Lady Caroline Lamb, c’était un peu la Adele du XIXe siècle. Sans les chansons, mais en exprimant aussi la perte d’un autre dans son art. Née en 1785, elle se rebelle très jeune, et sa famille néglige son éducation jusqu’à ses 15 ans. Pourtant, cela ne l’empêche pas par la suite de devenir une autrice accomplie et prolifique. À l’âge de 20 ans, l’aristocrate épouse un homme aussi beau que ceux des romans de Jane Austen. Mais sept ans plus tard, au printemps 1812, elle rencontre Lord Byron himself, avec lequel elle a une aventure. Une histoire passionnée rythmée par des correspondances écrites, des envois de poils pubiens et des surnoms animaliers. Mais Byron, pas franchement connu pour sa galanterie – et que Lady Caroline décrit comme « fou, mauvais et dangereux à côtoyer » –, la quitte en lui envoyant un courrier cruel (la rupture par texto avant l’heure). Elle prend alors la plume et exprime sa douleur dans une fiction. Une vengeance artistique qui fait d’elle l’une des personnalités les plus importantes de la première moitié du XIXe siècle. Glenarvon, publié en 1816, est un incroyable succès. Ce roman gothique met en scène des versions alternatives d’elle-même et de personnes de son entourage, Byron y devenant une sorte de figure à la fois maléfique et héroïque appelée Lord Ruthven. Pour qui se plaît à explorer la période romantique, le protagoniste intrépide et compromis apparaissant dans Glenarvon est à n’en pas douter l’une des premières représentations du héros byronien, en dehors du travail du poète britannique. Bien que l’œuvre ait été publiée de manière anonyme, tout le monde savait qui en était l’autrice. Comme d’habitude, il n’existe aucune ressource pour les non-anglophones concernant la personnalité fascinante qu’était Lady Caroline Lamb. La mémoire de celle que la romancière Lady Morgan décrivait comme « éloquente » et « pleine d’idées » n’aura pas échappé à l’effacement de la contribution des femmes dans l’histoire. Alors, en attendant, on te partage deux textes, l’un d’Annabelle Gasquez, l’autre de l’écrivaine, qui prennent leurs racines dans la même émotion, à travers l’espace et le temps.

 

C’est un étrange sentiment. Tu sais, la chaleur qui te remplit le cœur à la vision d’une silhouette familière. Et puis. La violence qui te remonte au nez, comme la fameuse moutarde. Le temps passe, mais le corps n’oublie pas. Il se contracte jusqu’à la douleur, celle si caractéristique des amitiés que l’on perd. Dans les cris. Le silence. Les pleurs. Face à l’inévitabilité de la cassure, tu ressens l’impuissance de ces héroïnes tragiques, condamnées avant même d’exister. Que vaut une vie dont les rebondissements sont déjà écrits ? Que vaut l’émotion quand celle-ci est dictée par la plume d’une romancière sadique ?

Tu pleureras celle-ci. Tu oublieras celui-là. Tu aimeras l’autre, et tu le perdras. Il n’y a rien qui ne m’angoisse davantage que la pensée d’une bibliothèque. Toutes ces histoires. Il s’y trouve forcément la mienne. Alors, pourquoi agir ? Choisir ? Me laisser penser que dans les pas que je fais, la liberté est reine dans mon royaume d’intimité.

As-tu déjà eu le sentiment d’être condamnée ? Peut-être maudite ? As-tu vu les ficelles au-dessus de ton crâne, de tes mains, de tes pieds ? Squelette malléable. As-tu senti ton cœur s’arrêter de battre et ton souffle persister ?

Comme c’est absurde, tout cela. Tu sais. Toi et moi. Et ces minutes, ces milliers de minutes écoulées sans plus jamais entendre chanter ta voix. Peut-être existe-t-elle chez le disquaire qui me fait face. Peut-être n’avons-nous pas le privilège de l’originalité. Ni toi et ta voix, ni moi et mes pas.

Chaque matin contient l’incertitude. Cet instant de doute qui te renvoie à l’incroyable farce. Et puis, tu fais ces gestes mécaniques, et à nouveau, tout recommence. Tu ne t’expliques pas la peur de traverser au feu rouge, alors qu’en toi, plus rien ne luit. Imbécile animal.

Les errances dans la ville n’existent que la nuit. Quand d’autres pressent le pas, tu t’arrêtes. Contemples. Affrontes ce destin et parles au marionnettiste en langue morte. Car tout est en deuil. L’Univers assiste aux funérailles de notre espèce. Et rien ne nous affole, pas même la contemplation de notre propre trépas.

Annabelle Gasquez

 

Invocation to Sleep (1830)

Oh balm of nature to the mind opprest,
Descend and calm the tumults of my breast;
Bind with Oblivion’s veil these wakeful eyes,
And still the varying passions as they rise;
While airy dreams, in Fancy’s fictious light,
Sport in the gloomy darkness of the night;
And a bright Angel, borne on silver wings,
To heaven’s high arch his song of triumph sings:
Oh, Sleep ! descend, and, on thy downy breast,
Lull, with thy poppy wreath, my soul to rest!

Lady Caroline Lamb, dans British Women Poets of the Romantic Era: An Anthology,
Paula R. Feldman, Johns Hopkins University Press, 2000.

 


Pour celles et ceux qui préfèrent Spotify, c’est par là.

 

Tracklist :

  1. Anna von Hausswolff — The Mysterious Vanishing of Electra
  2. Zola Jesus — Veka
  3. Gazelle Twin — Good Death
  4. Forest Swords — Arms Out
  5. Kelly Lee Owens — Lucid
  6. Ibeyi — Deathless
  7. Kelsey Lu — Morning After Coffee
  8. Emma Ruth Rundle — Hand of God
  9. Agnes Obel — Red Virgin Soil
  10. Chelsea Wolfe — Virginia Woolf Underwater

 


Toutes les citations de l’introduction sont extraites de British Women Poets of the Romantic Era: An Anthology, Paula R. Feldman, Johns Hopkins University Press, 2000.


Image de une : © Julia Petrova