Quoi de mieux que l’époque de la chasse aux sorcières pour confronter les spectatrices et spectateurs au nouveau genre de la Doc ? Rien ! Drôle, intense, magnifique, touchant et politique, ce nouvel épisode est sans conteste le plus cool du relaunch, avec une Jodie Whittaker à son meilleur qui, par son interprétation juste et nuancée, a fini de confirmer sa perfection dans ce rôle culte.

 

« Honestly, if I was still a bloke, I could get on with the job and not have to waste time defending myself! »

 

[Des spoilers à tout va, pour ton plus grand plaisir.]

Comme toujours, le Tardis n’en fait qu’à sa tête, et au lieu d’amener notre joyeuse compagnie au couronnement d’Élisabeth Ire, celle-ci se retrouve dans le Lancashire en 1612, en pleine chasse aux sorcières. Alors qu’ils et elles explorent ce qui ressemble à une foire, dont l’ambiance légère énergise la Doc, la réalité de l’époque les rattrape promptement. Mother Twiston (Tricia Kelly) est sur le point de subir le test du siège à plongeon, lequel était alors pratiqué en Grande-Bretagne afin de déterminer si une femme était une sorcière ou non. Impossible de s’en sortir : si tu ne flottes pas – et donc te noies – tu n’es pas une sorcière, si tu flottes, tu es une sorcière et termines pendue. La Time Lord, qui en guise d’ouverture rappelle à Yaz, Graham et Ryan qu’il est important de ne pas interférer dans la fabrique de l’histoire, ne tient pas en place et tente de secourir la vieille femme. Elle échoue. Très vite, l’équipe enquête. La Doc grâce à son psychic paper se fait passer pour une Grande Inquisitrice – autrement dit, une chasseuse de sorcières – auprès de Becka Savage (Siobhan Finneran), la propriétaire du village, Bilehurst Cragg. Cette veuve qui a hérité des biens de son mari semble traumatisée et complètement obsédée par l’éventuelle manifestation de Satan et de ses représentantes, les sorcières. Elle a déjà tué 36 femmes dans sa frénésie, au nom d’une justice morale religieuse alimentée par une bonne dose d’ignorance et de peur.

La situation se complique quand le Roi Jacques Premier himself (le brillant Alan Cumming) débarque pour prêter main-forte, se présentant comme « le plus grand ennemi de Satan ». La Doc est résolue, elle veut stopper les procès faits aux prétendues sorcières, mais elle est trahie par ces temps anciens (et son psychic paper). Face au Roi, elle est identifiée comme l’assistante de Graham. Avec tout ce qu’il faut de sexisme, le souverain prend les rênes afin de purifier les terres de Mistress Savage, quitte à tuer chaque personne qu’il croise.

Doctor Who, saison 11, épisode 8, écrit par Joy Wilkinson, réalisé par Sallie Aprahamian, 2018. © BBC Studios

Yasmin, de son côté, est partie à la recherche de la petite fille de Mother Twiston, Willa (Tilly Steele). Celle-ci a assisté, désarmée, au meurtre de sa grand-mère. Alors qu’elle est en train de l’enterrer, la jeune femme est menacée par une sorte de liane faite de boue, sortant directement du sol. Yaz intervient et la sauve in extremis. À peine remises de leurs émotions, elles sont attaquées. Les femmes assassinées par Becka sortent de terre, semble-t-il possédées par la boue (zombie mud!). Évidemment, tout cela sent la présence d’aliens à plein nez. La Doc se résout à percer les mystères de Bilehurst Cragg. Et les circonstances pour le moins étranges la poussent à questionner la potentielle responsabilité de Becka, laquelle est au centre de chacun des évènements. Ses suspicions – justifiées – ont un résultat : elle termine sur le siège à plongeon, accusée elle-même de sorcellerie. Elle parvient à se libérer de ses liens – thanks Houdini! – et comprend que Becka est infectée par la boue, qui n’en est pas vraiment. L’entité extraterrestre appelée Morax était en fait emprisonnée par un arbre de la colline. Un jour, en le coupant, Becka a libéré par inadvertance certain-e-s des prisonniers-ères de guerre. Croyant être possédée par Satan, elle s’était alors lancée à la recherche d’un médicament, finissant par massacrer les villageoises soupçonnées de pactiser avec le démon. L’un dans l’autre, tout est bien qui finit presque bien. La Doc élabore un plan pour sauver tout le monde, à l’exception de Mistress Savage, qui connaît une fin tragique. Elle est occise par le Roi Jacques Ier… himself.

 

Food for thoughts

Si la figure de la sorcière est à la mode dernièrement, cela n’exclut pas son intérêt et la portée de sa représentation popularisée. Le défi, comme toujours quand quelque chose entre dans le mainstream, est de ne pas en aspirer l’essence pour le transformer en jolie coquille vide à regarder sans trop penser (on te voit, Les Nouvelles Aventures de Sabrina). Les sorcières, dans leur multiplicité, ont une portée tragique, politique, et éminemment contestataire. Et ce n’est donc pas un hasard si elles incarnent depuis longtemps des symboles féministes radicaux.

