Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • Six ans après le Rana Plaza, où en est l’industrie de la mode ? : en avril 2013, l’usine de fabrication textile Rana Plaza située à Dhaka (Bangladesh) s’effondrait, révélant au monde entier les dangers de la fast fashion. Six ans plus tard, les choses ont-elles évolué ? Marie Claire esquisse un bilan de la situation. Après le drame, l’organisme Fashion Revolution a été créé avec pour objectif de forcer l’industrie de la mode à plus de transparence autour de ses procédés de production. Il vise notamment à obtenir des conditions de travail humaines pour les travailleurs-ses. Fin avril 2019, une semaine de sensibilisation a eu lieu. L’occasion de rappeler que les actions de Fashion Revolution n’ont pas été vaines, mais qu’il y a encore beaucoup à faire. Les femmes sont évidemment les premières victimes de cette industrie : « On parle de travail sans contrat ni sécurité d’emploi où nombreuses sont celles qui subissent des violences, notamment sexuelles, et ont du mal à se faire entendre pour deux raisons : le tabou culturel et la peur de perdre leur travail », souligne Kalpona Akter, ancienne ouvrière au Bangladesh, aujourd’hui activiste militant pour l’amélioration de la vie des travailleuses textiles pour Business of Fashion. [Marie Claire]
  • Jack Dorsey’s TED Interview and the End of an Era : en avril dernier, le CEO de Twitter Jack Dorsey a répondu à des questions à l’occasion d’un événement TED, à Vancouver. Durant l’échange, l’homme a reconnu la présence de campagnes de harcèlement sur sa plate-forme – lesquelles prolifèrent –, mais aussi celle de théories du complot, ainsi que la propagation de désinformation à des fins politiques. Dorsey a certes parlé longuement, mais pour ne rien dire. Comme l’explique ici la journaliste Anna Wiener, « Dorsey évoque le fait de réparer Twitter depuis plus d’un an. Comme il fallait s’y attendre, il adopte l’approche d’un technologue face à des problèmes sociaux. Lors de la conférence, il s’est concentré sur les systèmes, plutôt que de se focaliser sur les réclamations faites concernant l’éthique ou la responsabilité sociale, et a parlé de l’exploitation de l’apprentissage automatique (machine learning) pour effectuer la modération. (Comme de nombreux chefs de file de la technologie, il parle de l’apprentissage automatique en des termes vagues, comme si cela était magique – un remède pour tout dont les fondements technologiques sont beaucoup trop complexes à expliquer.) Il a reconnu certaines des répercussions liées à l’optimisation de la plate-forme sur la “santé” de la conversation, ce qui nécessiterait de rejeter bon nombre des paramètres d’engagement, lesquels stimulent le développement des produits dans l’industrie de la technologie. […] Le fait que Dorsey doive désormais trouver une solution à des problèmes inédits et imprévus, sur une plate-forme conçue il y a treize ans pour une utilisation limitée et relativement innocente semble, au mieux, profondément comique –  c’est l’exemple de ce qui arrive quand on refuse d’apprendre de nos erreurs. “Il a affaire à un problème d’une ampleur qui n’a pas beaucoup de précédents dans l’histoire de l’humanité”, m’a écrit un de mes amis programmeurs. “C’est un peu effrayant qu’il ait l’air si désinvolte. “Je pense que la ‘santé conversationnelle’ [à laquelle fait référence Dorsey pour régler certains des problèmes actuels de Twitter, ndlr] est une esquive. Twitter et Jack veulent éviter de prendre position au sujet des personnes qui nuisent sur Twitter. Mais ils n’ont pas ce luxe à ce stade, parce que Twitter est un énorme mégaphone.” Le changement devra se faire à un niveau systémique, comme Dorsey l’a fait remarquer. La mesure dans laquelle cela est possible – lorsque les systèmes fonctionnent non seulement comme prévu, mais sont aussi récompensés pour cela – dépend de la volonté d’une entreprise publique de parier contre son propre avenir ». [The New Yorker] [ENG]
  • Lillian Gish: should a great actor be judged by a racist film? : un cinéma situé dans l’Ohio aux États-Unis a ôté « Gish » de son nom, en référence à l’actrice Lillian Gish. La raison ? L’actrice, connue comme « la première dame du cinéma américain » a joué – entre autres – dans le très raciste The Birth of a Nation (1915) de DW Griffith. Si certain-e-s condamnent ce changement, prétendant qu’« effacer le passé n’aide personne à avancer », il semble qu’en 2019 il soit temps de questionner les contenus détestables du passé, élevés au rang d’exemples et parfois de chefs-d’œuvre. Comme l’explique ici la critique Ashley Clark, de tels changements sont les bienvenus à une époque où le suprémacisme blanc et les actes terroristes de ses adeptes ne cessent d’augmenter, et où le président des USA appelle les fascistes des « gens bien ». « Pendant trop longtemps, le racisme odieux de The Birth of a Nation a été passé sous silence ou rejeté au profit de louanges concernant les innovations cinématographiques du film, explique Clark. Le racisme inhérent à la conception même du film, à sa production et à sa distribution ne peut plus être ignoré. Des artistes comme Lillian Gish, dont la performance extraordinaire fixe le cœur émotionnel du film, étaient complices de cette initiative. » [The Guardian] [ENG]
  • What would a feminist ending for ‘Game of Thrones’ actually look like? : alors que la fin de la série approche à grands pas, les analyses et commentaires sur Game of Thrones se multiplient. Dans cette tribune, l’éditorialiste Alyssa Rosenberg s’attaque directement à l’un des plus gros sujets à controverse de la création HBO : sa lecture féministe. Elle apporte ici un regard nuancé (et rafraîchissant) : « L’un des aspects qui a toujours rendu Game of Thrones intéressante pour moi est que la série va un cran au-dessus des révisions initiales [de la fantasy, avec la création d’œuvres où les femmes ne sont plus mises à la marge, ndlr], elle est plus sombre, pour suggérer que l’égalité ne se mesure pas en termes de réussites, mais d’échecs. » Plus loin, elle précise que oui, à des degrés plus ou moins importants, les personnages féminins de la série « ont vécu des traumatismes des mains des hommes, et ont répondu en devenant comme eux de manières diverses ». Mais que « celles encore en lice pour le trône de fer ont sans doute des ambitions qui les différencient de leurs prédécesseurs masculins : vivre sans la condescendance de leurs maris, frères, pères ou fils ; mettre fin à l’esclavage ; être libérées du viol. [Pour autant], aucune d’entre elles n’a réécrit les règles du jeu pour le trône de fer selon des codes vraiment nouveaux ». Pour Rosenberg, dans ce contexte, le message féministe de la série serait non pas « que les femmes sont intrinsèquement meilleures, des souveraines plus clémentes que les hommes, ni que le trauma apporte la sagesse, mais qu’aucune femme – ni aucun homme bien intentionné qui insiste sur le fait de ne pas vouloir être roi – ne peut changer le système toute seule ». [The Washington Post] [ENG]
  • Qu’est-ce que la charge raciale, qui pèse sur les personnes non-blanches ? : la notion de charge mentale est désormais plus ou moins reconnue. Mais qu’en est-il de la charge raciale ? C’est ce qui pèse sur les personnes racisées, tenues de se conformer aux sociétés majoritairement blanches. Il s’agit par exemple de faire attention à ses vêtements, son attitude ou son langage pour ne pas paraître trop ceci ou trop cela. Loin d’être anodine, cette charge raciale est aussi pour les concerné-e-s une question de survie. La psychologue Stella Tiendrebeogo fait un rappel indispensable : « Il est important que les personnes racisées, qui gèrent au quotidien cette charge raciale, n’oublient pas que ce n’est pas de leur faute. C’est l’environnement épuisant dans lequel elles vivent qui favorise cette plasticité d’adaptation. Elles n’ont pas le choix ». [Glamour]

