Si tu ne sais pas quoi regarder ce soir, aucun problème ! Toujours soucieux de mettre en lumière le travail des femmes, souvent invisibilisé au cinéma, Deuxième Page a décidé de te faire une sélection des cinq meilleurs films réalisés par des femmes disponibles en ce moment sur Netflix. Et pour certains, il s’agit des meilleurs films tout court. Enjoy! (Et nourris ton chat quand même avant, il n’est pas responsable de sa situation de dépendance à ton égard. La vaisselle peut attendre par contre.)

 

Paris is Burning, Jennie Livingston, 1990

Paris is Burning, réalisé par Jennie Livingston, 1990. © Netflix

Dans le New York de la fin des années 1980, l’on défile confiant-e-s sur le sol des ballrooms. Il y a en ces lieux toute la culture confidentielle, riche et complexe d’une société américaine pleine de paradoxes. Une culture libre et captivante, avant que Madonna ne vienne tout gâcher en popularisant ce qui était au cœur de la ball culture : le voguing. Le mainstream n’a que faire des communautés qu’il pille. Il vide tout de sa substance. D’ailleurs, il est important de noter que des autrices féministes comme bell hooks ont interrogé l’intention de la réalisatrice et son possible voyeurisme, responsable à sa manière d’une forme d’appropriation culturelle. À chacun-e de se faire son avis. Il demeure que (re)voir Paris is Burning en 2018 est une expérience saisissante. Le film s’ouvre dans le New York gay, trans*, drag, hispanique, noir et nocturne de la fin du XXe siècle. Les néons et panneaux d’affichage éclairent les visages et les rues comme autant de projecteurs de fortune. Sous une annonce pour un rassemblement dans une église suprémaciste, Jennie Livingston nous présente les personnages qui nous accompagneront pendant plus d’une heure. Le monde des balls est un univers en soi. La communauté gay s’y réapproprie un bout de la société, en dehors de celle-ci : « Dans une ballroom, tu peux être tout ce que tu veux. » Dans cette réalité, chacun-e est le héros ou l’héroïne de sa propre histoire. À quoi rêves-tu ? Qui es-tu ? La réalisatrice mêle les aspirations de ces protagonistes à la vérité, souvent éprouvante, du quotidien des minorités aux États-Unis. L’illusion, à portée de chacun-e, serait ce but ultime : « Vivre et paraître aussi bien qu’une personne blanche, telle qu’elle est représentée en Amérique. » Dans une société où le modèle populaire est celle dépeinte dans la série Dynastie, les êtres laissé-e-s sur le côté n’ont ici d’autre choix que de se créer la place qui leur a trop longtemps été refusée.

 

Dukhtar, Afia Nathaniel, 2014

Dukhtar, réalisé par Afia Nathaniel, 2014. © Geo Films

Ce film pakistanais est une rareté − et de celles que l’on ne croise que par hasard. Dukhtar (« fille » en français) s’ouvre sur une étendue d’eau, et une musique magnifique. Une femme sur une barque semble immobile, sa silhouette se reflète sur la masse liquide. Dès les premières minutes du film, les plans nous suggèrent son sujet même : la séparation entre les femmes et les hommes au Pakistan, l’état de fait que l’on tait, la relation de domination insupportable. Alors qu’une femme cuisine, son mari attend d’être servi de l’autre côté du mur. Cette femme, Allah Rakhi, est la mère de Zainab. Lorsqu’elle a du temps libre, la petite apprend à sa mère à lire et à écrire. Elles rient et partagent des moments d’innocence, durant lesquels Allah Rakhi peut oublier sa condition et celle qui attend inévitablement sa fille. En dehors de cette maison, leur vie se joue dans un monde essentiellement masculin. Les conflits entre des tribus et la guerre qui se prépare vont rapidement éclater la bulle fragile qui protège la mère et la fille dans les premiers instants du long-métrage. Les décisions se prennent entre hommes, et celle de marier Zainab à un vieux chef de tribu pour apaiser les esprits aussi. Alors que la fillette envisage son futur mariage comme une belle histoire avec un prince charmant, à l’image de celles qui nourrissent son imaginaire, Allah Rakhi ne peut supporter que l’existence de son enfant soit brisée par autrui. Commence alors leur fuite. Elles ne pourront compter que sur elles-mêmes et leur ténacité pour échapper à des hommes qui n’auront de repos qu’après avoir vengé leur honneur, soi-disant bafoué par deux femmes. Dukhtar devient ainsi un superbe road movie, une aventure entre conte et course contre la montre, dont la conclusion reste incertaine.

 

Matrix, Lana et Lilly Wachowski, 1999

Matrix, réalisé par Lana et Lilly Wachowski, 1999. © Warner Bros.