Doctor Who, saison 11, épisode 8, écrit par Joy Wilkinson, réalisé par Sallie Aprahamian, 2018. © BBC Studios

Les chasses aux sorcières ont suscité de nombreuses observations, et l’on a rapidement réalisé combien celles-ci matérialisaient la volonté patriarcale d’une disparition du féminin, et ce par son annihilation pure et simple. Comme l’explique Françoise d’Eaubonne dans Le Sexocide des Sorcières, le patriarcat reposant sur les valeurs de « la conquête, de la dominance et de la maîtrise de la nature » ne pouvait s’épanouir qu’aux dépens des femmes. Cette hiérarchisation genrée est parfaitement retranscrite dans « The Witchfinders ». En Europe, de 1300 à 1700, les « sorcières » ont été persécutées, massacrées. Il s’agissait souvent de femmes savantes, de soignantes, d’herboristes, d’obstétriciennes, lesquelles aidaient parfois au contrôle des naissances. Avec les chasses aux sorcières, toutes leurs connaissances sont littéralement mortes. Ces doctoresses, appelées alors « physiciennes », ne sont-elles pas finalement la personnification rêvée de la condition féminine pour confronter la Doc à son genre ? Pour politiser ce qui depuis le lancement de la saison 11 avait simplement été effleuré ? La réponse est : oui.

Je ne vais pas mentir, pour l’instant, cette histoire est ma préférée. De la réalisation au montage en passant par la photographie, le rythme, la musique et l’écriture, tout me plaît. « The Witchfinders » est Doctor Who à son meilleur, et l’on doit son scénario à la dramaturge, scénariste et autrice Joy Wilkinson. Malgré le sujet difficile et sérieux, il s’agit sans hésiter de l’épisode le plus drôle de la saison. Alternant entre dénonciation, comédie et tragédie, le récit nous happe immédiatement. Il n’y a pas de demi-mesure, la réalité raciste et sexiste de l’époque est si concrète, qu’aucune échappatoire n’est possible, pas même pour la Doc : « These are hard times for women. If we’re not being drowned, we’re being patronised to death ». La gallifreyenne, qui dans ses régénérations passées avait l’habitude de faire ce qu’elle voulait comme elle le voulait, prend conscience des privilèges dont elle bénéficiait en tant qu’homme blanc. Au XVIIe siècle, elle est continuellement rabaissée, remise à sa place, obligée de se justifier. Et elle finit par être accusée de sorcellerie. Ce qui est totalement cohérent, puisque son nom  – associé à son genre – est en soi une offense pour la période, mais aussi parce qu’elle est, selon les critères de ce temps, une vraie sorcière : elle est érudite, mélancolique, cultivée, verbeuse, scientifique, solitaire (en dépit de ses compagnon-ne-s occasionnel-le-s)… et elle a une sorte de baguette magique (franchement, il lui manque seulement un chat) ! La Doc refuse de se soumettre, d’être passive. Le niveau de mépris du Roi Jacques Ier à son égard n’est que la survenance exacerbée du sexisme qu’elle avait déjà rencontré dans ses aventures antérieures. Cette discrimination crée chez notre héroïne un nouveau rapport d’empathie envers les femmes qu’elle croise, lui donne un niveau de lecture différent face aux injustices sociales.

Doctor Who, saison 11, épisode 8, écrit par Joy Wilkinson, réalisé par Sallie Aprahamian, 2018. © BBC Studios

Et cela m’amène au dernier point de ce récap, – que j’ai soulevé maintes fois dans mes analyses précédentes – au sujet de la création de figures d’opposition dans ce relaunch. Car ici, la Doc formule exactement (et ouvertement) ce qui est élaboré depuis l’épisode 1 :

We’re all the same. We want certainty, security, to believe that people are evil or heroic. But that’s not how people are. You want to know the secrets of existence? Start with the mysteries of the heart. I could show you everything, if you stop being afraid of what you don’t understand. If you trust me.*

La contextualisation, la nuance et l’empathie sont les trois éléments qui guident l’arc narratif de Jodie Whittaker. Sa régénération met constamment les autres face à leur propre hypocrisie. Elle dissèque les grandes affirmations, renverse les prétentions héroïques pour questionner le sens de telles certitudes. En somme, elle utilise sa raison et son esprit critique en permanence, ses deux – et seules – armes de prédilection. Pour la Doctoresse, le véritable savoir se mérite. Il n’est incontestable que lorsqu’il est le fruit d’un effort, il demande volonté et détermination. Le savoir est le remède à toutes formes d’obscurantisme. Il vient du cœur et trouve son origine dans notre faculté (ou non) à comprendre l’autre.

 

En vrac :

  • Doctor Who, The Psychotherapy of King James
  • Si la condition des femmes est largement abordée avec la Doc, le racisme bienveillant subi par Ryan n’est pas pour autant ignoré. Le Roi Jaques Ier le voit comme une sorte de bonbon exotique qu’il aimerait franchement croquer, et malgré un attachement qui paraît sincère à l’égard du jeune homme, la plupart de ses réflexions tendent à le déshumaniser.
  • La Doc fait de la théologie de comptoir.
  • Plus le temps passe et plus le personnage de Yaz est cool. Dans cet épisode, elle prend les devants, fait preuve d’une grande bienveillance, et se confie même au sujet du harcèlement dont elle a été victime plus jeune à l’école.
  • Graham est officiellement parfait. Lunettes, chapeaux… tout lui sied !
  • Et si l’on commençait à lister les personnes mentionnées en name-dropping depuis le début de la saison ?
  • La Doc rappelle que la communication est clé à Becka, et c’est certainement l’un des moments les plus puissants de la saison.

* Je traduis exceptionnellement, comme l’extrait est très long : « Nous sommes tou-te-s les mêmes. Nous voulons de la certitude, de la sécurité, pour croire que les gens sont mauvais ou héroïques. Mais les gens ne sont pas comme ça. Vous voulez connaître les secrets de l’existence ? Commencez par les mystères du cœur. Je pourrais tout vous montrer si vous arrêtiez d’avoir peur de ce que vous ne comprenez pas. Si vous me faisiez confiance. »


Le huitième épisode de Doctor Who, saison 11, a été diffusé sur France 4 le jeudi 29 novembre 2018 à 22h45 en VOST.