle réalise rapidement que quelque chose se dirige dangereusement vers eux. Le vaisseau est heurté de plein fouet par une entité alienne appelée Pting, une espèce de Pokémon énergivore au bubble butt le plus cute de l’univers, mais aux actions dévastatrices. La preuve : la créature affamée détruit les nacelles de sauvetage et tue Astos dans la foulée.

Doctor Who, saison 11, épisode 5, écrit par Chris Chibnall, réalisé par Jennifer Perrott, 2018. © BBC Studios

Une fois la menace clairement identifiée, le groupe tente de trouver un moyen de l’appréhender. Le problème ? Un contact direct avec la peau toxique du Pting les condamnerait et, bonus, celui-ci est capable d’ingérer tout ce qui n’est pas organique. Tout le monde s’attelle à la tâche. Yaz et Ronan se chargent de défendre la source d’alimentation du vaisseau. Graham et Ryan, eux, aident Yoss – qui a perdu les eaux – à accoucher, avec l’assistance de Mabli. La Doc, la Générale et Durkas cherchent de leur côté à reprendre les commandes manuelles grâce aux talents d’ingénieur de Durkas et de navigation d’Eve. Malheureusement, cette dernière souffre d’une maladie du cœur (et du futur) liée à son métier, et ce pilotage improvisé est son dernier.

Par chance, la Doc comprend que le Pting n’a qu’un but : se nourrir. Elle décide de l’attirer avec la bombe présente dans le Tsungara – destinée à l’autodétruire en cas d’urgence. Un plan dont elle est plus ou moins convaincue, mais qui finit par fonctionner. La bombe détonne, laissant le Pting rassasié se faire gentiment expulser dans l’espace. Sur le trajet du retour, la Doc, Yaz, Ryan et Graham se joignent aux autres pour rendre hommage à Eve, le temps d’une prière.

 

Food for thoughts

« The Tsungara Conundrum » est un épisode clé, puisqu’il marque la moitié de la saison. Pour Chris Chibnall, c’est l’occasion idéale de nous présenter une nouvelle créature totalement whoesque : le Pting. Ce petit alien – né de l’imagination de Tim Price – confirme mes observations sur « Arachnids in the UK ». Dans mon récap, je commentais notamment la fabrication des « méchants » de ce relaunch, argumentant que chacun incarne un concept ou une idéologie. Le Pting enrichit ce constat et questionne notre conception d’un « bon méchant » dans la fiction. Doctor Who refuse de céder à la facilité avec ses antagonistes. L’alien n’est pas cruel, il n’a pas de mauvaises intentions. Il veut s’alimenter. On est loin d’un manichéisme un peu crétin, d’une opposition simpliste entre bien et mal. Et cette vision peut à la fois être la faiblesse et la force de la série en fonction de la structure narrative qui supporte ces figures d’opposition. Le Pting cherche simplement à survivre, aux dépens des passagers-ères du vaisseau (too bad!). Mais que représente-t-il au fond ? Et peut-on même le qualifier de « méchant » ? C’est là les interrogations qu’espère provoquer le scénariste.

Un autre fait marquant depuis le début de la saison, et que ces 50 minutes viennent confirmer : on ne nous épargnera rien. Je n’ai pas compté le nombre de décès, mais la liste est longue. Fini l’époque du « Everybody lives, Rose! Just this once, everybody lives! » Pour autant, ces disparitions ne sont pas gratuites, elles ont une fonction narrative, décisive dans la construction des histoires et des protagonistes. La perte d’Astos permet à Mabli de s’affirmer, la mort d’Eve permet à son frère de s’émanciper – lequel est enfin reconnu par sa sœur. Et parallèlement, la naissance du bébé de Yoss – qui ne pense pas pouvoir élever un enfant – donne à Ryan l’opportunité de mieux comprendre l’absence de son propre père et d’analyser ce vide dans son existence.

Doctor Who, saison 11, épisode 5, écrit par Chris Chibnall, réalisé par Jennifer Perrott, 2018. © BBC Studios

Concernant la réalisation, « The Tsungara Conundrum » est sans doute mon préféré. L’attention portée aux détails ajoute à la puissance d’un récit finalement assez primaire de science-fiction et lui donne un niveau de lecture un peu plus poussé. Cela est particulièrement le cas quand on nous oblige à regarder les expressions faciales d’Eve en train de piloter plutôt que l’extérieur du vaisseau, ou lorsque la Doc décrit le fonctionnement du propulseur à antimatière. La caméra s’attarde sur ses mains, son visage, son émotion, alors qu’elle s’exprime avec emphase : « I love it! Conceptually… and actually. » D’ailleurs, cet épisode encore très présentatif est peut-être le premier où le public peut plus concrètement découvrir des traits de caractère clés de la Doctoresse. Pensant avoir perdu son TARDIS – sa maison, comme elle le dit, mais aussi la maison de ses acolytes –, elle devient assez égoïste. Elle est promptement remise à sa place par Astos. À côté de cela, la gallifreyenne de Jodie Whittaker continue de faire preuve d’une grande empathie, mais aussi d’une fascination pour les mécanismes de ce qui l’entoure. C’est une science nerd de compète. Plus l’on avance et plus elle joue le rôle d’une professeure attentive aux remarques et suggestions de ses élèves. Elle les prend par la main, oui, mais elle les laisse aussi libres de leurs propres choix. Pédagogie, j’écris ton nom.

