Pour Yan, l’eau comme élément fascine et terrifie, et interroge sa propre existence. Observant les différents états aqueux, il se confronte à lui-même dans un pas de deux avec la nature.

 

La pluie frappe le toit. L’eau transperce et effleure, érode et s’épanche. Asynchrone, elle syncope à son rythme, pour finir par affleurer au sol, sans autre heurt que le terme de ses kilomètres de chute. Aussi douce que brutale, aussi fluide que compacte, elle apaise ou blesse, nourrit comme détruit. Symbole en puissance, élément vital, elle trace sur ce verre stérile des canaux incandescents de puissance contenue.

Abruptement, le vacarme cesse, la verrière se tait alors même que l’eau change d’état. Au cœur du pavillon, brièvement aveugle à son plongeon éthéré, j’écoute le silence de ses flocons, spectres innombrables recouvrant leurs lointains parents toujours liquides, désespérément aqueux. Le canal se couvre de blanc, les ordures de givre, le temps se suspend et absorbe sons et regards perdus.

Plus insidieuse que l’eau foudroyante, sa cousine glacée fascine à la hauteur de sa corrosion. Pouvant aussi bien préserver que ronger, l’élémentaire ambigu s’attaque à l’artificiel du jardin d’hiver pour lentement le dévorer, à l’abri de son manteau. La neige étouffe, la glace préserve, les flots emportent, l’eau dévale et délave. Bien trop d’équivoques s’entrechoquent et se télescopent en un si petit espace, chaque infini répondant à son voisin hors de ma fragile coquille.

Silencieusement, le sable cristallisé, lui, encaisse des chocs devenus thermiques.

Par contraste, ma chaleur m’aspire. Autant de têtes d’épingle ardentes, spontanées, radioactives. Une brève impulsion parcourt mon propre réseau de canaux écarlates. Le souvenir d’une Morwenna palpite, là, quelque part, m’appelle. Avisant une flaque, peut-être pourrais-je, comme elle, y lancer un sort. Peut-être pourrais-je renverser les choses. Peut-être pourrais-je mieux lutter, mieux relier, convoquer des portails lumineux pleins de conséquences et de promesses. Ou peut-être ne ferais-je qu’ajouter à l’avalanche obscure.

Surfant sur des ondes mentales dignes d’un Alex Bleach, mon attention dérive du sol vers le ciel. Je m’égare dans la contemplation d’une poignée de nuages, cousins un rien éloignés de ces larmes de cristal coulant sous mon nez. Les proportions se distendent, ces amas sont-ils si lointains et élevés ? Suis-je cette même collection de gouttelettes indécises ? Ma forme de vie carbonée s’est-elle altérée, diluée, vaporisée puis reconstituée ? Combien de mes atomes dans ce flocon, cette goutte, cette condensation ?

Bref soupir. Il est temps d’aller payer, de rentrer la tête et sortir les affronter. Élémentaire contre élémentaire dans ces vallées de vent.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • Morwenna, Jo Walton, Denoël, 2014.
  • Coffret Vernon Subutex, Virginie Despentes, Le Livre de Poche, 2018.
  • « Blackfriars », Varmints, Anna Meredith, 2016
  • England Skies EP, Shake Shake Go, 2016
  • Altered Carbon, Netflix, 2018
  • Nausicaä de la vallée du vent, réalisé par Hayao Miyazaki, 1984
  • Pavillon des canaux, 39 quai de la Loire, 75019 Paris