 

Dans la bibliothèque et sur l’écran de Deuxième Page

  • RévâsSéries, la vie de la rédac depuis son canapé : à quoi ressemblerait le rêve collectif complètement halluciné d’un groupe de féministes en 2019 ? Probablement à Tuca & Bertie. Si tu aimes les animaux anthropomorphes, les amitiés entre femmes, le surréalisme, la nourriture, les jeux de mots, l’humour à base de boobs saupoudré d’absurdité, les récits tout en nuance, la révolte féministe et les personnages complexes, alors il est temps de sortir couette et tasse de thé et de dire non à la vie sociale. La série animée créée par la brillante Lisa Hanawalt (qui a conçu l’univers visuel de BoJack Horseman) est arrivée sur Netflix en mai 2019, et elle s’est immédiatement imposée comme l’un des meilleurs shows de l’année. On y suit les aventures de deux amies en pleine crise de la trentaine (ugh, ces millenials), qui tentent de trouver leur voie(x) tout en étant confrontées aux défis du quotidien. Tuca (Tiffany Haddish) et Bertie (Ali Wong) peuvent compter l’une sur l’autre, et toutes les galères intergalactiques ne peuvent vraiment endommager leur amitié, ce havre de paix au cœur du chaos. Loin d’être parfaite, leur relation – codépendante, il faut le dire – les aide jour après jour. Elles doivent apprendre l’une de l’autre, s’écouter, se soutenir. En dépit du ton joyeux de la série, dont l’esthétique irréelle ultra colorée s’imprègne sur ta rétine pour ne plus jamais te quitter, Tuca & Bertie parle de sujets très concrets et sérieux, comme l’anxiété, la dépression, le harcèlement sexuel ou encore le viol. Ici, tout est bizarre et stupide, outrancier et subtil, émouvant et déconcertant… C’est un monde paradoxal où chaque chose est évidente, un monde où nos deux héroïnes, malgré leurs différences, sont merveilleusement complémentaires. Alors, qu’est-ce que tu attends pour regarder ?

