L’équipe de Deuxième Page célèbre les Oscars 2017 à sa manière. Plutôt que des éloges sans nuances et des critiques qui se cachent à peine d’être sponsorisées, on vous propose une petite rétrospective de l’année cinématographique et des analyses poussées de vos films préférés. 

 

Les Oscars sont autant l’occasion de célébrer l’année cinématographique qui vient de s’écouler que de discuter de l’état du cinéma de manière générale. Et on le sait, il est rare de se retrouver à court de commentaires sur le sujet.

C’était encore hier (et plus précisément en 2016) : le hashtag #OscarsSoWhite s’invitait dans l’autocélébration du gratin hollywoodien. Une «polémique» qui a eu le mérite de créer une véritable discussion autour de la diversité au cinéma et des mécanismes des sociétés de production (et de s’étendre à d’autres domaines artistiques, comme la musique, ou en France, le théâtre).

Le manque d’opportunités pour tou-te-s et les standards hollywoodiens ont été remis en question, mettant un point final à l’argument absurde et autoritaire avançant que « la qualité doit primer». La qualité doit primer, oui. Et justement, de quelle qualité parle-t-on quand une quantité d’œuvres cinématographiques sont ignorées sous prétexte que les personnes qui en sont à l’origine ne sont tout simplement pas blanches ? Comment parler d’un regard impartial qualitatif quand les travaux de femmes sont mis de côté ? La mauvaise foi de ceux et celles qui nient un problème endémique, bien réel et persistant a pour limite l’absurdité de leur pseudo réflexion (il en va de même pour les pleureurs et pleureuses des salles obscures qui ne supportent pas de voir une femme ou un homme noir-e à l’affiche d’un film). 

Dans leur dernier rapport annuel, des chercheurs-ses de l’UCLA se sont penché-e-s sur les 200 films les plus rentables de 2015 et un peu plus de 1 200 émissions télévisées. Le constat est sans appel : les femmes et les minorités (on parle tout de même de quasiment 40 % de la population américaine) restent largement sous-représentées au cinéma. En effet, 13,6 % des actrices principales et acteurs principaux sont issu-e-s des minorités (contre 12,9 % en 2014), et le chiffre tombe à 10,1 % pour les réalisatrices et réalisateurs (contre 12,9 % en 2014). Quant à la moitié de la population mondiale, elle se contente d’un 29 % d’actrices (contre 25,8 % en 2014), et d’un tout petit 7,7 % (contre 4,3 % en 2014) de réalisatrices. Cela dit, pour un peu de positivité, le rapport mentionne que des initiatives ont été créées, comme des formations à l’écriture et des bourses spécialement conçues pour pallier le manque d’opportunités. Mais les chercheurs-ses rappellent aussi que ces mêmes programmes pour les creative executive ont largement besoin d’être améliorés.

Les Oscars 2017 traduisent a priori un certain mieux en ce qui concerne les minorités. Mais nous sommes loin d’un mieux qui pourrait signifier qu’il n’est plus nécessaire de s’exprimer et de se révolter. Loin (très très loin) de là. La reconnaissance par ses pairs au cinéma − et dans les arts en général − n’est pas une broutille, et c’est au cœur même de ce système bien huilé qui crée une certaine exclusion qu’est le problème. En outre, l’impunité règne partout, et c’est un travail épuisant, mais nécessaire, que de rappeler que les institutions n’ont aucun mal à célébrer des violeurs et à leur donner des récompenses, mais beaucoup plus à reconnaître la qualité du travail de personnes talentueuses et ignorées à cause de leur genre ou de leur couleur de peau. En tête de la liste des Immunisés du septième art : Roman Polanski, choisi pour présider les Césars 2017, Casey Affleck, nommé dans la catégorie Meilleur acteur aux Oscars 2017, et Woody Allen, qui n’en finit pas d’être vénéré le reste de l’année (oh, et puis tant que l’on y est, on a aussi un pussy grabber in chief à la tête des États-Unis).

Et si nous avons la fâcheuse tendance à toujours regarder de l’autre côté de l’Atlantique, la France n’est pas en reste. Le racisme et le sexisme sont également au cœur des mécaniques de production (et parfois à l’affiche même). Que le moment interminable des cérémonies de récompenses, ici comme ailleurs, serve donc à cela : l’état des lieux du monde du cinéma, et la recherche concrète de solutions pour mettre fin à des pratiques inexcusables et archaïques.

À travers quelques films, l’équipe de Deuxième Page a voulu proposer des analyses, des regards critiques sur les productions sélectionnées pour la 89e cérémonie des Oscars. Entre véritables coups de cœur (Moonlight), sérieuse perplexité (Premier Contact) et sincère déception (La La Land), les plumes se sont exprimées avec toute la liberté qui leur est offerte sur notre site. Car il ne sera jamais assez important de rappeler que critiquer une œuvre n’est pas synonyme de détestation absolue. Le cinéma est un art et, en cela, il porte un regard sur nos sociétés ou les reflète carrément. Garder l’esprit vif, ne pas se laisser endormir par les grosses productions est une mission pour nous tou-te-s qui aimons la culture et la partager. 

La rédaction

 

The Lobster de Yórgos Lánthimos, une apologie des zones de flou (2015)

The Lobster, réalisé par Yórgos Lánthimos, 2015. © Haut et Court

The Lobster est un film de science-fiction teinté d’un grand réalisme, qui oscille entre comédie pince-sans-rire et drame romantique. Dans un monde où l’entre-deux est interdit, les personnages sont amenés à faire des choix impossibles : vivre dans l’authenticité, quitte à devenir des parias, ou continuer à faire semblant toute leur vie.

