Cette semaine, Louise a décidé de te laisser entrevoir quelques pages de son journal intime. En direct de son bureau, travaillant comme une acharnée, elle se remémore un après-midi d’été à la plage de Trouville, où se sont croisés Philippe Claudel et un visage familier de la nouvelle vague.

 

Il est l’heure du goûter sur la plage de Trouville. Un petit baigneur en culotte courte croque dans sa pomme d’amour, tandis que sa mère le regarde tendrement. Plus loin, un couple s’échange, bras croisés, une crêpe au sucre et un beignet. Je suis à la terrasse d’un café et je sirote un diabolo menthe. La mer au loin, tranquille et apaisante, me fait des signes, mais je n’ai pas mon maillot de bain. Je replonge le nez dans mon bouquin. « Nous sommes jeunes, 16 ans à peine, et nous nous enterrons déjà. Dans les caves. Des hangars condamnés. Des garages aux impostes bâchées. À la recherche de recoins sombres, dangles morts, de canapés suffisamment défoncés pour que les accoudoirs puissent nous servir de paravents. Se cacher des autres. »

En quelques phrases, Parfums de Philippe Claudel me fait retomber en enfance. Je n’ai plus 26 mais 15 ans, et je me revois le cœur battant la chamade lors de mes premiers émois. Je suis Anne dans Diabolo menthe, le film de Diane Kurys sur la jeunesse désabusée des années 1960. Mon quotidien est ennuyeux, et sur la plage vient enfin l’éveil des sens. Je suis le jeune Antoine Doinel, acteur effronté et favori de François Truffaut, qui court vers l’horizon azur à la poursuite du bonheur. J’enrage des contraintes et de la pression sociale sur mes épaules. Je veux vivre éperdument et me laisser emporter dans le vent. « Puisqu’on est jeune et con », comme dit la chanson…

Ces phrases éprises de liberté, je les ai toutes écrites dans mon journal intime. Une relique du passé précieusement enfermée dans une boîte au grenier. Qu’avons-nous fait de notre innocence ? De cette pulsion vitale qui nous poussait à tout oser sans redouter, oh non jamais, les conséquences. Adulte, je pèse le pour, le contre, je réfléchis (trop) longuement, enfin, j’imagine toujours le pire scénario avant d’agir. J’ai presque 100 ans, et je ne profiterai plus de mon insouciance. De ce cauchemar, les Who viennent alors m’extirper. « I hope I die before I get old! » me lancent-ils en pleine face. C’est vrai, je ne fais pas vraiment honneur à ma génération. Je regarde autour de moi, une jeune fille fait la moue à son portable. Sourire forcé, et « clic », tout droit sur Snapchat. Sur la promenade, un ado de 12 ans a l’air d’être aux aguets. Oh ! celui-là, il part à la pêche. Son hameçon est un Android et son poisson un Léviator. Belle prise.

À ce moment présent, j’ai toutes les années de ma vie future qui se profilent devant moi. Je ne veux pas estimer celles qui me succèderont. Carpe diem. Je suis là, à la plage. La brise dans mes mollets et l’odeur du sucre caramélisé dans mes narines. Je range mon livre, je me lève, je laisse mes pas me surprendre et je fonce en direction de la mer. « I’m a shooting star leaping through the sky / Like a tiger defying the laws of gravity / I’m a racing car passing by like Lady Godiva / I’m going to go go go / There’s no stopping me. » La voix de Freddie Mercury s’emballe, tandis que l’eau me submerge. Vague à l’âme disparu, les 400 coups revenus ! Fureur de vivre, je ne te quitte plus.

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