Axelle Jah Njiké a un parcours impressionnant tant il est multiple. Autrice et entrepreneuse, elle est administratrice au cœur de la Fédération nationale GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations sexuelles). Féministe revendiquée – « païenne » selon ses mots, Axelle réfléchit aux différents moyens d’atteindre le grand public sur des thématiques traditionnellement ignorées. Ses contenus éditoriaux sont la preuve même de sa volonté sans faille. Elle est notamment la créatrice du site Parlons Plaisir féminin. Elle a aussi participé avec sa nouvelle, Païenne, à l’ouvrage collectif Volcaniques : une anthologie du plaisir. Aujourd’hui, pour « Projectrices », Axelle Jah Njiké nous parle de son indispensable podcast Me My Sexe and I®, consacré à l’intimité de femmes noires.

 

Peux-tu nous présenter ton projet rapidement ?

Je suis la créatrice d’un podcast de conversation lancé en mai 2018, intitulé Me My Sexe And I®. Un projet qui, selon les termes d’une auditrice, est « une ode aux femmes noires dans toute leur singularité ».

 

Quels obstacles as-tu rencontrés pour réaliser ton projet ?

J’ai dans un premier temps présenté l’idée du podcast à des producteurs-rices de contenus renommé-e-s, qui n’ont pas saisi l’intérêt d’interroger des femmes noires dans les différentes étapes de leur vie personnelle et affective. Ces interlocuteurs-rices ignoraient – et ne peuvent être blâmé-e-s pour cela – le fait qu’il est peu habituel dans nos communautés de parler de soi, et de son intimité. Surtout lorsque l’on est une femme. Il n’est pas courant de nous entendre nous exprimer sur des sujets aussi banals que les relations, la parentalité, la sexualité et la construction de soi.

J’ai donc décidé de produire moi-même le podcast, et souscrit un prêt auprès de l’Adie (l’Association pour le droit à l’initiative économique, ndlr) vu que je ne pouvais pas avoir accès au système bancaire traditionnel. L’écriture ne fait pas vivre, contrairement à ce qu’on pourrait croire ! J’ai foncé pour créer l’objet audio que j’aurais aimé découvrir lorsque j’étais jeune fille et qui, me semblait-il, manquait jusqu’alors dans le paysage médiatique. J’avais la conviction d’être la seule à pouvoir livrer une proposition comme celle que j’avais en tête, et qu’il y aurait une audience pour l’accueillir. Bon, après, j’avais tablé sur 10 000 personnes maximum, et le podcast en a rassemblé plus de 100 000, toutes plateformes d’écoute confondues ! Et c’est en constante progression. C’était un chouïa plus que prévu ! (rires)

Mais malgré ces audiences canon, je ne suis pas parvenue avec une campagne de financement participatif en décembre et janvier derniers à réunir les fonds suffisants à la production d’une saison 2, que je prévoyais en février 2019. Du coup, je dois revoir ma copie, faire le deuil de la manière dont je voyais les choses pour la suite. J’avais envie d’une nouvelle édition et d’une déclinaison avec des hommes, mais la saison en ligne est déjà très chouette, et peut-être est-elle destinée à demeurer unique. L’avenir seul me le dira.

 

Pourquoi ta démarche est nécessaire en 2019 ?

Me My Sexe and I®, ce sont des récits de vie, au féminin. Des récits profonds, mais aussi universels, de femmes noires. Il faut que nous soyons entendues, prenions la parole pour que des gens connaissent nos vécus, et s’y reconnaissent, mais surtout, racontions nos histoires de la façon dont elles doivent l’être. Le podcast aborde la question de l’identité, ou plutôt des identités plurielles qui composent chaque individue, en invitant chacune à prendre conscience que son vécu, ses expériences, ses blessures et ses traumatismes comptent. Je pense qu’il est primordial de parler de soi en tant que sujet, de faire entendre sa voix, par ses propres mots. En agissant de la sorte, nous offrons la possibilité à d’autres de faire de même, de s’emparer de la narration.

Le podcast œuvre aussi à déconstruire les préjugés que l’on pourrait associer à une culture et aux gens qui l’incarnent. Les femmes que j’interviewe ne sont pas que noires. Elles sont également sujets, filles, sœurs, pour certaines mères, et ces identités-là, elles sont appropriables par tout le monde. Leur expérience de l’enfance, de la famille, de l’adolescence, de l’affirmation de soi est singulière puisqu’il s’agit de la leur, mais elle se fond dans un récit commun dans la mesure où nous avons tou-te-s une connaissance en la matière.

L’intime est, pour moi, une passerelle vers l’autre, et l’idée était de marquer par son truchement la singularité et l’universalité de nos vécus. Je trouvais important que tout le monde soit inclus dans la conversation, surtout avec l’émergence d’un média récent comme le podcast.

 

Quel rôle joue la culture à tes yeux dans la lutte militante et féministe ?

Elle revêt une importance primordiale. Les œuvres culturelles, quelle que soit leur nature – et je considère que le podcast en fait partie, œuvrent à faire rayonner l’humanité que nous avons en chacun-e de nous. Faire entendre l’expérience des femmes noires, c’est communiquer sur le lien. Des mille et une manières dont nous sommes lié-e-s les un-e-s aux autres.

Il est essentiel d’avoir des contenus illustrant un intime multiple et féminin, traitant du vécu, construit par et autour de celles concernées. J’avais ça à l’esprit avec ce podcast. Je crois que c’est ainsi qu’on peut créer un récit novateur, inclusif et conscient.

 

Tu as un conseil culturel pour nos lectrices et lecteurs qui aimeraient aller plus loin ?

Alors je vais te lister cinq livres indispensables pour moi : Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage de Maya Angelou, Photo de groupe au bord du fleuve d’Emmanuel Dongala, Les femmes de Brewster place de Gloria Naylor, Le meilleur reste à venir de Sefi Atta et pour finir, Délivrances de Toni Morrisson.