Nommé dans la catégorie Meilleur scénario original.

 


Zootopie, déconstruire les clichés au pays des animaux parlants (2016)

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, 2016. © Disney

Zootopie, réalisé par Byron Howard, Rich Moore et Jared Bush, 2016. © Disney

Disney aura mis du temps à renouer avec les films d’animaux, mais ça valait le coup d’attendre ! Dans Zootopie, sorti en février 2016, le monde animal évolue dans notre société contemporaine. Aussi intelligent qu’hilarant.

Nommé dans la catégorie Meilleur film d’animation.

 


Premier Contact de Denis Villeneuve, l’échec d’un échange entre science-fiction et humanité (2016)

Premier Contact, réalisé par Denis Villeneuve, 2016. © Sony Picture

Le dernier film de Denis Villeneuve, Premier Contact, est nommé huit fois aux Oscars 2017. Ce long-métrage de science-fiction, adapté de la nouvelle L’Histoire de ta vie, de Ted Chiang, est à bien des égards une réussite. Pourtant, la mise en scène intelligente de cette invasion mystique suffit-elle à rattraper l’échec d’un scénario peuplé d’incertitudes ?

Nommé dans les catégories Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario adapté, Meilleurs décors, Meilleure photographie, Meilleur montage, Meilleur montage de son et Meilleur mixage de son.

 


Kubo et l’Armure magique, des souvenirs pour poétiser le monde (2016)

Kubo et l'Armure magique, réalisé par Travis Knight, 2016 © Universal Pictures

Kubo et l’Armure magique, réalisé par Travis Knight, 2016. © Universal Pictures

Le studio Laika, à l’origine de Coraline en 2009, fait une quatrième fois ses preuves et s’impose. Dans Kubo et l’Armure magique, le film d’animation se fait poème visuel sur le deuil chez l’enfant, et sur un pouvoir que l’on possède tou-te-s à notre manière, celui de raconter des histoires pour appréhender le monde qui nous entoure.

Nommé dans les catégories Meilleurs effets visuels et Meilleur film d’animation.

 


Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan : il faut plus que des larmes pour panser des plaies (2016)

Manchester by the Sea, réalisé par Kenneth Lonergan, 2016 © Universal Pictures

Manchester by the Sea, réalisé par Kenneth Lonergan, 2016. © Universal Pictures

Manchester by the Sea dépeint le retour dans sa ville natale d’un homme héritant de la tutelle de son neveu à la mort de son frère. Il se heurte alors au poids d’un passé tragique marqué par la mort de ses enfants et la rupture avec sa famille. Oscillant entre tentative de réconciliation et nihilisme, le film de Kenneth Lonergan peine à panser les blessures d’une Amérique coupable et déchirée.

Nommé dans les catégories Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur (Casey Affleck), Meilleur acteur dans un second rôle (Lucas Hedges), Meilleure actrice dans un second rôle (Michelle Williams) et Meilleur scénario original.

 


Moonlight de Barry Jenkins, de l’art de maîtriser la poétique du dévoilement (2017)

Moonlight, réalisé par Barry Jenkins, 2016. © Mars Films

En cette ère sobrement nommée « post-Obama », les minorités des États-Unis doivent faire face à l’isolement progressif, à la limitation de leurs droits durement acquis et user de toute leur résilience pour faire front. Avec Moonlight, le réalisateur Barry Jenkins nous ouvre les portes d’un monde teinté de noir et de bleu. Il met en scène les luttes contre soi, contre les autres, en partant d’une simple question : comment vit-on lorsque l’on est un jeune noir homosexuel dans un quartier défavorisé de Miami ?

Nommé dans les catégories Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur dans un second rôle (Mahershala Ali), Meilleure actrice dans un second rôle (Naomie Harris), Meilleur scénario adapté, Meilleure photographie, Meilleur montage et Meilleure musique de film.

 


La La Land de Damien Chazelle, l’implacable magnétisme du vide hollywoodien (2017)

La La Land, réalisé par Damien Chazelle, 2017. © SND

Dans La La Land, Mia et Seb se rencontrent, s’aiment et se déchirent. Damien Chazelle propose un long-métrage qui est, à la fois, une réflexion intéressante sur le rapport que nous pouvons entretenir avec l’art, et une tentative vide de rendre hommage au genre de la comédie musicale.

Nommé dans les catégories Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur (Ryan Gosling), Meilleure actrice (Emma Stone), Meilleur scénario original, Meilleurs décors, Meilleurs costumes, Meilleure photographie, Meilleur montage, Meilleur montage de son, Meilleur mixage de son, Meilleure chanson originale (pour Audition (The Fools Who Dream) et pour City of Stars) et Meilleure musique de film.

 


Nocturnal Animals de Tom Ford et la politique fallacieuse des corps (2017)

Nocturnal Animals, réalisé par Tom Ford, 2017. © Universal Pictures

Nocturnal Animals, le deuxième film du réalisateur américain Tom Ford, est une dissertation filmique sur le corps politique. Perdu entre ses prétentions esthétisantes et l’objet de son propos, le long-métrage échoue à sortir le corps féminin des moules que la société lui impose, mais parvient subtilement à traiter de la masculinité toxique et de ses terribles conséquences.

Nommé dans la catégorie Meilleur acteur dans un second rôle (Michael Shannon).