Sur Deuxième Page, nous privilégions la prise de parole, l’expression libre et libérée. Alors, quand Raphaëla a proposé d’animer sa propre rubrique, une sorte de carnet de confidences sur la réalité de son métier, assistante d’éducation, nous avons évidemment dit oui. Dans cette première contribution, elle te parle de la réalité de son quotidien, de la précarité de son emploi, du harcèlement sexuel qu’elle a subi et de tous les questionnements qui l’habitent jour après jour.

 

[Ce témoignage est le fruit de mon vécu, de mon observation ainsi que de la compilation de mes expériences et de celles d’amies ou de connaissances.]

J’exerce depuis quatre ans le métier d’assistante d’éducation. Surveillante, pionne, paillasson, flic, tortionnaire, conseillère principale d’éducation adjointe, femme à tout faire, petites mains de l’Éducation nationale. Tant de termes employés par les parents, les élèves, nos collègues et supérieur-e-s et parfois par nous-mêmes pour finalement désigner un métier dont les réelles fonctions sont méconnues et dont les responsabilités et les engagements ne sont pas suffisamment mis en avant. Au-delà de mon rôle au sein de l’établissement, c’est la précarité de ma fonction qui, jour après jour, m’atteint et suscite en moi une profonde remise en question. Sous prétexte que nous sommes indispensables au bien-être de l’établissement et donc, de celles et ceux qui y travaillent et étudient, devons-nous toujours accepter la précarisation de notre statut et le mépris dont nous sommes victimes ? Particulièrement, comment genre et précarité économique s’affectent-ils mutuellement dans une configuration comme la mienne et celle de nombreux-ses collègues ?

Cette configuration est celle du mi-temps étudiant qui se transforme en travail à temps plein par confort et pragmatisme. À travers le lien noué avec les élèves, j’ai trouvé une réelle satisfaction dans ce métier. Pourtant, je vis aussi une situation de plus en plus importante de harcèlement, de mépris, de piétinement et de charge mentale. Être une femme dans un établissement scolaire, particulièrement au sein de postes dits du bas de l’échelle, c’est être confrontée à un exercice du pouvoir masculin et dominant, toxique et patriarcal. Une culture du silence pèse sur les violences dont nous pouvons être victimes : comment dénoncer les abus, quand nous sommes sur la sellette du contrat à durée déterminée dont le renouvellement n’est pas une obligation ? Nous sommes infantilisées, enjointes à ne pas dénoncer un vécu discriminant pour ne pas salir l’image de l’établissement ni peser sur les chef-fe-s. C’est ainsi que le harcèlement sexuel que j’ai vécu sur mon lieu de travail n’a pas été considéré. Peu importe qu’un prof s’acharne à croiser dans les couloirs déserts une jeune assistante d’éducation. Peu importe qu’il commente son physique, qu’il lui fasse des propositions déplacées. Peu importe qu’il la touche sans son consentement. Du bas de mon statut, je suis allée dénoncer auprès de mes supérieur-e-s ce que je vivais. J’ai demandé un entretien, j’ai raconté. On m’a répondu que ce professeur enseignait ici depuis des années, qu’il était apprécié de tou-te-s tandis que moi, je pourrais tout à fait terminer l’année ailleurs. J’ai rasé les murs pour ne plus le croiser, et à la fin de l’année, je n’ai pas été renouvelée.

Être une femme précaire, c’est accepter des mois durant les propos obscènes sur mon physique par l’employé d’accueil. C’est le laisser une première fois toucher mes cheveux. Une deuxième fois. Une dernière fois, avant de le menacer de porter plainte pour harcèlement sexuel. C’est, chaque jour, savoir que ma tenue suscitera des questionnements et des réflexions. C’est entendre le chef de la cuisine dire qu’aujourd’hui, ma robe lui plaît. Le secrétaire de direction, que je « lui fais des choses ». Des blagues graveleuses et douteuses au quotidien, et le poids du silence. Être une femme au sein d’une équipe mixte, c’est aussi faire le constat saisissant des différences de traitement des employé-e-s en fonction de leur genre : nous sommes nombreuses à ne pas être saluées, au profit de nos homologues masculins ; nombreuses également à être relégués au soin des élèves et à la paperasse, tandis que nos collègues masculins accompagnent les sorties pédagogiques, montent des animations sportives et sont conviés à des réunions.

La précarité de notre métier est liée à deux facteurs : le CDD renouvelable six fois seulement, et la paye qui ne rend justice ni à nos responsabilités légales, morales et émotionnelles, ni à nos fonctions. Cette précarité nous empêche de partir et de lutter. Trop d’entre nous n’osent pas rejoindre les rangs d’un syndicat pour bénéficier d’une relative protection. Nous acceptons des heures supplémentaires non rémunérées, nous assurons plusieurs postes à la fois, nous gérons soixante-dix élèves par permanence, le tout sans reconnaissance morale ni pécuniaire. Notre autorité, en tant que femmes, est sans cesse remise en question : les professeur-e-s demandent à nos collègues hommes d’intervenir en classe lorsqu’ils ont des problèmes et c’est à eux que s’adressent enseignant-e-s, membres de l’administration et parent-e-s en cas de questions ou de doutes.

Au sein d’un établissement dans lequel j’ai travaillé, deux collègues et moi-même avons dénoncé le harcèlement moral et sexuel que nous subissions dans l’espace de la vie scolaire. Nous avons été reçues, entendues, et aucune suite n’a jamais été donnée à nos réclamations. Pourtant, notre bien-être et celui des élèves étaient en jeu. C’est lui, à la fin de l’année, qui a été récompensé et remercié, nous qui avons mis des mois à nous remettre des violences vécues dans les quelques mètres carrés de la vie scolaire. Les statistiques le prouvent : ce sont les femmes qui occupent les emplois les plus précaires et les moins bien rémunérés. De nombreux facteurs expliquent cela : nous occupons des rôles de soin, d’écoute et de bienveillance ; nous sacrifions nos études ou notre carrière pour notre famille (ce n’est pas mon cas). Nous peinons à trouver des emplois à la hauteur de nos diplômes et de nos compétences, sous prétexte que nous sommes des femmes. Pourtant, le métier que j’exerce est indispensable et représentait pour moi une source d’épanouissement : j’estime que les relations que nous nouons avec les adolescent-e-s, souvent mis-e-s de côté, sont la clef de la transformation et de la disparition des préjugés et oppressions.

 


Bien sûr, ce que je mets en lumière ici est tout aussi valable pour les personnes trans* et non-binaires. Néanmoins, n’ayant aucune connaissance exerçant le métier d’assistant-e d’éducation qui soit trans* ou non-binaire, et étant moi-même une femme cisgenre, je préfère ne parler qu’en mon nom propre. Pour autant, il me paraît important de souligner que la précarité que j’évoque les touche également de plein fouet. Ils et elles y sont, plus encore que les personnes cisgenres, confronté-e-s.