La série The Good Place nous propose de suivre les (més)aventures d’Eleanor, archétype de la peste égocentrique, propulsée par erreur au Bon Endroit, une allégorie américanisée du paradis. Dès qu’elle se rend compte de la méprise, elle n’a de cesse de chercher à y mériter sa place, avec l’aide de Chidi, professeur d’éthique. Une comédie morale donc, où l’on reprend les bases de philo, qui ont torturé certain-e-s d’entre nous au lycée.

 

The Good Place, série télévisée américaine créée par Michael Schur, relate les péripéties d’Eleanor (Kristen Bell), une Américaine stéréotypée, superficielle et égoïste, qui se retrouve au Bon Endroit (« Good Place ») par erreur après son décès. Michael (Ted Danson), l’ange architecte de ce lieu, en est en quelque sorte le maire. Eleanor doit alors cohabiter avec l’âme sœur qui a été choisie pour elle, Chidi (William Jackson Harper), un ennuyeux professeur de philosophie morale, et composer avec ses voisin-e-s, Tahani (Jameela Jamil), une riche organisatrice de soirées pour philanthropes, et Jianyu (Manny Jacinto), un moine bouddhiste ayant fait vœu de silence.

Le Bon Endroit est un lieu « paradisiaque » donc, où les habitant-e-s baignent dans une éternité de bonheur, trouvent leur véritable âme sœur, se voient attribuer des maisons parfaites et se nourrissent de yaourts glacés. Tous leurs désirs peuvent en outre être comblés par Janet (D’Arcy Carden), une assistante personnelle, ni femme ni robot, possédant tous les dons et toutes les connaissances de l’Univers. Mais ne t’y trompe pas : au Bon Endroit, on peut picoler, organiser des fêtes somptueuses et même pratiquer l’échangisme…

The Good Place, créée par Michael Schur, 2016 – 2018. © NBC

Entre rebondissements, humour grinçant et personnages attachants, on se laisse prendre assez facilement par l’univers loufoque de la série, qui compte pour l’instant deux saisons. D’autant que cette comédie cache bien son jeu. Elle est beaucoup plus intéressante et profonde qu’à première vue. Une fausse simplicité, à l’image d’Eleanor qui se révèle plus nuancée au fil des épisodes − une bonne élève sous ses airs de cancre.

 

« Tout va bien ! Vous êtes au Bon Endroit »

Le premier épisode s’ouvre sur Eleanor, assise sur un canapé dans ce qui semble être une salle d’attente. Sur le mur en face d’elle se détachent ces mots : « Welcome ! Everything is fine » (« Bienvenue ! Tout va bien »). Michael, chargé de l’accueillir, lui explique qu’elle est morte et qu’elle se trouve au Bon Endroit, à la suite d’une vie dévouée aux autres, dans le dénuement le plus total. Eleanor, interloquée, joue tout de même le jeu et se laisse entraîner. Cette erreur de casting va vite se faire ressentir, puisqu’elle déséquilibre le Bon Endroit à cause des mauvais comportements de la jeune femme. On assiste alors à une série d’événements loufoques et cataclysmiques faisant craindre à Michael et à Janet la destruction du lieu.

La problématique de fond traitée au cours de la première saison est simple  : comment trouve-t-on sa place dans la société ? Celle-ci se mérite-t-elle ? Eleanor comprend immédiatement qu’elle n’a rien à faire au Bon Endroit, ce qui renvoie au syndrome de l’imposteur-rice, cette petite voix qui nous dit que nous ne méritons pas nos succès, que nous serons démasqué-e un jour ou l’autre, et renvoyé-e là où nous devrions être… Or, dans le cas d’Eleanor, c’est le contraire qui se joue, puisqu’elle a obtenu un privilège qui n’aurait pas dû lui être accordé (selon les règles très manichéennes de ce « monde des mort-e-s »). Afin de ne pas se faire démasquer, elle tente donc de devenir une meilleure personne, mais toujours avec la motivation d’une récompense à l’arrivée.

The Good Place, créée par Michael Schur, 2016 – 2018. © NBC

Au fil des épisodes, Eleanor apprend à mettre en pratique les concepts philosophiques enseignés par Chidi, dans le but avoué d’éviter une éternité de tortures toutes plus inventives les unes que les autres au Mauvais Endroit. Celui-ci rassemble les pires personnes ayant vécu sur Terre, psychopathes et criminel-le-s en tous genres, mais aussi les humain-e-s lambda qui n’ont pas fait d’efforts outre mesure pour sauver leur âme ou celle des autres. Une division qui correspond volontairement au manichéisme de la série, pour mieux tenter de le dénoncer. S’il y a un Endroit Moyen, il est réservé à une seule personne : Mindy St. Claire, et il semblerait que celui-ci ait été créé spécialement pour elle, car le Bon et le Mauvais Endroits n’arrivaient pas à déterminer quelle était sa place dans cet au-delà binaire. La simplicité apparente de la série est donc en permanence questionnée, principalement par la présence d’irrégularités qui viennent remettre en cause le bien-fondé de ce système.

