Dans ce nouveau « Mémorandom », Marie-Ange mélange mots et dessins. Alors que l’automne se rafraîchit, elle s’arme d’un peu de nostalgie, de pensées chères aux romantiques du XIXe siècle et, comme l’inconnu d’une célèbre toile de Caspar David Friedrich, contemple le monde qui s’agite à ses pieds. Puis s’offre le calme d’une tasse de thé. 

 

Novembre. En cette fin d’après-midi, mains dans les poches, visage enfoui dans mon manteau d’hiver, je sors de la rame de métro. L’agitation parisienne a laissé place au calme de ma banlieue natale, mais mon esprit demeure troublé. Comme imprégné des débris de cette effervescence. Je décide de rentrer à pied, marcher me fera du bien.

Alors qu’une mélodie de Radiohead me revient en tête, je branche mes écouteurs pour accompagner mes pas. « You’ve got a light you can feel it on your back / Jigsaws falling into place… »

Mes bottes aux lacets défaits foulent les pavés, tandis qu’une brise froide balaye les feuilles mortes. J’avance, les yeux rivés au sol. Les pensées fusent sous mon crâne, comme les voitures sur l’asphalte.

La devanture désuète du tabac de la gare, que l’on pourrait croire sortie d’un film de Jean-Pierre Jeunet, est immuable, comme figée dans le temps. Je la contemple rêveusement. Vingt-six ans que j’arpente ces trottoirs, et ils me sont toujours un peu étrangers. Telle une Amélie Poulain maussade, je me demande ce que font les gens derrière ces fenêtres dont je ne percerai jamais les secrets.

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En passant devant le parc, je m’arrête pour refaire mes lacets et je contemple la longue pelouse bordée de marronniers. Un instrumental de Nine Inch Nails en bande-son… je me sens un instant comme le voyageur de ce tableau de Caspar David Friedrich. Là, au milieu des éléments déchaînés. Je m’abandonne à la mélancolie, parfait cliché d’héroïne romantique, mais un courant d’air glacé écourte ma contemplation, et je reprends ma route.

Tandis que je pousse le portail familier, un dernier rayon de soleil perce soudain le ciel. Sortant de ma bulle morose, je décroche mes écouteurs et lève la tête pour capter cette lueur qui me réchauffe la peau et me ravive le cœur.

J’entrevois alors une façon d’égayer ma soirée : je noierai mon spleen dans la chaleur d’un thé et quelques épisodes d’une bonne série. Après tout, parfois il faut bien se ménager.

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Œuvres et lieux cité-e-s :

  • « Jigsaw Falling Into Place », In Rainbows, Radiohead, 2007
  • Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001
  • « Ghosts I », Ghosts I-IV, Nine Inch Nails, 2008
  • Le Voyageur contemplant une mer de nuages, Caspar David Friedrich, 1818
  • Twin Peaks, David Lynch, 1990