Disney aura mis du temps à renouer avec les films d’animaux, mais ça valait le coup d’attendre ! Dans Zootopie, sorti en février 2016, le monde animal évolue dans notre société contemporaine. Aussi intelligent qu’hilarant.

 

Le dernier Disney raconte les aventures de Judy Hopps, une jeune et intrépide lapine originaire de Lapinville, qui rêve de devenir agente de police afin de « rendre le monde meilleur ». Ses parents, qui cultivent des carottes, sont très inquiets de voir leur fille avoir d’autres ambitions que les leurs. Ils tentent de l’en dissuader et l’encouragent à renoncer à ses rêves, car « un lapin ne devient pas agent de police ». C’est sans compter sur l’optimisme et la détermination de Judy qui, à force de travail, atteint son objectif. Pleine d’espoir, elle quitte donc sa campagne natale pour se rendre à Zootopie, une incroyable cité d’apparence utopique « où chacun peut devenir ce qu’il veut ! »

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Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, 2016. © Disney

C’est sur le très enthousiasmant « Try Everything », interprété par Shakira (Gazelle dans le monde animal), que spectatrices et spectateurs découvrent Zootopie en même temps que Judy. Il s’agit là de l’une des scènes les plus jouissives du film, car elle communique précisément ce que la jeune lapine ressent : de l’euphorie. On ne sait plus où donner de la tête devant tant de beauté, de modernité et d’effervescence. Tout est ingénieusement adapté à chaque animal, du plus petit au plus grand. Comme nous, ils prennent le métro, travaillent dans des banques et téléchargent des applis. La richesse architecturale de la ville est telle que l’on ne peut pas la situer géographiquement. On pense immédiatement à Dubaï pour le gigantisme et la forêt tropicale, la banquise et le désert recréé-e-s artificiellement. Mais également à New York ou à n’importe quelle grande ville européenne ou asiatique. Véritable condensé de mégalopoles mondiales, Zootopie est peuplée d’animaux anthropomorphes qui se tiennent sur deux pattes et se baladent habillés, à moins d’être dans un club naturiste. Après des années d’évolution, les prédateurs et les petits animaux semblent y vivre en parfaite harmonie.

 

Exclusion, préjugés, machisme… Où est l’utopie ?

Mais on a vite fait de découvrir que cette cité imaginaire connaît les mêmes travers que le monde humain. Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, les trois réalisateurs, nous mettent face à notre étroitesse d’esprit. Préjugés raciaux et sociaux, machisme… Sur un ton léger, toutes les plaies de notre société sont pointées du doigt. Preuve que le déterminisme social est encore en vigueur, les postes à responsabilité sont occupés par les animaux les plus imposants. M. Lionheart, le maire de la ville, est, tu l’auras deviné, un lion, roi de la savane et de la ville. Le chef de la police, lui, est un buffle misogyne.

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore, Jared Bush, 2016 © Disney

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, 2016. © Disney

Dès son premier jour à l’école de police, Judy tombe de haut et est confrontée à des difficultés d’intégration puisque, en tant que lapin et femelle, elle est doublement exclue. Tous ses collègues sont de grands animaux dominants. Entourée d’ours bruns, de tigres et de panthères mâles, en face desquels elle ne semble pas pouvoir rivaliser, elle est victime de discrimination et se voit cantonnée au stationnement. Mais elle finit par provoquer sa chance et se retrouve en charge d’une véritable enquête. Assistée de Nick Wilde, un renard a priori arnaqueur et cynique qui est son exact opposé – proie-prédateur, justicière-délinquant –, elle a enfin la possibilité de faire ses preuves et d’exploiter son exceptionnel potentiel.

 

Des clichés en série

Zootopie est une histoire qui adapte avec brio les clichés humains dans le monde animal. Les fonctionnaires sont des paresseux, littéralement (l’une des scènes les plus drôles du film), les contractuelles telles que Judy sont décriées, et les politiciens sont des menteurs. Le film s’amuse avec les comportements des animaux, des choses bien connues de toutes et tous : l’un des témoins de l’enquête, un éléphant, n’a aucune mémoire, et les petits animaux sont loin d’être tous mignons. Ces jeux avec les références collectives, ces retournements de généralités au sujet des animaux fonctionnent la plupart du temps, bien qu’il y ait quelques ratés ou, plutôt, quelques maladresses.

