Quand on s’amuse à se poser des questions de culture générale, elles sont toutes du type : « Qui est le premier homme à marcher sur la Lune ? » On ne demande jamais qui est la première programmeuse informatique, par exemple (Ada Lovelace !). Non, évidemment. L’histoire rapporte encore, toujours, et surtout les faits mémorables d’hommes (cisgenres, cela va de soi). L’équipe de Gender Games a envie de changer la donne et a donc décidé de lancer un jeu de société totalement consacré aux femmes, ainsi qu’aux personnes trans* et non binaires : Bad Bitches Only. Sa créatrice, Inès Slim, a répondu à nos questions pour notre rubrique Projectrices.

 

Peux-tu nous présenter ton projet rapidement ?

J’ai créé le jeu de société féministe Bad Bitches Only pour lutter contre l’invisibilisation des femmes et des personnes trans* et non binaires dans tous les domaines : arts, histoire, sciences, sport, etc. L’idée, c’est donc à la fois de rappeler les noms de personnalités très connues qui méritent d’être célébrées, mais aussi de mettre en avant ceux que l’histoire a effacés. Le tout en s’amusant, bien sûr ! On retrouve, par exemple, pour ne citer qu’elles : Hedy Lamarr, Madonna, Marsha P. Johnson ou encore Rosalind Franklin.

Concrètement, le jeu est composé de 250 cartes sur lesquelles apparaissent des femmes ainsi que de personnes trans* et non binaires, dont il faut deviner les noms en un temps limité ! On travaille aussi sur des extensions thématiques pour compléter tout ça. La première, en cours de création, s’appelle « Feminist Warriors » et s’intéresse aux militant-e-s féministes.

 

Quels obstacles as-tu rencontrés pour réaliser ton projet ?

La difficulté a tout d’abord été de finaliser la liste des personnalités présentes dans le jeu. Il a fallu trouver le bon équilibre entre celles ultra-connues et celles plus confidentielles, pour que le jeu soit d’une part amusant et facile, mais d’autre part qu’il respecte sa promesse de faire découvrir de nouvelles figures féministes. J’ai également souhaité porter une attention particulière à la pluralité des personnalités, en mettant en avant des personnes racisées, lesbiennes, bi, trans, qui sont d’autant plus invisibilisées.

Enfin, concernant la fabrication, j’ai dû constamment faire des compromis pour avoir un produit le plus éthique possible, tout en gardant un prix accessible pour les futur-e-s acheteurs-ses. Le jeu est créé et fabriqué en Europe, par des femmes.

 

Pourquoi ta démarche est-elle nécessaire en 2019 ?

Pour moi, il est de la responsabilité des entreprises d’inclure une démarche féministe à leur activité. Et cela ne doit pas se limiter à du pinkwashing (marketer des produits avec un argument de vente inspiré par les luttes LGBTQ+ pour générer plus de profit, ndlr), sans avoir une réelle ambition derrière.

Le féminisme a sa place dans tous les domaines de la société, et avec Bad Bitches Only, j’espère apporter ma pierre à l’édifice. Je veux participer à la revalorisation des femmes et de leur rôle dans l’histoire, mais aussi à celle de toutes les personnes que l’on met quasi systématiquement à la marge. Comme je le dis souvent sur les réseaux sociaux : « Representation matters! »

 

Quel rôle joue la culture à tes yeux dans la lutte militante et féministe ?

La lutte militante et féministe est très large et recouvre un nombre considérable de problématiques. La culture est l’une d’entre elles, puisqu’elle est le produit de la pensée dominante patriarcale. Du coup, les femmes et les personnes trans* et non binaires sont très peu ou très mal représentées, ce qui est une conséquence directe de leur absence dans le processus de création et de décision.

Pour lutter contre cela, il faut donc reprendre les commandes pour déconstruire l’imaginaire collectif, qui est majoritairement sexiste, raciste, transphobe, homophobe, grossophobe et validiste.

 

Tu as un conseil culturel pour nos lectrices et lecteurs qui aimeraient aller plus loin ?

Mon conseil serait de toujours faire attention à qui a créé l’œuvre que tu t’apprêtes à regarder, lire, écouter : les réalisatrices, autrices, peintres, musiciennes existent, il faut juste prendre le temps de les chercher – ou acheter le jeu pour avoir déjà une liste prête à l’usage !

Mais si je dois faire une recommandation, plus particulièrement en ce qui concerne la lutte antiraciste, tu devrais suivre les actions du collectif Décoloniser les arts qui fait un superbe travail sur ce sujet.

 

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* L’astérisque derrière le mot « trans » permet de rendre visible la multiplicité des identités transgenres. Il y a en effet de nombreuses façons d’être trans*, d’exister au monde. Cette utilisation de l’astérisque nous a été suggérée par la photographe Neige Sanchez en interview, et nous avons décidé de l’utiliser sur le webzine. Encore peu employée en France, elle tend à inclure toutes les identités transgenres et non binaires.