Les coups de cœur de Think tank by 2P

  • The Impact of Racism on Children’s Health : d’après des recherches de l’Académie américaine de pédiatrie, le racisme est un facteur social qui peut affecter la santé et le développement des enfants et des adolescent-e-s. Et les conséquences se font sentir avant même la naissance. Car vivre en permanence sous le poids du racisme et des discriminations peut entraîner un stress chronique, lequel provoque parfois des changements hormonaux ou des inflammations. « Des études montrent que les mères qui déclarent avoir été victimes de discrimination sont plus susceptibles d’avoir des nourrissons présentant un faible poids à la naissance. » Au cours de leur vie, les enfants subissent les conséquences du racisme par étape. Dès l’âge de 4 ans, ils et elles sont en mesure de reconnaître les principaux stéréotypes raciaux. Mais c’est aux alentours de 9 ans que les enfants prennent « davantage conscience de la place que leur groupe culturel occupe dans la société », et peuvent ainsi identifier le racisme. Comme l’explique la docteure Maria Trent, l’intériorisation du racisme chez les plus jeunes est ce qu’il y a de plus néfaste. Les enfants « perçoivent tellement de négativité au sujet des personnes qui leur ressemblent, qu’ils et elles développent de la négativité envers eux et elles-mêmes ». [The New York Times] [ENG]
  • La lutte des femmes noires en politique a commencé dès la Résistance française : en France aussi, les femmes politiques racisées font l’objet de multiples attaques, et celles-ci viennent bien souvent de la classe dominante. Elles doivent en permanence prouver leur légitimité. Déjà, à l’époque de la Résistance, on retrouvait de telles discriminations. Peu nombreuses sont les personnes qui connaissent les noms des deux premières sénatrices noires, Eugénie Éboué-Tell et Jane Vialle. La première a reçu « au moins 26 médailles pour ses contributions à la Résistance y compris une Croix de guerre et une Médaille de la Résistance », et la seconde était une journaliste devenue espionne puis sénatrice, qui a également été décorée pour sa lutte contre le totalitarisme. Comme l’explique la professeure Annette Joseph-Gabriel, « bien que françaises, elles étaient perçues comme étrangères à l’ordre et au système établi, néanmoins capables de se bâtir un chemin jusqu’au centre du pouvoir ». [The Conversation]
  • Depression and anxiety threatened to kill my career. So I came clean about it : à notre époque, la stigmatisation autour des problèmes de santé mentale est encore très forte. Pour la dépasser, l’une des solutions serait certainement de communiquer de manière plus transparente sur ce que l’on traverse et expérimente, pour mettre fin à des idées reçues encore tenaces. Dans cette tribune touchante, la professeure Yasha Hartberg raconte comment, en étant parfaitement honnête avec ses étudiant-e-s au sujet de sa dépression, elle est parvenue à renforcer ses liens avec elles et eux : « En tant qu’enseignant-e-s, nous devrions peut-être inclure dans nos cours qu’il est possible de réussir même quand la vie est dure. Les élèves doivent tirer des leçons de notre exemple, et par notre propre authenticité apprendre que la maladie mentale ne les condamne pas à l’échec. Peut-être, par-dessus tout, les élèves doivent apprendre que nous méritons tou-te-s un peu de répit » [The Guardian] [ENG]
  • We should all be reading more Ursula Le Guin : Ursula Le Guin, décédée en 2018 à l’âge de 88 ans, s’est imposée par ses écrits comme l’une des figures intellectuelles les plus importantes de notre siècle. La force de ses œuvres repose souvent dans sa capacité à élaborer des mondes complexes. Son écriture était politique, grandement influencée par ses sensibilités personnelles, à la fois anarchistes, féministes et anticoloniales. En 2019, nous avons tout intérêt à nous replonger dans ses ouvrages, lesquels nous permettent de réfléchir à notre réalité et à celles qui pourraient advenir. Comme l’explique Siobhan Leddy dans ce papier passionnant, Le Guin a souvent rompu avec les règles narratives acceptées par tou-te-s, et ses histoires se sont construites sur des modèles différents, parfois expérimentaux : « L’adoption d’un héros singulier [dans la littérature] reproduit un rapport de force historique très spécifique. Les pionniers et les sauveurs : probablement masculins, probablement blancs, et débordant très certainement d’une confiance imméritée. La vénération du héros réduit les autres à l’état de victimes : celles et ceux qui doivent être sauvé-e-s. […] Être un héros est fondamentalement être privilégié, et tout acte d’héroïsme renforce ce privilège. » Ursula Le Guin, elle, avait décidé de laisser dans ses récits la place au collectif, de créer des protagonistes loin de l’archétype du génie solitaire. Elle avait d’ailleurs développé tout cela dans son essai La théorie de la fiction-panier en 1986 (The Carrier Bag Theory of Fiction). L’autrice y présente une nouvelle théorie selon laquelle le premier outil de l’humain-e fut un récipient plutôt qu’une arme : « Le premier dispositif culturel a probablement été un récipient… De nombreux théoriciens ont l’intuition que la plus précoce des inventions culturelles doit avoir été un contenant pour recevoir les produits récoltés, une sorte d’écharpe ou de filet à provisions. […] Le roman est un genre d’histoire fondamentalement non héroïque. Bien sûr, le Héros s’y est imposé bien souvent, car telle est sa nature impériale et son impulsion incontrôlable, de s’imposer à toute chose et de les diriger, et d’édicter d’intransigeants décrets et lois pour maîtriser son incontrôlable pulsion meurtrière. Ainsi le Héros a-t-il décrété, par l’intermédiaire de ses porte-parole les législateurs, tout d’abord, que la forme correcte de la narration soit celle de la flèche ou de la lance, qui part d’ici et va tout droit là et TCHAC ! atteint son but (qui tombe raide mort) ; deuxièmement, que la préoccupation principale de la narration, roman compris, est le conflit ; et troisièmement, que l’histoire ne peut être bonne si lui, le Héros, n’y apparaît pas. Je suis en désaccord avec tout cela. J’irais même jusqu’à dire que la forme naturelle, correcte et appropriée du roman est peut-être celle du sac, de la poche. Un livre contient des mots. Les mots contiennent des choses. Ils portent des significations. Un roman est un sac-médecine contenant des choses dotées d’une relation particulière et puissante qui les lie les unes aux autres et à nous-mêmes. » Pour lire la traduction française de l’essai d’Ursula Le Guin, c’est ici. [The Outline] [ENG]
  • How Susan Sontag Influenced Patti Smith’s Reading Life : ce n’est pas un secret, à la rédaction de Deuxième Page, on adore Patti Smith. Si c’est ton cas aussi, on te conseille chaudement cette interview dans laquelle elle parle de son rapport à la littérature (et fait une flopée de recommandations par la même occasion) ! « Je lis tout le temps, n’importe où – sur mon perron, dans un café bruyant, la nuit, dans mon lit de bus quand je suis en tournée. Les circonstances externes ne sont pas la clé, c’est le livre lui-même. Je suis comme Gumby : j’entre dans le monde d’un livre et j’y vis temporairement, excluant tout le reste. À moins de faire des recherches, je ne finis que les livres que j’aime. Je ne papillonne pas. Je peux à peu près dire tout de suite si je vais m’engager. Il y a aussi des livres que je sais que j’aimerai un jour. Par exemple, il m’a fallu des années pour me lancer dans La Montagne magique, mais une fois que je l’ai fait, j’ai été captivée […]. Si je ne sais pas quoi lire, je me tiens parfois devant mes étagères et je sens quel livre m’appelle. J’ai une technique spéciale pour relire des chefs-d’œuvre comme Frankenstein ou Le Jeu des perles de verre. Je garde le livre près de mon lit, je l’ouvre au hasard et je lis à partir de là. Je fais cela à partir d’une nouvelle page plusieurs nuits d’affilée jusqu’à ce que je sente que j’ai expérimenté le livre en trois dimensions, de façon cubiste, sous plusieurs angles. » [The New York Times] [ENG]

