Cette semaine, promenade à dos des machines de l’île de Nantes avec Louise. Un voyage mécanique, aux confins de l’imaginaire, qui débusque les folles entrées de nos esprits délurés. Car, lequel ou laquelle de nous, terrien-ne-s, peut affirmer avoir totalement les pieds sur Terre ?

 

Je suis arrivée un matin d’automne dans cette ville que beaucoup me décrivaient comme fabuleuse. Et c’est vrai, Nantes est un petit îlot semblable à aucun autre, où les créatures réelles et imaginaires se côtoient sans détour. Un, deux, trois, nous irons là-bas… là où l’éléphant mécanique semble tout droit sorti d’un conte de Jules Verne, où des bestioles robotiques s’animent avec joie, et où des poissons volants dansent autour d’un carrousel. Pour le plaisir de retomber en enfance, je grimpe sur un hippocampe. Suspendue dans les abysses, je rêve à d’autres chimères. Les personnages de mon imagination s’emballent, tandis que la voix organique et euphorisante de Björk parvient à mes oreilles : « It’s oh so quiet / Shh shh / Its oh so still / Shh shh / Youre all alone / Shh shh / And so peaceful until / You fall in love. » Zing ! Boom ! Je suis à présent une libellule ivre de joie et de démence prise dans un tourbillon. Les apparences sont trompeuses, comme cette araignée là-bas qui tisse une toile en fils de fer. Ses yeux rouges me font de l’œil, et je me laisse séduire par cette dame arachnéenne un brin ténébreuse. Vite, un médecin ! Je ne me sens pas bien. Je vole à présent au-dessus d’un nid de coucou…

Réellement, je suis au centre hospitalier de M., au beau milieu du néant. Je dois rendre visite à un proche. Là-bas, les humain-e-s ne sont plus que des coquilles vides retirées à leur conscience. Celles et ceux que je croise sont des rôdeurs-ses, des ombres shootées au Xanax et autres anxiolytiques. Dans cette vallée dérangeante, je déchante. Une odeur âpre et humide inonde les couloirs déserts où seule la désolation règne. Je tente par tous les moyens de faire bonne figure auprès de lui, mais mon regard ne peut embaumer ma consternation. Il le sait, il tient bon, il crie ! Que puis-je pour lui, sinon écrire ces quelques lignes qui témoignent de cette situation absurde dans lequel on l’a mis. Se regarder dans un miroir et n’y voir qu’une moitié de soi-même, est-ce là une pathologie ? Et que font les autres ici ? Shh, Shh… Le bruit du silence est un cauchemar, malheureusement éveillé. Heureusement, je me souviens des photos de Diane Arbus. Des images qui subliment l’étrangeté. « Cest ce que jaime : la différence, le caractère unique de toute chose et limportance de la vie », écrivait-elle à 16 ans dans une dissertation sur Platon.

Je m’en vais, laissant derrière moi un jeune garçon un peu paumé, un peu triste, et très enfermé… physiquement. En passant les grilles de cet endroit qui n’a rien à envier au mystère d’un Manderley, château hanté par les secrets tout droit sorti de l’imagination de la romancière Daphne du Maurier, je me demande : que l’on soit dehors ou dedans, finalement ne sommes-nous pas tou-te-s prisonniers-ères ? De quoi, de qui, peu importe. L’important, me dis-je, est de savoir apprivoiser et revendiquer cette part de folie en chacun de nous. Car la personne qui se dit normale est sans doute la plus touchée.

 

Oeuvres et lieux cité-e-s :

  • It’s Oh So QuietBjörk, 1995
  • Vol au-dessus d’un nid de coucou, Miloš Forman, 1975
  • Diane Arbus, La Martinière, 2011
  • Rebecca, Daphne du Maurier, 1938
  • Les Machines de l’île, 44200 Nantes, exposition ouverte du lundi au dimanche de 10h à 18h