Il paraît que pour être drôle, il faut se moquer de tout le monde, même si cela signifie perpétuer des stéréotypes aux conséquences dévastatrices pour certain-e-s d’entre nous. Désormais, en s’ouvrant à d’autres regards et à d’autres voix, la pop culture nous confirme que cette idée reçue est fausse. Pour Caterina, Tuca & Bertie et Brooklyn Nine-Nine prouvent avec brio qu’il est possible de faire rire sans être oppressifs-ves. Et, en bonus, elles parviennent même, entre deux blagues, à traiter de sujets de fond.

 

Lorsque l’on est confronté-e à du contenu ou à des propos oppressifs, et qu’on le fait remarquer, la personne qui en est à l’origine se cache souvent derrière des phrases comme « C’est de l’humour » ou « On ne peut plus rien dire ». Mais est-ce vrai ? Est-ce que toute création humoristique est destinée à être vide de substance, lissée, pour respecter le politiquement correct ? En tout cas, quand on voit ce que produisent la plupart des humoristes, on peut sincèrement se poser la question. Ils et elles ont notamment recours à des ficelles sexistes, racistes et grossophobes (liste non exhaustive). L’usage de ces ressorts comiques usés et usants est régulièrement justifié par l’argument ultime de la liberté d’expression… et de la lutte contre l’ennui ! Car oui, tiens-toi bien, une création qui ne serait pas oppressive serait nécessairement ennuyeuse. Pourtant, il n’y a pas à chercher bien loin pour comprendre que cet argument est absurde.

Tuca & Bertie et Brooklyn Nine-Nine sont deux séries américaines aux univers diamétralement opposés et aux ressorts humoristiques très différents. Néanmoins, elles atteignent le même objectif : proposer un humour inclusif, et efficace ! Si elles le font avec succès, pourquoi pas les autres ? Faire des blagues sexistes, c’est facile, c’est fait et refait. C’est de la fainéantise créative. Mais créer du contenu original demande en revanche des efforts, une véritable réflexion dans l’écriture et une bonne dose d’imagination. La preuve par l’exemple !

 

Brooklyn Nine-Nine : une série plus complexe qu’il n’y paraît

Brooklyn Nine-Nine, créée par Dan Goor et Michael Schur, depuis 2013. © FOX/NBC

Brooklyn Nine-Nine est diffusée depuis 2013 et compte à ce jour six saisons. Elle raconte le quotidien d’un commissariat de police dans le quartier de Brooklyn, à New York. Jusque-là, rien de bien palpitant. Et pourtant, ses personnages extravagants et émouvants nous embarquent dans des épisodes plus hilarants les uns que les autres. On y retrouve pêle-mêle Jake Peralta, un inspecteur lourdingue, Gina Linetti, une assistante à l’ego surdimensionné, Raymond Holt, un capitaine indéchiffrable, Amy Santiago, une inspectrice maniaque, et tant d’autres. En 45 heures de série, les rares remarques visant le genre, la couleur de peau ou l’orientation sexuelle n’ont qu’un but : être discréditées et moquées pour en souligner le mauvais goût.

L’ambiance de Brooklyn Nine-Nine est assez légère, mais cela ne l’empêche pas d’aborder des thèmes sérieux de temps à autre. En particulier lorsqu’il est question du capitaine, qui est gay et noir. Il évoque souvent les oppressions qu’il a subies au cours de sa carrière, et notamment dans les années 1970-80, alors que la police faisait bien peu de place aux personnes noires et homosexuelles. Cette situation n’a pas beaucoup changé et fait douloureusement écho au racisme et à l’homophobie qui perdurent au sein de la police étasunienne. Derrière un ton léger, cette série propose un vrai discours engagé. Les idées militantes y sont distillées tout en subtilité et de manière très organique.

 

Tuca & Bertie : des sujets sensibles dans un univers haut en couleur

Tuca & Bertie, créée par Lisa Hanawalt, 2019. © Netflix

Tuca & Bertie est une toute jeune production, sortie en 2019 sur Netflix, et créée par Lisa Hanawalt, qui a également pensé l’univers visuel de BoJack Horseman. On avait d’ailleurs déjà recommandé cette excellente série dans l’une de nos revues de presse. Ici, on suit les aventures de Tuca, un pélican, et de Bertie, un merle, dans un monde complètement absurde et anthropomorphique. Les scènes sont souvent hallucinées, parfois un peu WTF, et toujours brillantes d’imagination. Tuca en particulier est la spécialiste des piques bien senties et des jeux de mots rigolos. L’animation se met vraiment au service de l’histoire et des personnages et accentue d’autant plus les passages humoristiques. Le show déconstruit les stéréotypes de genre, de race et d’orientation sexuelle. Ainsi, dans l’un des épisodes, un couple de femmes est représenté avec un naturel remarquable. C’est un couple comme les autres, contrairement à certaines séries dans lesquelles l’homosexualité est continuellement instrumentalisée.

Si l’univers est farfelu, les thèmes le sont beaucoup moins. Nombre de sujets féministes y sont abordés, tels que le harcèlement sexuel, la place des femmes dans le monde du travail et le viol. Ces moments sont poignants, riches en émotions, quelquefois durs à regarder. Mais l’on s’attache à ces deux héroïnes qui font du mieux qu’elles peuvent pour s’épanouir et s’entraider. On rit, on pleure, on s’émeut. Tous les ingrédients pour une série complexe et réussie. Mais malheureusement, il n’y aura pas de deuxième saison, puisque Netflix a décidé de l’annuler en juillet dernier.

 


Image de une : © DR/Deuxième Page