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore, Jared Bush, 2016 © Disney

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, 2016. © Disney

Malgré une paix apparente, les animaux de Zootopie sont pétris d’a priori les uns sur les autres et ont élu le renard comme ennemi commun. Paria de la société, cet être soi-disant sournois et indigne de confiance fait l’objet d’une exclusion basée sur des idées reçues. Lorsqu’un éléphant refuse de vendre une glace à Nick pour la simple raison que c’est un renard, on ne peut s’empêcher de penser à la ségrégation raciale dont ont été victimes les Noir-e-s aux États-Unis ou encore à l’interdiction de certains commerces aux Juives et aux Juifs sous l’Allemagne nazie.

Dans Zootopie, rien n’est fait au hasard. Chaque geste, chaque parole trouve un écho dans notre monde. Nick se permet de toucher la laine qui se trouve sur la tête de Miss Bellwether, une brebis adjointe au maire, sans lui demander la permission, et la compare ensuite à de la « barbe à papa ». Ce geste déplacé ainsi que les paroles blessantes qui l’accompagnent sont le lot de beaucoup de femmes noires qui gardent leurs cheveux au naturel.

La peur de l’autre, la discrimination, les préjugés… tout y est, et tout résonne avec l’actualité. Dans la vie, on a tendance à se laisser contaminer par la méfiance ambiante. Même Judy, malgré sa volonté de s’en départir, se rendra compte qu’elle ressent de la défiance vis-à-vis de Nick, ce qui mettra leur amitié à rude épreuve.

 

Représenter, expliciter et détruire les clichés

Dans Zootopie, deux niveaux de lecture cohabitent. Pour les enfants, ce sont les méchant-e-s contre les gentil-le-s. Pour les adultes, il s’agit d’une critique des problèmes sociaux contemporains. Mais les deux niveaux sont animés par une même dynamique, où rien n’est tout noir ou tout blanc. Tout au long du film, on se rend compte que les animaux oppresseurs et les oppressés sont interchangeables. À un moment, les prédateurs, dominants naturels des petits animaux, se retrouvent persécutés par l’opinion publique. Les rôles s’inversent facilement, et personne n’est à l’abri de voir sa situation se dégrader subitement. C’est cette zone de gris, mise en évidence par le film, qui nous surprend, nous fait réfléchir et fissure peu à peu les clichés dans notre esprit.

Judy a elle aussi des préjugés, puisqu’elle est anthropomorphe (on nous rappelle d’ailleurs ici que l’humain est un animal comme les autres). Malgré cela, elle n’en est pas moins un exemple de courage, d’ouverture d’esprit et le symbole d’une jeunesse qui croit en elle malgré les obstacles et le manque d’encouragements. Elle est sans aucun doute le personnage féminin le plus moderne de Disney. Il n’est pas question de princesse qui attend son prince ici, mais d’amitié, de respect, de confiance. C’est une « femme » moderne, sûre d’elle, qui veut faire carrière et n’a besoin de personne pour exister. Elle reste elle-même en faisant fi de l’opinion des autres. Elle poursuit son chemin et, ce faisant, témoigne d’une grande force de caractère. Chez Disney, cette modernité est enfin une réalité puisque l’équipe d’animation à l’origine de Zootopie est composée à 50 % de femmes.

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore, Jared Bush, 2016 © Disney

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, 2016. © Disney

À travers le personnage de l’idéaliste Judy et l’appel à la tolérance du film, on retrouve l’esprit des meilleurs Disney dans Zootopie. On laissera donc à Mr. Big, terrifiant petit rongeur et parrain de la mafia, le plaisir de conclure : « On est peut-être évolués, mais au fond, on est toujours des animaux. » Une vérité valable aussi bien dans son monde que dans le nôtre. Comme quoi, il ne faut décidément jamais se fier aux apparences.