Après La Fille de son père, Les Patriarches et Sagan 1954, la romancière Anne Berest propose à ses lectrices et lecteurs de faire une balade mouvementée et réjouissante dans les pages de Recherche femme parfaite, son quatrième livre, paru aux éditions Grasset en septembre 2015.

 

Galerie de portraits

Faites la connaissance d’Émilienne Cramaut, dite Émilienne Valse, une photographe trentenaire qui cherche à percer dans le métier. Dès le début du roman, cette jeune artiste, que l’on découvre peu à peu, est plus que jamais motivée à s’accomplir. Entraînée par son désir de réussite, elle se met au défi de remporter le premier prix du concours des jeunes talents des Rencontres d’Arles. Le thème : « Portrait(s) de femme(s) ». Comme une évidence, elle décide alors d’intituler son œuvre future Une femme parfaite. Tout un programme. L’idée lui est soufflée par sa voisine Julie, une sorte de Wonder Woman, stéréotype de la femme menant de front carrière et vie de famille sans aucune difficulté. Enfin… vu du palier d’en face.

Imparfaite, drôle, un peu perdue, mais aussi très déterminée, Émilienne se lance donc en quête de modèles pour illustrer l’image moderne de la femme idéale. Munie de son Canon, elle part à la rencontre de Julie, Marie, Jenane, Mademoiselle et toutes ces autres, ces êtres qu’elle convoite, guidée par son objectif…

Chacune d’elles est « parfaite » à sa manière. Jenane possède un visage d’une incroyable beauté. Marie, épouse de pasteur et médecin, est qualifiée de « sainte ». Julie, elle, est une mère exemplaire… Et ainsi de suite. Pour autant, aucune de ces femmes ne s’autoproclame modèle de perfection. Tout vient de l’extérieur, des proches, de la vision qu’elles renvoient :

Je prendrais en photographie des femmes admirables, des héroïnes du quotidien, des modèles pour leur entourage. Et à travers ces différents portraits, se dessinerait l’idée que la femme d’aujourd’hui veut donner d’elle-même – le portrait d’une femme idéale, écrit Émilienne grâce à la plume de l’autrice Anne Berest.

Page après page, et au fur et à mesure des portraitures, c’est surtout notre héroïne que l’on apprend à connaître. Une jeune femme « normale » qui aspire à se réaliser. Elle se sait défectueuse, parfois vulnérable, et ne cherche pas à devenir quelqu’un d’autre :

J’ai toujours aimé fréquenter ces êtres gracieux, évoluant dans un monde ordonné pour elles. Évidemment, je n’ai jamais essayé de ressembler à ces fillettes idéales – certains combats sont perdus d’avance –, mais je devins leur amie, leur préférée, leur petite protégée.

Ce roman, c’est donc avant tout l’enchaînement de récits, ceux d’aventures singulières, de confidences entre cinq yeux, dont celui parfois intrusif d’un appareil photo qu’Émilienne ne quitte pas.

 

Une quête vouée à l’échec

Et ces « femmes parfaites » vont finalement se raconter à Émilienne, qui se fait alors confidente, un journal intime vadrouillant à l’envi. Elle se tient près d’elles, les observe, apprécie et souligne leurs qualités sans jamais les envier, car elle sait combien cette image d’absolu féminin peut être un fardeau. En réalité, l’idée même d’être irréprochable est fort angoissante et relève de la malédiction, comme le confie Julie à notre photographe :

Une armée de femmes couteaux suisses s’est mise en marche au garde-à-vous, terrorisées à l’idée de rester dans le rang de la jeunesse, de la performance, de la beauté.

De son côté, Émilienne n’est pas dupe :

Mais j’en chercherais aussi la faille, la fragilité, le point de rupture. Je guetterais les signes de folie dans cette impossible quête de la perfection.

En effet, l’on apprend qu’un dangereux pervers harcèle Jenane, que Marie entretient une relation avec un jeune homme qui pourrait être son fils, et que Julie souffre en vérité d’épuisement maternel aigu et finit par être internée à l’hôpital Sainte-Anne ! De l’autre côté du palier, les réalités se dessinent avec tous leurs détails.

Anne Berest prend donc un malin plaisir à nous surprendre : certaines confidences sont inattendues, voire carrément trash, bien loin d’un tableau existentiel monochrome et ennuyeux. Bien entendu (et heureusement !), l’idéal féminin n’existe pas et la perfection tant recherchée se trouve possiblement ailleurs. C’est une vérité qu’Émilienne entendra au cours de l’un de ses nombreux rendez-vous : « Je ne sais pas s’il existe une femme parfaite. Mais je sais ce qu’un amour parfait veut dire ».

Au cours de son périple entre Paris, Venise et Orléans, la photographe trouve enfin SA femme parfaite. Son projet prend alors une autre tournure, et Émilienne met tout en œuvre pour retrouver Georgia, une conquête d’une nuit qui lui a laissé une trace indélébile et provoqué le désir fou de la retrouver :

Alors voilà. Je crois au fond que les gens ont une idée très précise de la façon dont ils se représentent l’accomplissement d’une certaine réussite. Ils se disent : si un jour j’arrive à m’acheter cette maison. Ou si un jour j’écris ce livre. Ou si je termine cette course à pied. Eh bien moi, depuis que j’ai rencontré cette femme, l’image très précise que je veux réussir à construire dans ma vie, c’est une photographie où Georgia et moi nous sommes réunies. Et je suis persuadée que si je réussis, j’en ferai une photographie particulière, meilleure que les autres. Et que cette image-là peut changer ma vie entière. 

En fin de compte, la perfection réside peut-être dans un moment, un instant précieux partagé avec la bonne personne.

 

Un hommage aux femmes

Même si cet ouvrage n’a rien de militant, Recherche femme parfaite est un subtil hommage à la féminité et aux femmes. On ne voit qu’elles. Les hommes y tiennent un rôle soit minime, soit négatif. À travers les personnages, ce sont des thèmes sérieux autour de la féminité qui sont abordés : la sexualité, l’adolescence, la transmission, la représentation du corps féminin…

À l’heure où les cultes de l’image, de la beauté et de la performance n’ont jamais été aussi présents, ce roman drôle se révèle moins léger qu’il n’y paraît. Le récit y est très équilibré : on oscille entre des épisodes graves, touchants, et les maladresses et états d’âme d’une héroïne au caractère exalté et légèrement alcoolique. On sourit beaucoup à la lecture de ce bout d’existence, mais on en sort également bouleversé d’avoir rencontré ces femmes d’aujourd’hui et partagé leurs vérités. Elles nous rappellent à quel point il est difficile d’être une femme, d’être soi-même, et d’échapper à la pression d’une société qui en demande toujours plus.

Ainsi, roman après roman, Anne Berest confirme son talent. Son sens aigu de la métaphore et son style fluide font de Recherche femme parfaite une comédie bien menée. Le lecteur s’y sent invité, attiré par une certaine familiarité, une étrange soif de liberté. Malgré tout, arrivé au bout de ce livre épais, on peut regretter une fin assez peu crédible et bien trop rapide… Ou peut-être, en y réfléchissant bien, n’a-t-on tout simplement pas envie que cela s’arrête ?

 

Recherche femme parfaite Couverture du livre Recherche femme parfaite
Grasset
30/09/2015
304
Anne Berest
19,00 €
Je ne sais pas s'il existe une femme parfaite. Mais je sais ce qu'un amour parfait veut dire.