Faut-il être en couple pour être heureux-se ? C’est en tout cas ce que veulent nous faire croire les œuvres culturelles, nos proches, et la société dans son ensemble. Cielle, elle, trouve son bonheur dans les amours non romantiques.

 

Chaque pan de mon monde, chaque parcelle de mon corps sont imprégnés d’amour. Je vis entourée de soutien. Je suis aimée plus que de raison, si je fais un pas de travers, on me redresse. Je suis, comme tout le monde, en fragile équilibre. Mais il y a de chaque côté du fil des mains tendues pour me rattraper. On ne pourrait pas m’aimer plus, ou mieux.

Mais on vient quand même me demander ce qu’il en est de ma vie sentimentale. Comme s’il manquait à ma plénitude le véritable amour. Celui que l’on voit dans les comédies romantiques, celui que l’on décrit dans les livres avec puissance. Celui des couples qui regardent ensemble dans la même direction, et des chansons dégoulinantes de mièvrerie.

Cet amour-là, que j’ai connu, me pèse et m’épuise. Il me fait plus de mal que de bien. Tout ce qu’il porte d’obligations et de tourments, tout ce qu’il bouleverse sur son passage, tout ce qu’il signifie aux yeux des autres… C’est exactement ce que j’évite. Je n’ai ni le temps, ni l’envie, ni la patience ou l’aveuglement pour me jeter à cœur perdu dans une histoire d’amour.

Ce n’est pas que je refuse d’être blessée – ce qui me touche ne se limite pas aux romances – ni que je craigne de m’ouvrir – je le fais déjà tellement –, c’est simplement que je n’y trouve pas assez d’intérêt pour lui faire de la place dans ma vie. J’ai d’autres choses à faire. Vraiment. Mille autres priorités, activités, relations. Je n’ai pas de vide à combler et rien à prouver, aux autres ni à moi.

Et pourtant, est-ce que je ne rêve pas parfois de ce lien si particulier ? Il y a des années, bien sûr que c’est ce que je souhaitais, profondément, intensément. Mais le temps a passé et avec lui mes fantasmes de petite fille, mes désirs d’adolescente et mes premières attentes de femme. Aujourd’hui, le territoire est vierge, l’horizon qui se dessine n’a pas grand-chose à voir avec ce que j’ai pu vouloir. J’ai arrêté de croire que le couple allait me sauver et me rendre meilleure, arrêté de penser que c’était le seul destin enviable pour ma petite personne. La seule manière d’exister et d’avoir de la valeur. Le but ultime de cette vie absurde.

Je ne sais pas mieux que les autres quel est le sens, où le trouver et quoi construire. Je n’ai aucune révolution à proposer, aucune leçon à donner. Je ne sais même pas où je vais, comment et pourquoi. Ma seule certitude, c’est que l’amour je l’ai déjà, loin des robes blanches et des guimauves, loin du polyamour aussi.

N’y voyez aucun mépris, j’aime que les gens que j’aime s’aiment. Je suis la première à être enthousiaste et toujours un peu naïve. Mais voyez-y le recul, l’expérience, un peu de féminisme, beaucoup de réflexion. Je suis fatiguée des cadres et des contraintes, usée du couple comme ultime refuge. Et, enfin, libérée du poids des conventions.

Je suis à nouveau celle qui s’écarte du droit chemin, même si c’est différent des autres fois. Je me dis par moments que mes parents doivent s’arracher les cheveux. Je voudrais juste ne pas les embarrasser, que leurs ami-e-s ne se disent pas qu’il et elle ont bizarrement élevé leurs enfants. Mais je viens d’une famille où l’on se fiche bien de ce qui doit se faire. Alors, je suis ma petite route sans pression, et si j’ai l’air mal aimable, qui s’en soucie ?

C’est bien parce que je suis soutenue et entourée, à défaut d’être comprise peut-être, que je peux me permettre sans difficulté et sans douleur de refuser l’âme sœur.

Et l’amour, alors ?
Mais il est là, au creux du cœur, au fil des jours. Ou plutôt… Elles sont là, plurielles, aussi jolies que satisfaisantes, aussi fortes qu’apaisantes.

Et moi, je suis forte et apaisée.

 

Œuvres et lieux cité-e-s :

  • Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry, 1939
  • Love Actually, Richard Curtis, 2003
  • L’Art de la joie, Goliarda Sapienza, 2005
  • Sorcières : La Puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018

 


Image : © paradon – stock.adobe.com