 

Un paradis artificiel, à l’image de l’american way of life

Ainsi, se retrouve au Bon Endroit la crème de la crème de l’altruisme et de la philanthropie. Un paradis qui nous semble d’ailleurs un peu trop artificiel et lisse, à l’image des banlieues bon chic bon genre que l’on trouve parfois aux États-Unis. Le Mauvais Endroit nous paraîtrait presque plus excitant finalement…

As-tu connu l’époque où, à l’école, nous cumulions des bons points que nous pouvions échanger contre une image ou une autre récompense ? Ici, le principe est le même, mais en un peu plus complexe, une action sur Terre pouvant engendrer un certain nombre de conséquences positives et/ou négatives. Il s’agit pour ainsi dire d’un algorithme (comme pour Google, Facebook et consorts) qui se charge de calculer si tu es une bonne ou une mauvaise personne. C’est également un algorithme qui forme les couples d’âmes sœurs (comme pour Meetic, Match ou autres sites de rencontres), ce qui fait que les téléspectateurs-rices ne sont pas dépaysé-e-s.

The Good Place, créée par Michael Schur, 2016 – 2018. © NBC

C’est la seule critique que l’on pourrait faire à The Good Place : sa vision très ethnocentrée du bonheur. Car quand bien même ses habitant-e-s viennent de différents pays et différentes cultures à travers le monde, ce petit coin de paradis a été conçu de manière à coller à l’american way of life cher à Hollywood, sans pour autant prendre le temps de faire une réflexion critique à son sujet. L’analyse laisse de côté les questions sociétales pour se concentrer sur l’être humain et le concept d’humanité à travers les notions de philosophie morale et d’éthique qui ponctuent le récit.

C’est à se demander quelle serait la place des personnes souffrant d’une déficience, d’une maladie psychiatrique ou d’un handicap dans cet au-delà binaire. Celui-ci semble faire peu de cas de l’héritage familial, éducatif ou génétique, et plus largement de la complexité d’une expérience humaine. Mais si l’algorithme qui décide du destin des humain-e-s est injuste, c’est peut-être bien parce que la société l’est aussi et que ce monde parallèle n’en est que le miroir grossissant.

 

Une comédie moins superficielle qu’il n’y paraît

La série joue sur une simplicité de façade, personnifiée par Eleanor, qui se montre au fil des épisodes plus intelligente et nuancée qu’au premier abord. C’est l’antihéroïne par excellence, la personne que l’on détesterait si on la côtoyait, mais à laquelle on finit par s’attacher malgré nous et que l’on souhaite voir réussir.

Dans ce monde post-mortem proposé par la série, tout est simple et dichotomique. On s’est suffisamment torturé-e-s sur Terre pour essayer de faire les bons choix, culpabiliser à tout va et être une bonne personne, pour que ce poids s’efface au paradis, non ?

The Good Place, créée par Michael Schur, 2016 – 2018. © NBC

Pour Eleanor et ses ami-e-s, ce ne sera évidemment pas le cas. L’enjeu est tel que le questionnement est quasi permanent : comment agir de la meilleure façon qu’il soit pour la jeune femme, qui a par ailleurs beaucoup de mal à changer en profondeur ? Mais la série prend son temps, et ce n’est pas une mauvaise chose. Il ne faut pas oublier que sa place devrait être au Mauvais Endroit, à cause de son égoïsme quasi pathologique.

De manière plus ou moins insidieuse, The Good Place peut mener à une réflexion sur ce qu’être une « bonne personne » signifie. Étant donné que la moindre de nos actions a des répercussions positives ou négatives sur les autres et la société en général, la perspective de l’au-delà implique de prendre la mesure de notre comportement sur Terre. Suffit-il de culpabiliser après une mauvaise action et de tenter de la réparer pour que cela fasse de nous des gens « bien » ? Même si la série cherche à se défaire des références religieuses, elles sont bien là, à travers les notions de philosophie morale, lesquelles sont historiquement liées à une vision judéo-chrétienne du bien et du mal. Pourtant, grâce à son humour et des répliques bien senties, elle reste agréable et intéressante à suivre, tentant en permanence de dépasser ses propres obsessions et d’éviter les pièges que son sujet lui tend en continu.

Finalement, le Bon Endroit pourrait bien être une simple et efficace allégorie du bonheur, de la paix de l’âme. Parce que nous sommes des machines à fabriquer du sens et que l’illusion d’un but nous est nécessaire pour subsister, philosopher, et disserter sur ce après quoi nous courons toute notre vie est inévitable. Mais méfie-toi de la fausse simplicité de la série, car chercher à faire le bien sans pour autant faire preuve d’un altruisme sincère n’est pas l’assurance d’avoir ton ticket d’entrée pour le Bon Endroit ! En attendant de connaître la suite des aventures d’Eleanor et de ses compagnon-ne-s de route, rendez-vous en Enfer… à moins que nous n’y soyons déjà !