Enfin, parlons du Dalek dans le magasin de porcelaine. Pour rédiger ces récaps avec le plus de liberté possible, je m’abstiens de lire toute critique de cette nouvelle saison. Mais je peux en deviner certaines, comme la politisation du show, qui n’hésite pas à aborder frontalement des sujets en lien direct avec la justice sociale. J’entends déjà pleurer à chaudes larmes dans un fandom que je ne connais que trop bien. Mais Doctor Who a toujours parlé de nos sociétés et des questionnements qui le traversent. Avec les choix faits depuis « The Woman Who Fell to Earth », l’équipe de Chinball semble dire haut et fort : la lutte contre l’oppression commence par toi, là, avachi-e dans ton canapé. Le temps consacré aux personnages, les thématiques des épisodes sont consciemment choisies. Quelquefois, cela manque d’un peu de finesse. Mais c’est aussi rattrapé par l’intelligence globale de l’écriture, par la vision de Chinball que l’on peut sentir en permanence. En déplaçant le curseur majoritairement sur le Docteur, Moffat avait coupé un lien crucial d’empathie chez les spectatrices et spectateurs (que T. Davies avait passé quatre saisons à construire). La série était, entre guillemets, plus facile d’accès. Plus rentre-dedans. La version actuelle a davantage tendance à s’attarder sur ce que l’on appelle péjorativement les petites gens, les personnes lambda. Toi, moi. Elle demande ton implication, mais aussi que tu arrêtes de te raccrocher à la figure d’un-e sauveur-se pour résoudre les problèmes de l’humanité. C’est donc à l’opposé de toutes les tendances actuelles, des créations adeptes de super-héros aussi simplistes que les solutions qu’ils proposent. Et c’est bien là ce qui me plaît énormément dans ce nouveau Doctor Who, malgré les maladresses, les fins et ouvertures souvent bancales, l’exposition permanente, les difficultés de rythme et un montage parfois cafouilleux. J’aime ce Doctor Who « conceptually and actually ».

« The Tsuranga Conundrum » se termine avec une prière, nous rappelant que dans les moments les plus sombres de l’histoire, il nous faut incarner la lumière, que la spiritualité peut se manifester de bien des manières. C’est aussi l’espoir de jours meilleurs. Et je suis prête à pardonner beaucoup de choses pour quelques minutes de magie télévisuelle : « May the saints of all the stars and constellations bring you hope as they guide you out of the dark and into the light on this voyage and the next and all the journeys still to come. For now and evermore. »

 

En vrac

  • « Generally, truth is always your best option. »
  • Je suis très amoureuse de Graham. Voilà, c’est dit.
  • « A doctor of medicine? » « Well, medicine, science, engineering, candyfloss, Lego, philosophy, music, problems, people, hope. Mostly hope. »
  • Les petits choix subversifs dans les actions des personnages constituent l’une des forces de ce Doctor Who, qui tente de déconstruire les attentes du public. Dans cet épisode, par exemple, alors que Graham et Ryan jouent les doulas, Yaz garde l’alimentation du vaisseau et assomme le Pting.
  • Malgré mon enthousiasme général pour la série, le fait que chaque épisode marque un « lancement » dans un nouvel univers ou s’attaque à un genre différent pèse lourd sur les épaules du show. L’exposition est encore très présente à la moitié de la saison. J’ai hâte de découvrir la prochaine, en espérant que cette exposition soit bel et bien terminée et que l’équipe d’écriture se libère réellement de certains impératifs.
  • J’aime beaucoup l’idée qu’une créature aussi mignonne que le Pting puisse potentiellement anéantir tout mon environnement en l’espace de 5 minutes. Long live the Pting!
  • What’s up avec les choix de costume de Durkas ?
  • La plus grosse interrogation de l’épisode est : qu’est-ce que le conundrum (« énigme » en français) du Tsungara ? Car la Doc dit se souvenir de ce nom, mais on ne sait pas pourquoi. De même, Astos semble avoir détecté quelque chose en la scannant, mais mystère et boule de Pting, aucune info supplémentaire pour nous aiguiller.

Le cinquième épisode de Doctor Who, saison 11, a été diffusé sur France 4 le jeudi 8 novembre 2018 à 22h45 en VOST.