Sophie t’emmène arpenter les rues de Toulouse, sur les routes de sa mémoire où se cachent les souvenirs d’un temps parfois regretté. C’est par un jour de pluie qu’elle y croise Pina Bausch et Annie Ernaux.

 

J’arpente les rues de la ville rose. L’air est humide, le soleil a fait place à la pluie. J’adore me promener lorsque les gouttes ruissellent sur mon visage, j’ai le sentiment d’être dans une chorégraphie de Pina Bausch. Il y a cette citation – que l’on attribue à bien des auteur-e-s – qui me revient en tête : « Life isn’t about waiting for the storm to pass… It’s about learning to dance in the rain. » Je sillonne la rue des Lois, et j’ai envie de faire un tour chez Anthology, un disquaire. Je n’achèterai probablement rien, mais je pourrais passer des heures à fouiller parmi les vinyles. D’un autre côté, j’irais bien faire un tour à la Mucca, cette papeterie atypique, qui réalise des créations uniques. Ah oui, c’est vrai, mes poches sont vides, et mon banquier au bord du burn-out. Je change d’avis, comme bien souvent cela m’arrive. Je continue d’errer dans les rues de Toulouse, et je suis prise d’une certaine nostalgie. Bordeaux, Paris, que font mes amis en ce moment même ? Sont-ils place Fernand-Lafargue, ou au bord du quai de Valmy ? Je n’ai rien contre la solitude, au contraire, souvent elle m’apaise. Mais j’ai parfois le sentiment qu’il me manque mes repères. Si certain-e-s essayent de faire de nouvelles rencontres à tout prix, moi, je préfère m’isoler, me plonger dans mon royaume intérieur, qui par chance est très riche.

La pluie continue de tomber, les gouttes traversent mes vêtements, refroidissent ma peau ; il est temps de rentrer.

Je suis contente de retrouver la chaleur d’un foyer. Je n’ai plus qu’une envie, me préparer une tasse de thé fumante et me plonger dans la lecture d’un livre. Mémoire de fille, d’Annie Ernaux. Elle parle de « la première fois ». Ce souvenir impérissable, grandiose, insipide ou chaotique qui, sans le savoir, marque le restant de ta vie… Aussi, quand j’ai lu sur la quatrième de couverture : « Nuit dont l’onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années », j’ai compris qu’à travers cette lecture, j’allais pouvoir explorer ma propre mémoire. N’est-ce pas ça le propre de l’art ? Proposer un langage universel, qui touche des millions d’êtres, mais dans lequel chacun-e retrouve un peu de sa singularité ?

Dans la pièce d’à côté, ma colocataire fredonne un air de Woodkid. « Life is easier where the walls are red, Brooklyn is a place stuck in my head. » Quant à moi, les briques rouges me paraissent bien grises sous la pluie. La ville rose s’embrume, ma tête aussi.