Tuca & Bertie, créée par Lisa Hanawalt, 2019. © Netflix

  • Sonores, des artistes qui méritent ton oreille attentive : parfois, on a simplement envie d’éteindre son cerveau, de créer un silence intérieur salvateur, au moins pour quelques minutes. Chacun-e a sa méthode pour parvenir à cet état méditatif et contemplatif, où rien d’autre n’a d’importance que le présent. Pour certaines d’entre nous, chez Deuxième Page, cet armistice avec nous-mêmes passe par la musique. Si tu ne connais pas encore la violoncelliste Julia Kent, Temporal – son dernier LP solo, sorti en janvier 2019 – constitue un excellent point d’entrée dans son œuvre riche et multiple. En sept titres, composés à l’origine pour des performances de théâtre et de danse, l’artiste t’emporte avec elle dans un grand tourbillon émotionnel. Temporal, c’est une éternité qui s’écoule à la manière d’un instant. Tout est marqué par le mouvement, la cadence des corps qui s’élancent et la rythmique entêtante d’un cœur qui ralentit et s’accélère. On peut sentir du bout des doigts la texture des sons. À la somptuosité de son violoncelle, Julia Kent joint comme dans son précédent album, Asperities, des touches de musique électronique. Mais ici, l’ensemble paraît plus doux. L’instrumentiste délaisse les sonorités dissonantes qu’elle chérissait auparavant, comme portée par une quête intime, celle de la sérénité. Au fil des morceaux, elle l’atteint et amène avec elle ses auditrices et auditeurs vers des terres de splendeur, paisibles.

 

[Bonus] L’anniversaire de Deuxième Page

Quel bonheur. Quelle joie. Dimanche 12 mai 2019, Deuxième Page a fêté ses 3 ans sous le signe de la bonne humeur et de la sororité ! C’était un moment très émouvant pour l’équipe de bénévoles. Et nous avons pu le partager avec des personnes formidables. Les stands féministes tenus par Les Flux, le collectif Féministes contre le cyberharcèlement, le collectif Sésame f, le magazine PolysèmeKiyémis, Alexia Jouet et la librairie Les trois sœurs ont été des espaces d’échanges et d’apprentissage pour chacun-e d’entre nous. Pendant deux heures, les discussions sont allées bon train, dans un esprit de bienveillance qui nous a fait beaucoup de bien. Et cette soirée ! Les Aliennes nous ont emporté-e-s avec une lecture de textes féministes et poétiques, la chorale Hot Bodies Choir a fait entendre ses voix sans aucune fausse note et Fred Skitty nous a fait danser (merci Women Who Do Stuff), pour un final entraînant ponctué par un mic drop légendaire. Que dire d’autre que : MERCI ! Merci du fond du cœur aux militantes et artistes venues partager cette journée d’anniversaire avec nous. C’est aussi grâce à vous que nous avons pu organiser ce dimanche festif et engagé, que nous avons pu voir, pour quelques heures, pourquoi tout ce travail a un sens profond et pourquoi nous ne devons pas baisser les bras. Merci évidemment à La Mutinerie de nous avoir accueillies. Merci à Aurélie, Pierre et Grégoire pour les photos et les surprises en vidéos à venir. Et, évidemment, merci à toi d’être venu-e nous souhaiter un joyeux anniversaire et de nous soutenir avec autant de bienveillance et d’amour. C’était parfait, malgré nos imperfections. C’était simple, malgré les complications. C’était tout ce que nous espérions et bien plus encore. Maintenant, trêve de longs discours et place aux photos (tout l’album est disponible ici) !

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

© Madame Oreille/Aurélie Amiot

 

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Image de une : Tuca & Bertie, créée par Lisa Hanawalt, 2019. © Netflix