Dans les oreilles et dans l’agenda de Deuxième Page

  • Passion Podcasts, les émissions à écouter cette semaine : les clichés qui collent à la peau des travailleurs-ses du sexe sont si nombreux qu’il est parfois compliqué de se faire une véritable idée de la réalité de leur quotidien, de leurs difficultés et de leurs joies. Évidemment, la vie des concerné-e-s est bien loin des raccourcis et des grandes généralisations que beaucoup font. Ces idées reçues mènent inévitablement à une stigmatisation de leur activité professionnelle.  « Le Putain de Podcast », animé par Loubna, une ancienne prostituée, veut rendre la parole à ces personnes sur qui tant de fantasmes sont projetés, ne laissant aucune place à la pluralité de leurs expériences, à la complexité de leurs histoires, à la richesse de leur existence et de leurs actions politiques. Ainsi, une fois par mois, un-e travailleur-se du sexe s’exprime sur un sujet qui lui tient à cœur. Un moyen concret pour les concerné-e-s de s’approprier la narration, et de briser aussi bien les tabous que les lieux communs qui pèsent sur elles et eux. De Sofia qui dénonce un écrivain qui a récupéré son histoire en la caricaturant et sans respecter ses besoins et limites, à Lila qui évoque la lassitude face à certains clients ou la difficulté de conserver un job salarié, les thématiques qui traversent les émissions sont riches. Une écoute indispensable !

  • #Bibliotheque2P, le livre de la semaine : en 2017 sortait la bande dessinée Moi, ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris (chez Monsieur Toussaint Louverture), une bédéiste américaine qui a réappris à dessiner après avoir souffert d’une maladie qui l’a paralysée. Cloîtrée dans sa chambre d’hôpital, elle s’entraînait sans relâche à dessiner au stylo sur des cahiers. En prenant conscience de sa différence au sein d’une société déterminée par les normes, Emil Ferris a découvert la véritable signification de l’altérité. Un long processus de déconstruction a alors commencé. Par l’acte créatif et en se nourrissant des récits de femmes puissantes, l’illustratrice est parvenue à surpasser la honte et la souffrance. Elle a réappris à vivre, forte d’être une survivante. Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est donc le fruit de son combat, de sa résilience. C’est un petit bijou d’illustration et de narration comme il nous en tombe rarement dans les mains. On y suit Karen Reyes, une jeune fille passionnée par les monstres, au cœur du Chicago des années 1960. Quand elle apprend que sa voisine Anka Silverberg se serait suicidée, Karen n’y croit pas et décide de mener l’enquête. Dans un monde aussi sombre que dépouillé, et grouillant néanmoins de détails, Emil Ferris nous prend par la main et nous emmène dans les dédales de l’imagination d’une enfant bien solitaire, évoluant au rythme d’une histoire lugubre. Un univers parfait pour accompagner les belles soirées automnales qui arrivent à grands pas, au son de la pluie tombant inlassablement sur le goudron froid.

 

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Image de une : Ursula Le Guin. © Jill Krementz