Aujourd’hui, « The F-World » fait le portrait de Marie Tussaud. Une entrepreneuse et créatrice qui a réussi à s’imposer comme artiste de la sculpture sur cire, passant plus de trente ans sur les routes à présenter son travail. De sa chambre des horreurs à ses musées aujourd’hui emblématiques et présents un peu partout dans le monde, Deuxième Page explore la vie passionnante de Madame Tussaud.

 

« La capacité de Tussaud à donner vie aux portraits était essentielle à la tradition de son salon, et la cire était centrale pour son processus. En maniant de façon experte un matériau souvent stigmatisé par un milieu universitaire dominé par les hommes, elle a non seulement atteint un plus grand succès général et financier que la plupart de ses contemporaines, mais elle a surtout créé une forme d’art unique. […] Plus que tout, son histoire dévoile les moyens essentiels par lesquels les femmes pouvaient de manière artistique, ingénieuse et professionnelle naviguer au cœur du monde révolutionnaire.* » – extrait d’un essai consacré à Marie Tussaud, par Paris Amanda Spies-Gans, 2017.

 

Marie Tussaud naît le 1er décembre 1761 à Strasbourg, en France, sous le nom de Marie Grosholtz. Très tôt, elle s’installe à Berne, en Suisse, où sa mère – veuve – travaille comme femme de ménage chez le docteur Philippe Mathé-Curtz, dit Curtius. Ce dernier est spécialisé dans l’anatomie et réalise des mannequins de cire pour les écoles de médecine. Son talent l’amène à se reconvertir et, vers 1765, il déménage à Paris pour se consacrer à son art. Marie et sa mère le rejoignent deux ans après.

Âgée de 6 ans, Marie commence à apprendre la céroplastie avec Curtius, qu’elle considère comme son oncle. Elle est incontestablement douée. Dans la capitale, à partir de 1770, Curtius travaille au sein de son propre cabinet de figures, le Salon de Cire, situé boulevard du Temple, qui devient rapidement un lieu de rencontre pour les personnes les plus en vue de Paris et les intellectuel-le-s. Au XVIIIe siècle, les figures de cire sont une attraction populaire. Marie poursuit son apprentissage et, en 1777, seulement âgée de 16 ans, la jeune femme réalise son premier portrait de cire, celui de Voltaire. Impressionné, Curtius décide de l’employer au sein du salon.

Durant la Révolution française (1789-1799), Marie et le salon du boulevard du Temple sont au centre des événements politiques. Les bustes du Duc d’Orléans et de Jacques Necker sont empruntés du cabinet par la foule lors des émeutes des 12 juillet 1789. Les gens paradent dans les rues, simulant les obsèques des deux hommes. Ce sont là les prémisses de la Révolution française et du premier sang versé. « Après la prise de la Bastille (14 juillet 1789, ndlr), Tussaud a modelé des douzaines de masques mortuaires, y compris ceux de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de Robespierre. Tout porte à croire que les têtes décapitées lui étaient souvent amenées directement de la guillotine, bien que de temps en temps elle soit allée au cimetière pour rechercher ses sujets – selon la rumeur publique, sous les ordres secrets de la Convention nationale », explique l’universitaire Paris Amanda Spies-Gans dans un essai fascinant. Marie modèle les têtes en cire de nombreuses personnes impliquées dans la Révolution, qui sont ensuite exposées dans le salon.

En 1794, à la mort de Curtius, Marie hérite du Salon de Cire de son mentor, qu’elle gère avec aplomb. Un an plus tard, elle épouse François Tussaud. Une union surtout destinée à renforcer son positionnement social. Il et elle ont deux enfants. Malgré le fait qu’elle doive gérer un mari apathique, son salon et ses fils, Marie s’en sort, même si les temps sont durs (son époux n’est pas loin de provoquer la faillite économique du business). Au début du XIXe siècle, elle rencontre Paul Philidor, un illusionniste allemand qui fait des fantasmagories avec sa lanterne magique (un des premiers à l’utiliser). Impressionné par la précision des portraits de cire de Marie, il lui propose un contrat pour créer un spectacle commun au Lyceum Theatre, à Londres. Alors qu’elle ne parle pas un mot d’anglais, elle décide de tenter sa chance et part en Angleterre, accompagnée de son plus jeune fils, de ses moules et de quelques-uns de ses personnages. Même si finalement le spectacle est une déception, elle ne se décourage pas et décide, à plus de 40 ans, d’aller présenter son travail elle-même, sans attache. Elle parcourt l’Angleterre, l’Écosse et même l’Irlande. C’est une réussite. À cette époque, avant la démocratisation de la photographie, les figures de cire sont une occasion rare pour le peuple de prendre connaissance des traits des stars de l’époque, telles que Marie-Antoinette.