Il serait facile de constater la redondance et la prévisibilité d’une telle recommandation. Pourtant, regarder Matrix en 2018 a peut-être encore plus d’importance que lors de sa sortie. Dans un premier temps pour sa résonance avec le reste de l’œuvre des sœurs Wachowski, et surtout leur merveilleuse série, Sense8. Si les artistes développent souvent leur travail autour d’obsessions, de thématiques centrales, celles des réalisatrices peuvent se lire à travers l’ensemble de leurs créations. Matrix a beau se dérouler dans une réalité qui nous semble lointaine (douce nostalgie des années 1990 et des lecteurs de disquettes), ses protagonistes nous regardent toujours droit dans les yeux. Neo, coincé dans une vie sans goût, dans cette soumission au système capitaliste, et dépendant d’un boulot dans une entreprise qu’il déteste, cherche à franchir la frontière. En suivant le lapin blanc, telle Alice, il accède à l’imaginaire comme alternative à la réalité. Il pénètre un monde où sa renaissance est celle de son être, il naît à nouveau pour exister librement. Neo franchit les démarcations invisibles qui nous sont sans cesse imposées et accède à un monde non binaire. Tout, dans les aventures de Neo, est une question de choix. Aucun déterminisme, malgré la présence lourde d’une possible prophétie. « La Matrice est universelle, omniprésente. Elle nous enveloppe, même dans cette pièce. Tu peux la voir par la fenêtre ou quand tu allumes la télévision. Tu sens sa présence quand tu pars travailler, quand tu vas à l’église, quand tu paies tes factures. Elle est le monde. C’est le monde que l’on superpose devant ta vue pour te cacher la vérité », nous dit sagement Morpheus. Il ne tient qu’à nous de prendre la pilule rouge dans notre réalité.

 

Lovesong, So Yong Kim, 2016

Lovesong, réalisé par So Yong Kim, 2016. © Netflix

La douceur de Lovesong est trompeuse, et amère sous le palais. Tout le propos du film vient en effet contraster son ouverture : un moment de tendresse partagé au réveil entre une mère et sa fille. La caméra s’éloigne, comme pour leur laisser une sorte de bulle idéalisée et précieuse. Elles sont hors de portée. Les spectatrices et spectateurs peuvent assister à ces moments de vie, mais ne peuvent les partager totalement. Dans ce foyer où le mari est absent, Sarah et sa fille Jessie forment un binôme de survivance. L’allégorie d’une résilience au quotidien incarnée à travers le couple composé de la mère sacrificielle et de l’innocente petite fille. Mais la bulle s’agrandit lorsqu’une ancienne amie de Sarah, Mindy, arrive dans cette maison isolée au cœur de la forêt. Celle-ci sert de miroir inversé à sa confidente : elle est libre, célibataire, sans enfant, spontanée et épanouie. Elle est la bouée de secours de Sarah, qui, elle, étouffe et se noie peu à peu. Leur intimité nous est alors soudainement accessible. Le film révèle par la suite une relation complexe entre les deux femmes, où amitié et amour ne sont plus qu’une seule et même chose. Leur relation est faite de non-dits, de silence, d’un étouffement sociétal permanent − aussi éloigné de la ville qu’elles puissent être. Ce moment partagé entre ces trois protagonistes est comme une parenthèse onirique, une respiration permise en pleine apnée. Une chanson brève et vitale. Pourtant, après une ellipse de trois ans, la réalité reprend le dessus. La société a gagné, et nous observons ce que deux êtres peuvent s’imposer sans d’autres raisons que le conditionnement et l’obéissance inconsciente. On rêve de voir ces deux femmes s’aimer dans une temporalité arrêtée, bercées par un air harmonieux et infini. Fantasmé.

 

Deep Impact, Mimi Leder, 1998

Deep Impact, réalisé par Mimi Leder, 1998. © United International Pictures

À l’époque de la sortie de Deep Impact, Elijah Wood n’était qu’un garçonnet, et Le Seigneur des anneaux un amas de pages jaunies sur une étagère du CDI de nos lycées. Pourtant, il y a dans ce film d’action tout ce que l’on attend d’une fiction nous annonçant notre destruction proche : de belles images de l’espace, une réalisation propre et efficace, un jeu d’actrices et d’acteurs tout en sobriété. Deep Impact, c’est l’ambiance de Stranger Things avant même la nostalgie contemporaine du XXe siècle, et des menaces de fin du monde sans l’espoir de voir Doctor Who sauver l’humanité. À la place, le film nous présente une journaliste frustrée de devoir couvrir des sujets insignifiants, qui découvre un secret d’État : des comètes – aperçues par un enfant et son professeur d’astronomie – vont percuter la Terre. L’affrontement entre les médias et Washington fait rage. On retrouve Morgan Freeman en président des États-Unis qui doit faire face à la plus grosse menace de son mandat − dont le premier conseil à ses concitoyen-ne-s paniqué-e-s est de continuer à payer leurs factures, God bless America. Mais toutes les tentatives de sauvetage du gouvernement sont vouées à échouer les unes après les autres. Ici, les États-Unis sont au centre des préoccupations, et peu importe les voisin-e-s. Un poil de patriotisme, de chaos, de teen romance, et le tour est joué. Mimi Leder, réalisatrice de plusieurs épisodes de la série The Leftovers, avait donc, semble-t-il, depuis longtemps des envies de fin du monde. L’envie d’une contemplation passive de l’inévitable conclusion. Elle signe ici son deuxième film, une fiction sans grande prétention, mais dont l’héroïne sacrificielle nous accompagne tout le long, comme une présence rassurante.