Avec son salon ambulant, Marie va de ville en ville, ne repartant dans la suivante que quand elle cesse de gagner de l’argent. Ces figures inspirées par la Révolution française réussissent à capter le public, et font des musées de Madame Tussaud une véritable attraction. À l’époque, les Anglais-e-s sont à la fois fasciné-e-s et terrifié-e-s par la France ; de la Révolution française à Napoléon, le pays fait l’objet d’un intérêt unique. Marie utilise ainsi cette fascination pour réaliser la statue de l’empereur français, qui a un grand succès. Grâce à pas mal d’ingéniosité, son cabinet de curiosités prend de l’ampleur et ses moyens augmentent. Elle se démarque des autres expositions de cire en installant la sienne dans des salles de fêtes, où les gens peuvent se promener, bavarder et écouter de la musique. De plus, elle ajoute une touche pédagogique assez novatrice. Elle propose des catalogues d’informations détaillés sur les personnalités, politiques ou non, qui sont représentées. Un des points forts du travail de Marie, outre son savoir-faire, c’est aussi sa communication : elle réalise ses propres supports de publicité, ses tracts et partage des annonces dans les gazettes locales.

Fatiguée de sa vie de nomade, après presque 33 ans passés sur les routes, Marie Tussaud décide de s’installer durablement. C’est donc en 1835, âgée de 74 ans, qu’elle ouvre son musée londonien, à Baker Street. Au cœur de cet espace artistique, elle travaille et enrichit sa collection – plus de 400 créations –, ce qui lui vaut la visite de quelques membres de la royauté, à l’instar d’Arthur Wellesley, le duc de Wellington, qui venait admirer son double en cire. C’est aussi à cette période qu’elle met en place sa chambre des horreurs, où sont exposées les célébrités décapitées de la Révolution française ainsi que des meurtriers anglais notoires. À l’occasion du couronnement de la reine Victoria en 1838, Tussaud réalise son portrait – avec l’autorisation de Sa Majesté. Le musée est officiellement the place to be, un lieu sophistiqué qui s’impose peu à peu comme une véritable institution de l’époque victorienne.

Marie Tussaud meurt dans son sommeil le 15 avril 1850, à Londres, à l’âge de 89 ans. La presse lui rend de magnifiques hommages.

Au fil des années, Marie Tussaud s’est imposée comme une excellente entrepreneuse et femme d’affaires : malgré les événements dévastateurs en France, une conjonction sociale et économique qui ne jouait pas en sa faveur, elle a fait preuve d’une force incroyable. N’oublions pas, nous sommes au XIXe siècle, et Marie Tussaud décide en somme d’abandonner son mari indolent, et part en Angleterre sans connaître la langue ou quelqu’un-e. C’est une mère seule voyageant avec un enfant. Déterminée, elle a su développer son salon itinérant grâce à ses talents de sculptrice, ses capacités d’adaptation et sa maîtrise de la communication. Aujourd’hui, le musée de Madame Tussaud est devenu un incontournable des activités londoniennes pour les touristes. Et, à travers le monde, les musées de Madame Tussaud se sont développés : en Europe, en Asie, en Amérique du Nord et en Océanie. C’est ainsi un bel héritage que nous laisse Marie Tussaud, celle qui a su immortaliser les mille visages de l’histoire.

 


* Paris Amanda Spies-Gans, « The Fullest Imitation of Life’: Reconsidering Marie Tussaud, Artist-Historian of the French Revolution », Journal18, Issue 3 Lifelike, printemps 2017.  Version originale (traduction réalisée par nos soins) : « Tussaud’s ability to bring portraits to life was essential to her show’s lore, and wax was central to this process. By expertly wielding a material often stigmatized by the male-dominated Academic scene, she not only achieved more wide-ranging and financial success than almost any of her female contemporaries, she also established a unique form of art. […] Even more, her story reveals vital means by which women could artistically, resourcefully, and professionally navigate the Revolutionary world ».